
La guerre Suez-Veolia porte un mauvais coup au droit boursier

Une décision de justice bloquant un projet d’OPA rendue en pleine nuit. Un ministre de l’économie qui interpelle publiquement une autorité administrative indépendante. L’annonce, dimanche soir, du dépôt du projet d’offre publique d’achat de Veolia sur Suez, sans l’accord du conseil d’administration de ce dernier, a provoqué un enchainement d’événements inédits pour la Place de Paris, portant à son paroxysme la tension entre les différentes parties. Lundi soir, la commission des Affaires économiques du Sénat a même appelé le gouvernement à «imposer un cessez-le-feu».
Sur ce point, le ministre de l’Economie a plutôt soufflé sur les braises lundi. L’OPA de Veolia pose «des questions de transparence : pourquoi est-ce que subitement cette offre a été déposée ?», s’est étonné Bruno Le Maire, sur Europe 1. A tel point qu’il a annoncé «saisir l’Autorité des marchés financiers dès (lundi) matin», quitte à remettre en cause le statut d’autorité indépendante de l’AMF.
Sortie inédite du ministre de l’Economie
Il est toujours possible de discuter de la portée réelle de l’indépendance, quand son président est nommé par le président de la République. Mais jamais un ministre de l’Economie n’avait publiquement interpellé l’AMF. Une déclaration qui a suscité un réel émoi chez les spécialistes du droit boursier alors que l’article 9 de la loi de janvier 2017 portant sur le statut général des autorités administratives indépendantes stipule bien que «les membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes ne reçoivent ni ne sollicitent d’instruction d’aucune autorité».
Dans la réalité, personne ne saisit l’AMF, ni le ministre, ni une entreprise, ni un investisseur. Seule l’autorité a le pouvoir de se saisir d’un dossier.
Risque pour le jeu du marché
La déclaration de Bruno Le Maire a créé d’autant plus d’émoi qu’elle est intervenue après la décision du tribunal de commerce de Nanterre visant à empêcher Veolia de déposer son projet d’offre publique sur Suez. Cette décision prise en référé, à la demande de Suez, et sans contradiction, sous prétexte que Veolia ne respecte pas son engagement ’d’amicalité’ vis-à-vis du conseil d’administration de sa cible, est totalement inédite. Si ce référé était confirmé lors de la décision sur le fond rendue prochainement, cela risquerait de renverser les règles habituelles du droit boursier, normalement sous la responsabilité de l’AMF.
«Interdire à Veolia de déposer une offre, alors que tout autre intervenant peut le faire, fait obstacle au bon fonctionnement du marché et au libre jeu des enchères», s’inquiète par exemple Colette Neuville, la présidente de l’Association de défense des actionnaires minoritaires. «L’avis motivé et la conformité de l’offre devraient-ils être un préalable à son dépôt ?», craint ironiquement un avocat spécialisé en droit boursier.
Veolia devrait demander ce mardi l’ouverture d’une procédure de rétractation de l’ordonnance.
L’AMF affirme son autorité
Après ces deux écueils, l’AMF a indirectement réaffirmé son autorité lundi en fin de journée. Elle a confirmé dans un avis avoir bien reçu dès lundi matin, 7 heures, le projet d’offre publique de Veolia sur Suez, soit une vingtaine de minutes avant que l’ordonnance ne soit communiquée à Veolia. L’ordonnance n’était d’ailleurs pas opposable à l’AMF. Ce dépôt officiel ouvre donc la voie, malgré la demande du ministre et l’ordonnance, à l’examen du dossier par les services de l’AMF selon la procédure habituelle. Elle a un mois pour décider si l’offre est recevable, ou non. Suez aura alors la possibilité, s’il le souhaite, d’engager un recours contre la décision de recevabilité. Ce sera alors à la cour d’appel de Paris de trancher.
