
La mesure et la relance de la productivité divisent les économistes

Comment accroître les gains de productivité ? Le débat reste complexe : gagner en productivité comme dans certains services avec la révolution Internet ne suffit pas. Il faut que ces gains accélèrent chaque année pour compenser les effets du vieillissement démographique, rappellent les spécialistes qui ont accepté de livrer leurs idées sur les pistes d’amélioration.
Pour François Geerolf, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et professeur assistant à UCLA (University of California-Los Angeles), la structure des économies, occidentales notamment, est un élément clé du débat. Il explique à la fois la baisse des investissements et l’effet multiplicateur moins important des innovations. «Une solution tient donc dans la réindustrialisation de nos économies : les Etats-Unis et la France en parlent avec plus ou moins d’effets. L’industrie est en effet plus productive que les services en moyenne, et les gains de productivité y sont donc plus importants», explique-t-il. En même temps, «on peut se demander si, les services connexes progressant aussi, cela augmenterait la part relative de l’industrie dans le PIB», nuance Michel Martinez, chef économiste Europe chez Société Générale CIB.
Une autre piste, cruciale pour certains, marginale pour d’autres, tient dans une révision des biais méthodologiques pour le calcul des gains de productivité. Ces biais sont liés notamment à la prise en compte des progrès technologiques et des services non marchands (environnement, éducation, santé), qui peuvent jouer un rôle dans la mesure de l’évolution de la productivité. «La hausse du prix des biens peut être intégrée soit dans l’inflation (hausse des prix), soit dans la production (hausse du service rendu)», rappelle l’universitaire François Geerolf. L’Insee a ainsi montré, en prenant l’exemple des appareils ménagers, téléphones, SMS ou automobiles, que ces différences de méthodes dans la mesure de l’inflation et du PIB avaient expliqué 0,2 point de pourcentage sur 1% de différence de PIB annuel en moyenne entre la France et l’Italie sur la période 2000-2016 – la démographie, la crise des dettes souveraines et d’autres facteurs structurels expliquaient le reste de la différence.
«Attention, s’attarder sur le partage entre prix et volumes (PIB réel) dans le calcul du PIB nominal ne change pas grand-chose aux grands agrégats économiques d’un pays», estiment Michel Martinez, ou encore Patrick Artus, conseiller économique de Natixis. «Selon les conventions choisies dans le partage prix-volume, on pourrait pourtant enregistrer une hausse des prix liée aux coûts de la transition écologique – la ‘greenflation’ tant redoutée par Isabel Schnabel à la BCE – ou de manière alternative des effets positifs sur le PIB réel, donc sur la productivité, insiste François Geerolf. C’est le cas si on considère par exemple que les véhicules électriques rendront un service supérieur. Et comme le prix de ces biens devraient diminuer, ceci pourrait même contribuer à faire baisser l’inflation mesurée.»
Quelle robotisation ?
Pour Bastien Drut, responsable des études et de la stratégie de CPR AM, «il existe trop de problèmes de définition pour avoir des certitudes sur la productivité comme sur le PIB potentiel, dont les économistes de la Banque centrale européenne (BCE) avaient d’ailleurs montré que des estimations très différentes étaient possibles». Même si l’économiste spécialisé Robert Gordon (Northwestern University) a évoqué la «fin de l’innovation» en démontrant que près de la moitié du ralentissement de la croissance américaine entre les périodes 1970-2006 et 2006-2016 était dû à la baisse de productivité, tout n’est pas définitivement perdu sur ce point-là. Les pénuries de main d’œuvre actuelle pourraient réaccélérer les investissements, comme on l’a vu avec une explosion de l’installation des robots dans l’industrie pendant le Covid, ajoute Bastien Drut. Et des technologies comme l’intelligence artificielle (IA) pourraient peut-être accroître notablement les gains de productivité dans les services aussi».
Sur le premier point, le rapport annuel de l’International Federation of Robotics (IFR) montrait une hausse de 31% des nouveaux robots installés en 2021 dans le monde, certes avec un effet de base important par rapport à l’année 2020 (517.000 vs 394.000 unités sur un stock record d’environ 3,5 millions d’unités, voir graphique). «Chaque révolution technologique implique un renouveau des investissements et des gains de productivité», rappelle aussi François Rimeu, stratégiste de la Française AM, tout en émettant une réserve en cas de remontée trop forte des taux réels.
«La hausse des dépenses militaires liée au contexte géopolitique inquiétant pourrait aussi avoir des retombées technologiques favorables sur la productivité», complète Patrick Artus. Enfin, après deux décennies d’émergence d’entreprises non viables (zombies) dans de nombreux secteurs, «la fin des taux bas et des soutiens publics pourrait amener à voir défaillir ces entreprises qui ne survivent pas grâce à leurs progrès et font globalement baisser les gains de productivité», conclut Maxime Darmet, senior économiste US et France du groupe Allianz. A condition de ne pas les sauver à nouveau…

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