
L’Autorité de la concurrence devrait conserver son indépendance

Tous les regards sont braqués sur l’Autorité de la concurrence depuis l’annonce surprise mi-octobre de la non reconduction d’Isabelle de Silva à sa présidence. Vice-président de l’institution depuis 2012, le plus ancien dans cette fonction, Emmanuel Combe, professeur d’économie et très expérimenté, assure l’intérim à la tête de l’Autorité depuis le 14 octobre mais a déjà déclaré qu’il n’était pas candidat pour prendre la suite d’Isabelle de Silva. Aucun délai n’encadre cette période transitoire. Mais si les dossiers suivent leurs cours, l’Autorité ne peut rester longtemps sans président ou présidente de plein droit.
Alors qui pourrait occuper ce poste prestigieux, mais exposé ? Le profil idéal serait celui «d’un spécialiste de la concurrence, prêt à prendre les nombreux sujets à bras-le-corps», confie Charlotte Colin-Dubuisson, avocate associée chez Linklaters. Alors que l’Elysée souhaiterait remplacer Isabelle de Silva par une femme, le nom d’Anne Perrot, professeur d’économie, ancienne vice-présidente du Conseil de la concurrence de 2004-2012, soutien d’Emmanuel Macron lors de la présidentielle de 2017, et reconnue par ses pairs, revient sur toutes les lèvres. «Ce profil féminin et de bon connaisseur de l’Autorité permettrait une certaine continuité, confie un avocat. En revanche, un profil plus politique pourrait faire craindre pour l’indépendance de l’Autorité, pourtant garantie par les textes».
Une aura mondiale à conserver
Cette indépendance est-elle réellement en danger ? Isabelle de Silva «a fait rayonner l’Autorité à l’international et son action a été très appréciée en France, en Europe, comme dans le monde entier, poursuit un autre avocat. Son non-renouvellement a d’autant plus été une surprise. Il soulève la question de la tutelle de l’exécutif sur une autorité indépendante. Tout le rayonnement de l’Autorité pourrait être réduit à néant par une perte d’indépendance». Comme professionnels de la concurrence, «nous sommes confiants sur le profil du futur patron ou patronne de l’Autorité. Je n’imagine pas un instant que l’Autorité de la concurrence perde son indépendance, ajoute Charlotte Colin-Dubuisson. Isabelle de Silva a fait un travail remarquable, avec une activité très soutenue en France et dans le réseau européen de concurrence. Son successeur devra maintenir l’aura de l’Autorité de la concurrence en Europe et dans le reste du monde».
La concurrence «est par essence un terrain sur lequel s’exprime les enjeux politiques, rappelle Camille Paulhac, avocat associé chez Paul Hastings. Aux Etats-Unis, la nomination par le Président Joe Biden de Lina Kahn, résolument anti-Gafam, à la tête de la Federal Trade Commission répond à une logique très politique. On assiste de surcroît depuis quelques années à des frictions entre la politique de concurrence et la politique industrielle, que l’approche de la présidentielle et les leçons tirées de la crise sanitaire exacerbent probablement».
L’Autorité applique le droit
Pour beaucoup, les déclarations d’Isabelle de Silva sur le dossier TF1-M6 lui ont valu son non-renouvellement, décidé par l’Elysée, alors que Bruno Le Maire aurait souhaité son maintien. «Sur ce dossier, comme pour les autres, l’Autorité jugera à droit constant et continuera à le faire sans se laisser guider par des préoccupations politiques, assure Charlotte Colin-Dubuisson. L’éventuelle évolution de ladéfinition de marché pertinent, comme l’Autorité l’a fait dans le dossier Fnac-Darty, n’est pas nécessairement un élément politique, mais le résultat d’un travail très approfondi des équipes en charge du dossier à l’Autorité après avoir écouté toutes les parties prenantes».
Emmanuel Combe vient de rappeler les grands principes de l’Autorité dans une récente tribune des Echos. Il «a eu le mérite, suite à la polémique suscitée par le départ d’Isabelle de Silva, de remettre l’église au milieu du village, explique Camille Paulhac. En rappelant que la mission exclusive de l’Autorité est d’appliquer le droit de la concurrence, il replace le débat sur le terrain légal, seul pertinent en l’espèce. Il rappelle aussi avec justesse que le ministre de l’Economie dispose d’un pouvoir d’évocation, lui permettant, sur un fondement cette fois politique, de passer outre une décision de l’Autorité de la concurrence». Si le futur président ne peut infléchir les règles de concurrence, «il pourrait mettre l’accent sur d’autres critères plus politiques ou sociaux, comme l’emploi ou la formation de champions européens», anticipe un avocat.
Les nouvelles initiatives attendront
Pour les dossiers en cours, cet intérim ne devrait pas avoir d’impact. D’ailleurs, l’Autorité ne manque pas d’activité, la Commission européenne vient de lui renvoyer l’examen du rachat d’Allopneus par Michelin, et de Maxi Toys en France par Prenatal et Fijace. Le gendarme de la concurrence vient également de notifier des griefs à 14 organisations professionnelles et 101 entreprises sur le bisphénol A dans des contenants alimentaires. En outre, «les dossiers en contentieux et en contrôle des opérations de concentration sont encadrés par des délais qui doivent être respectés», poursuit Charlotte Colin-Dubuisson. Néanmoins, «pour les enquêtes sectorielles et les avis, les initiatives risquent de ne pas être prises dans l’attente d’un nouveau président», tempère un avocat en droit de la concurrence.