Cette nouvelle poussée de testostérone aura peut-être le mérite de ramener les deux acteurs à la raison. Lors d’une conférence de presse organisée lundi après-midi, Philippe Varin, le président de Suez, et son directeur général, Bertrand Camus, se sont dits prêts à trouver une «solution négociée» avec Veolia. «Je reste absolument ouvert à continuer les discussions mais cela a besoin d'être encadré de façon beaucoup plus stricte», a déclaré Bertrand Camus. Un nouveau rendez-vous avec Antoine Frérot est prévu cette semaine.
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Gaza-ville: sous les bombes, les Palestiniens fuient l'assaut israélien
Nousseirat - A bord de tracteurs, charrettes ou camionnettes surchargées, parfois même à pied, des Gazaouis affluent en flux continu par la grande route côtière dans le centre du territoire palestinien, fuyant la ville de Gaza, au nord, où Israël intensifie son assaut. «On a été déplacés de force sous des bombardements intensifs», témoigne Saeb al-Mobayed, venus du nord de la ville de Gaza. «Beaucoup de bâtiments ont été détruits», et «des mosquées près d’endroits abritant des déplacés ont également été visées, nous forçant à partir», ajoute-t-il. Les déplacés de ce nouvel exode de populations dans la bande de Gaza, ravagée par près de deux ans de guerre, laissent derrière eux un paysage de ruines, où des nuages de poussière s'élèvent au dessus de montagnes de décombres et d’immeubles détruits par les bombes israéliennes. L’armée a appelé mardi tous les habitants de Gaza-ville, le principal centre urbain du territoire, à en partir immédiatement vers le sud, avertissant qu’elle allait y frapper durement le mouvement palestinien Hamas. L’ONU estime qu’environ un million de personnes vivent dans la ville et ses alentours. Sur la route, défilent des véhicules souvent cabossés où s’entassent les passagers, et qui croulent sous des empilements de meubles, tables, chaises, et matelas. D’autres doivent se contenter de pousser à la main de lourdes charrettes, ou des vélos. «Qu’ils ouvrent les postes-frontières, qu’ils mettent fin à la guerre et qu’ils permettent à la vie de revenir à la normale, comme avant. Ça suffit», exhorte parmi ces déplacés Ahmed Shamlakh. L’armée israélienne affirme que ces Gazaouis trouveront nourriture, tentes et médicaments, dans une zone qu’elle qualifie d’"humanitaire» à Al-Mawasi, au sud. Mais selon le porte-parole de la Défense civile de Gaza, Mahmoud Bassal, dans le centre et le sud du territoire il n’y a «pas d’abri, pas d’espace pour installer des tentes, pas de nourriture et pas d’eau potable» Et en près de deux ans de guerre, l’armée a souvent bombardé des zones déclarées «humanitaires» dans la bande de Gaza, affirmant y viser des combattants du Hamas. «Humiliation» Quasiment toute la population gazaouie a été déplacée au moins une fois depuis le début de l’offensive israélienne, lancée en représailles à une attaque du mouvement islamiste palestinien en Israël, le 7 octobre 2023. A Gaza-ville, où des avions militaires ont largué des centaines de tracts ordonnant aux habitants d'évacuer, Khaled Khuwaiter n’en peut plus. «Je demande à Israël: où sommes nous censés aller ?», interpelle cet homme de 36 ans, qui a déja du fuir son quartier pilonné de Zeitoun. «Les bombardements sont partout, les gens meurent partout. Nous n’avons plus que Dieu, puisque le monde nous regarde nous faire massacrer et ne fait rien». «L'évacuation est une humiliation» s’indigne Mirvat Abu Muammar, 30 ans, également déjà déplacée avec son mari et leurs trois enfants, et qui dit manquer de tout. Avec sa famille, elle «attendra de voir». «Ca fait deux ans que nous n’avons pas eu un moment de répit ou de sommeil. Juste la mort, la destruction, et le désespoir». L’attaque du 7-Octobre a entraîné la mort de 1.219 personnes côté israélien, en majorité des civils, selon un décompte de l’AFP basé sur des données officielles. D’après l’armée, 47 captifs restent retenus à Gaza dont 25 présumés morts, sur un total de 251 personnes enlevées ce jour là. L’offensive israélienne a fait au moins 64.605 morts à Gaza, selon le ministère de la Santé du Hamas, dont les chiffres sont jugés fiables par l’ONU. © Agence France-Presse -
