Le Brésil veut éviter un scénario à la britannique

Depuis son élection, Lula a multiplié les signaux rassurants à destination des marchés, en inscrivant sa politique dans une relative continuité avec l’administration sortante.
Luiz Inácio Lula  da Silva, président du Brésil à la veille  de son élection.
Luiz Inácio Lula da Silva à la veille de son élection.  -  Bloomberg

Le risque d’une transition désordonnée entre le président sortant, Jair Bolsonaro, et Luiz Inácio Lula da Silva (« Lula »), qui entamera son troisième mandat à partir du 1er janvier 2023, s’écarte peu à peu.

La voie qui se présente à lui n’est pas pour autant dégagée. Ainsi l’élection du 2 octobre dernier a renforcé la représentation des soutiens de Jair Bolsonaro au Parlement comme au Sénat. Lula a donc constitué une alliance comprenant plusieurs politiciens du centre et du centre-droit, y compris des opposants historiques du PSDB, le parti social-démocrate brésilien. Son vice-président, l’ancien gouverneur de São Paulo, Geraldo Alckmin, est l’un d’eux. « L’équilibre des pouvoirs va être assez complexe à trouver : Lula n’a pas de majorité forte, il devra négocier pour faire adopter ses réformes et gouverner. Pour les investisseurs, c’est probablement un facteur positif dans la mesure où cela l’amènera à trouver un compromis avec le centre pour prolonger les mesures de soutien aux ménages », analyse Samy Chaar, chef économiste chez Lombard Odier & Cie.

Le contexte international pèsera également sur les marges de manœuvre du gouvernement et viendra contraindre la politique monétaire (voir le graphique page 18, h.). « En 2023, le resserrement monétaire sera global, rythmé par la politique monétaire américaine. Nous attendons des taux à 4,75 % d’ici à la fin de l’année. D’autres banques centrales sont en train de remonter leurs taux. Dans ce scénario, la banque centrale brésilienne ne pourra pas commencer à baisser les siens avant août 2023, ce qui aura un fort impact à la fois sur la croissance et la dette publique », commente Roberta Fortes (voir le graphique page 18, b.).

Défi social

Le contexte social est tout aussi délicat. La population a été durement touchée par l’épidémie de Covid-19 – le Fonds monétaire international (FMI) estime que près de 10 millions de Brésiliens sont passés en dessous du seuil de pauvreté entre 2019 et 2021. La montée de l’inflation, qui a dépassé 10 % en 2021, est venue toucher des populations déjà fragilisées, obligeant le gouvernement à adopter des mesures supplémentaires. Au Brésil, le programme Auxilio Brazil a été augmenté à l’été 2022 de 50 %, à 600 reals. Pendant la campagne, les deux candidats ont multiplié les annonces à visée sociale. « Le premier défi de la nouvelle administration va consister à transformer les promesses de campagne en action politique, dans un contexte de ralentissement de la croissance et de politique monétaire sous contrainte, résume Gustavo Arruda, responsable de la recherche pour l’Amérique latine chez BNP Paribas. Il faut s’attendre à une hausse des dépenses budgétaires et à une hausse des impôts, assorties d’une politique économique qui pourrait au fil du temps devenir plus interventionniste, et en cela plus en ligne avec ses idées politiques, générant, du point de vue des marchés, des déceptions séquentielles. »

La crédibilité de la politique fiscale sera jugée à l’aune de la trajectoire de la dette. A 93 % du PIB, celle du Brésil est la plus élevée de la région. La dette colombienne, qui est le deuxième pays le plus endetté, représente 64 % du PIB. Pour rappel, la dette des pays émergents s’élève en moyenne à 60 % du PIB. « Si rien n’est fait pour maîtriser sa trajectoire, elle atteindra 100 % du PIB à la fin du mandat, selon mes simulations. Aussi, indépendamment du résultat des élections, la question fiscale sera centrale dans les débats à venir, anticipe Roberta Fortes, économiste chez Allianz Trade, car beaucoup de promesses ont été faites pendant la campagne. Lula a ainsi déclaré vouloir alléger la charge fiscale des ménages les moins aisés et taxer les revenus du capital. Mais cela prendra beaucoup de temps. Jair Bolsonaro a lui-même cherché à faire passer cette deuxième réforme mais s’est fait retoquer par le Sénat. L’administration va sans doute chercher à séquencer ses réformes dans le temps. »

Equilibre fragile

Enfin, l’économie brésilienne n’échappera pas à un ralentissement en 2023, après deux années d’une croissance supérieure à 2 %. « En 2022, la croissance a surpris : BNP Paribas attendait une croissance nulle, elle devrait s’établir à 3 % en définitive, prévient Gustavo Arruda. En 2023, il semble difficile d’anticiper une croissance forte, compte tenu du niveau actuel des taux et du contexte international, notamment les perspectives de récession aux Etats-Unis et en Europe, et les conséquences du conflit en Ukraine. Nous estimons donc la croissance à 0,5 %. » Un effondrement des prix des matières premières et la survenue de tensions sociales, qui sont les principaux risques identifiés par le FMI pour 2023, auraient un effet négatif sur les perspectives de croissance.

« Lula hérite d’une économie qui n’est pas en mauvaise posture, avec deux années consécutives de surplus primaire, un petit excédent extérieur, des taux d’intérêt réels positifs et un PIB qui va croître d’environ 3 % en 2022. Certes, la politique fiscale doit être traitée prudemment mais les perspectives ne sont pas mauvaises, surtout si on les compare à d’autres pays émergents de la zone », pondère Samy Chaar. Le Brésil a ainsi attiré des investissements directs étrangers (IDE) en hausse de 78 % à 50 milliards de dollars en 2021, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). L’excédent budgétaire primaire devrait atteindre 1 % du PIB pour 2022, un record depuis 2013, selon Fitch Ratings. Mais le pays devrait renouer avec un déficit de 1 % dès 2023, en raison notamment du coût du prolongement des mesures sociales (Auxilio Brasil) annoncées par Lula.

Le retour du Brésil dans les grandes négociations internationales, à commencer par la COP 27, où Lula devrait faire une apparition, est interprété favorablement par les marchés (lire ‘La parole à…’). Dans ses prévisions pour la zone publiées le 7 novembre, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) rappelle que 60 % de la forêt primaire mondiale se situe sur le territoire brésilien, et qu’un réchauffement des températures de 2,5°C coûterait entre 1,5 et 5 points de PIB d’ici à 2050.

Lula a également fait part de son intention de ratifier dans les six mois le traité de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur. Les discussions sont au point d’arrêt depuis 2019 en raison de problèmes relatifs à la protection commerciale et à l’environnement soulevés par certains Etats membres de l’Union européenne, dont la France. Du côté européen, les signaux sont encourageants. « J’ai hâte de travailler avec vous pour relever les défis mondiaux urgents, de la sécurité alimentaire au commerce et au changement climatique », a tweeté la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dès le lendemain de l’élection. « Une forme de continuité politique avec l’administration Bolsonaro, mais avec un dirigeant qui est moins polarisant sur le plan international, peut être considérée comme positive pour le Brésil », analyse Samy Chaar. La nomination du futur ministre de l’Econome permettra aux investisseurs d’apprécier la ligne politique de la prochaine administration et sa volonté de préserver une relative orthodoxie budgétaire.

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