L’Autorité «a énormément soigné son image tant vis-à-vis du public français que de l’étranger ces dernières années. D’abord par le biais de ses décisions retentissantesaux conséquences dépassant les frontières françaises. Ensuite grâce à une politique de communication résolument moderne, didactique et pédagogique, conclut Camille Paulhac. Cette visibilité accrue, a pour revers naturel une forte couverture médiatique en France et à l’étranger du départ récent de sa présidente. Pour autant, je ne pense pas que cela change une image que les présidents successifs de l’Autorité cherchent à inscrire dans la durée au-delà des polémiques passagères : celle d’une autorité très sophistiquée et à la pointe des questions sociétales du moment».
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Immigration clandestine : raid policier dans une usine Hyundai-LG aux Etats-Unis, près de 500 arrestations
Washington - Près de 500 personnes, dont une majorité de Sud-Coréens, ont été arrêtées par la police de l’immigration dans une usine de fabrication de batteries des groupes sud-coréens Hyundai et LG dans l’Etat de Géorgie (sud-est), soupçonnées de travailler illégalement aux Etats-Unis. Le raid, mené jeudi, résulte d’une «enquête pénale liée à des accusations de pratiques d’embauche illégales et à de graves infractions fédérales», a expliqué vendredi Steven Schrank, un agent du service d’enquêtes du ministère américain de l’Intérieur, au cours d’une conférence de presse. Il s’agit de «la plus importante opération des forces de l’ordre sur un même site de toute l’histoire du service des +Homeland Security Investigations+ (+Enquêtes sur la sécurité intérieure+)», a-t-il affirmé, s’exprimant d’Atlanta, dans l’Etat de Géorgie. Les 475 personnes arrêtées dans cette usine, située dans la ville d’Ellabell, se «trouvaient aux Etats-Unis de manière illégale» et «travaillaient illégalement», a affirmé M. Schrank, soulignant que la «majorité» d’entre elles étaient de nationalité sud-coréenne. Sollicité par l’AFP aux Etats-Unis, le constructeur automobile a répondu être «au courant du récent incident» dans cette usine, «surveiller étroitement la situation et s’employer à comprendre les circonstances spécifiques» de cette affaire. «A ce stade, nous comprenons qu’aucune des personnes détenues n'était directement employée par le groupe Hyundai», a-t-il poursuivi, assurant donner «priorité à la sécurité et au bien-être de quiconque travaille sur ce site et au respect de toutes les législations et réglementations». De son côté, LG Energy Solution a affirmé suivre «de près la situation et recueillir toutes les informations pertinentes». «Notre priorité absolue est toujours d’assurer la sécurité et le bien-être de nos employés et de nos partenaires. Nous coopérerons pleinement avec les autorités compétentes», a ajouté cette entreprise. La Corée du Sud, la quatrième économie d’Asie, est un important constructeur automobile et producteur de matériel électronique avec de nombreuses usines aux Etats-Unis. Mission diplomatique Une source proche du dossier avait annoncé quelques heures plus tôt, de Séoul, qu’"environ 300 Sud-Coréens» avaient été arrêtés pendant une opération du Service de l’immigration et des douanes américain (ICE) sur un site commun à Hyundai et LG en Géorgie. De son côté, l’agence de presse sud-coréenne Yonhap avait écrit que l’ICE avait interpellé jusqu'à 450 personnes au total. Le ministère sud-coréen des Affaires étrangères avait également fait d'état d’une descente de police sur le «site d’une usine de batteries d’une entreprise (sud-coréenne) en Géorgie». «Plusieurs ressortissants coréens ont été placés en détention», avait simplement ajouté Lee Jae-woong, le porte-parole du ministère. «Les activités économiques de nos investisseurs et les droits et intérêts légitimes de nos ressortissants ne doivent pas être injustement lésés dans le cadre de l’application de la loi américaine», avait-il poursuivi. Séoul a envoyé du personnel diplomatique sur place, avec notamment pour mission de créer un groupe de travail afin de faire face à la situation. Les autorités sud-coréennes ont également fait part à l’ambassade des Etats-Unis à Séoul «de (leur) inquiétude et de (leurs) regrets» concernant cette affaire. En juillet, la Corée du Sud s'était engagée à investir 350 milliards de dollars sur le territoire américain à la suite des menaces sur les droits de douane de Donald Trump. Celui-ci a été élu pour un second mandat en novembre 2024, en particulier sur la promesse de mettre en oeuvre le plus important programme d’expulsion d’immigrés de l’histoire de son pays. Depuis, son gouvernement cible avec la plus grande fermeté les quelque onze millions de migrants sans papiers présents aux Etats-Unis. Au prix, selon des ONG, des membres de la société civile et jusqu’aux Nations unies, de fréquentes violations des droits humains. D’Atlanta, le Bureau de l’alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs (ATF) a expliqué sur X avoir participé à l’arrestation d’environ 450 «étrangers en situation irrégulière» au cours d’une opération dans une usine de batteries, une coentreprise entre Hyundai et LG. Selon son site internet, Hyundai a investi 20,5 milliards de dollars depuis son entrée sur le marché américain en 1986 et compte y investir 21 milliards supplémentaires entre 2025 et 2028. L’usine d’Ellabell a été officiellement inaugurée en mars, avec l’objectif de produire jusqu'à 500.000 véhicules électriques et hybrides par an des marques Hyundai, Kia et Genesis. Elle devrait employer 8.500 personnes d’ici à 2031. © Agence France-Presse