Immigration: les entrées irrégulières et les demandes d'asile baissent, et pourtant la pression reste très forte pour serrer la vis
Bruxelles - Moins d’entrées irrégulières, moins de demandes d’asile... Et pourtant, l’Europe subit toujours une pression très forte pour durcir sa politique migratoire, une dynamique qui se reflète dans les propositions en débat parmi les Vingt-Sept. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Au cours de la première moitié de l’année, le nombre d’entrées irrégulières sur le territoire européen a chuté de 20% selon l’agence européenne de frontières Frontex. Elles ont dégringolé sur la route des Balkans et se concentrent désormais en Méditerranée. Les demandes d’asiles enregistrées dans les pays de l’Union européenne et ses voisins ont elles aussi reculé de 23% par rapport à la même période l’an dernier, selon des données publiées lundi. Face à la poussée de la droite et de l’extrême droite, l’Europe a pourtant rarement été sous une telle pression pour serrer la vis sur l’immigration. «Il y a au niveau politique ce sentiment qu’il faut répondre aux attentes des citoyens», note Camille Le Coz, directrice du centre de réflexion Migration Policy Institute Europe, évoquant la «montée de partis anti-migrants» partout sur le continent. Pour ces groupes politiques, la baisse du nombre d’arrivées est loin d'être suffisante. «Cela ne peut pas être le seul critère à prendre en compte», souligne, dans un entretien à l’AFP, l’eurodéputé du Rassemblement national et ancien patron de Frontex Fabrice Leggeri, plaidant pour qu’elle se conjugue avec une hausse significative des renvois. Moins de 20% des décisions d’expulsion de migrants sont actuellement suivies d’effets au sein de l’UE, une statistique régulièrement brandie par les partisans d’une ligne migratoire plus ferme. «Alléger la pression» Pressée à agir sur cette question, tout particulièrement par l’Allemagne, l’Autriche et les pays scandinaves, la Commission avance à marche forcée. Quelques mois seulement après l’adoption d’une loi titanesque sur la migration, qui doit entrer en vigueur en 2026, l’exécutif européen a mis trois propositions supplémentaires sur la table. Elles permettront «d’alléger la pression sur nos systèmes d’asile», a assuré lundi le commissaire chargé des questions migratoires, Magnus Brunner. Si elles venaient à être adoptées, les nouvelles propositions de la Commission permettraient aux Etats membres: - D’ouvrir des centres en dehors des frontières de l’UE pour y envoyer les migrants dont la demande d’asile aurait été rejetée, les fameux «hubs de retours». - De sanctionner plus durement les migrants qui refusent de quitter le territoire européen, via notamment des périodes de détention plus longues. - De renvoyer des migrants vers des pays dont ils ne sont pas originaires mais que l’Europe considère comme «sûrs». «Popcorn» Autant de mesures qualifiées de «cruelles» par la gauche et les associations de protection de migrants. Mais sur lesquelles les groupes de droite au Parlement et les Etats membres veulent avancer vite. Sous l’impulsion du Danemark, qui assure la présidence tournante de l’Union européenne, les Vingt-Sept ont déjà entamé l’examen de plusieurs de ces mesures, ont affirmé plusieurs sources à l’AFP. Ils espèrent adopter une position commune d’ici la fin de l’année, malgré des réticences exprimées notamment par l’Espagne, l’Irlande et le Portugal sur les questions de respect des droits humains. L’objectif est d’entamer des négociations en début d’année prochaine avec le Parlement, théâtre de tractations très difficiles, notamment sur la question des «hubs de retour», selon plusieurs eurodéputés qui y prennent part. Des discussions extrêmement périlleuses sont par ailleurs en cours entre les Etats membres et la Commission sur une nouvelle répartition des demandeurs d’asile sur le continent. L’idée est d’identifier quels sont les pays de l’UE les plus confrontés à une «pression migratoire». Et de déterminer, sur cette base, combien de migrants les autres Etats membres sont prêts à «relocaliser» sur leur sol, ou quelle aide financière ils sont prêts à leur verser. L’exécutif européen doit présenter sa copie aux Vingt-Sept le 15 octobre. «Préparez le popcorn», glisse un fonctionnaire européen, prédisant des négociations extrêmement «sensibles». Camille CAMDESSUS © Agence France-Presse -
Hausse record du niveau de formation dans l'OCDE, mais des inégalités et un déficit de compétences persistent
Paris - Le niveau de formation a fortement augmenté dans l’OCDE depuis le début des années 2000 avec un taux sans précédent de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, indique le rapport annuel «Regards sur l’Education» publié mardi. «48% des jeunes adultes des pays» membres sont désormais diplômés de l’enseignement supérieur «contre 27% en 2000", souligne ce rapport de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), qui rassemble les pays les plus industrialisés. L’Irlande et la Norvège affichent notamment des «progrès remarquables» avec une hausse de diplômés du supérieur d’environ 6 points de pourcentage entre 2005 et 2024, suivies par la Colombie, le Costa Rica, l’Espagne, la Grèce, l’Italie, le Mexique, le Portugal et la Turquie, a noté Mathias Cormann, le secrétaire général de l’OCDE, lors d’une présentation du rapport. L’OCDE souligne cependant que nombre d'étudiants ne finissent pas leurs études, en particulier les hommes, en raison d’une inadéquation entre attentes et réalité de la formation, ou d’un manque de soutien aux étudiants. Autre problème: diplôme ne veut pas toujours dire compétences. Ces dernières, notamment en maîtrise de l'écrit et des mathématiques, ont stagné ou diminué sur la dernière décennie dans la plupart des pays membres. «En France, il y a des adultes qui ont passé des années à l'école et parfois à l’université et qui n’ont même pas les compétences en littératie (compétences à l'écrit, ndlr) d’un enfant de 10 ans», a relevé Andreas Schleicher, directeur du département d’Education et des compétences de l’OCDE, lors de la présentation. Les études supérieures rapportent En outre, malgré la hausse des diplômés de l’enseignement supérieur, les entreprises ont du mal à trouver les qualifications dont elles ont besoin: «40% des employeurs sont en état de pénurie de compétences», relève l’OCDE, qui recommande la généralisation des formations courtes certifiantes tout au long de la vie active, afin d’aider «les travailleurs à s’adapter à l'évolution des besoins des entreprises, particulièrement avec la montée de l’intelligence artificielle. L’OCDE insiste sur un point souvent débattu: les études supérieures sont rentables, même lorsqu’elles coûtent cher comme en Angleterre ou aux Etats-Unis. «Une bonne éducation rapporte. Si vous avez une licence, vous gagnez 39% de plus qu’un diplômé de l’enseignement secondaire», et encore plus avec un master, fait valoir Andreas Schleicher. La plus-value d’un diplôme du supérieur dans une trajectoire professionnelle fait que la mobilité des étudiants internationaux ne cesse de croître, en dépit du coût des formations. Bémol notable: l’inégalité de l’accès à l’enseignement supérieur persiste et les enfants de diplômés du supérieur ont encore beaucoup plus de chances de décrocher eux aussi une formation de l’enseignement supérieur et de la terminer que ceux dont les parents n’ont pas fait d'études supérieures. Certains pays comme le Danemark et la Corée ont réussi à gommer en partie ces inégalités avec «tout de même 40% de possibilités d’avoir un diplôme de l’enseignement supérieur si vos parents n’ont pas terminé leurs études secondaires». A l’inverse en Hongrie ou en Lituanie par exemple ce taux n’est que de 7%. M. Schleicher relève que le système britannique de prêts étudiants est plutôt mieux à même de gommer les inégalités que certains autres pays où l’Etat finance davantage les études supérieures: le remboursement sera exigé après la fin des études seulement si le jeune gagne au moins un certain niveau de rémunération. Véronique DUPONT © Agence France-Presse