
La Fed fait attendre les premiers indices de pivot de sa politique monétaire

La Réserve fédérale (Fed) devrait, ce mercredi à la fin de la réunion du comité de politique monétaire (FOMC), opter pour une nouvelle forte hausse de taux de 75 points de base (pb) amenant le haut de fourchette des taux Fed funds à 4%. Le 21 octobre, le Wall Street Journal, qui est généralement bien informé, indiquait que, outre une quatrième hausse de taux 75 pb en novembre, les gouverneurs pourraient commencer à débattre d’une augmentation plus faible pour le 14 décembre.
Cette perspective puis le passage à l’acte de la Banque du Canada (BoC) mercredi et le discours un peu moins restrictif (hawkish) de la Banque centrale européenne (BCE) jeudi avaient même porté la probabilité d’une hausse de 50 pb à 18% sur les marchés de futures… jusqu’à la publication des données PCE (personal consumption expenditures) faisant ressortir une inflation annuelle sous-jacente (hors énergie et alimentation) en légère hausse à 5,1%. «Les marchés obligataires et dérivés deviennent de plus en plus sensibles aux nouvelles au fur et à mesure que l’on s’approche du pic de taux, ce qui, en probabilité, est un peu plus le cas à chaque nouvelle hausse importante dans le cycle de resserrement monétaire, rappelle William de Vijlder, directeur de la Recherche économique de BNP Paribas. Ils ont peur de rater le départ du rallye obligataire, qui devrait devancer le pic de taux, et, en même temps, redoutent des pertes si ce pic se faisait attendre. En conséquence, leur horizon d’investissement s’est raccourci et les investisseurs sont très nerveux», ajoute-t-il à propos des «faux départs» à répétition vécus cette année.
Effets cumulés
Pour l’instant, l’économie américaine résiste étonnamment à l’inflation et aux hausses de taux, comme l’ont rappelé vendredi à la fois les volumes PCE sur la consommation des ménages, tant en nominal (+0,6%) qu’en valeur réelle (+0,3%), et l’indice ECI des coûts du travail encore en hausse de 1,2% en juillet-septembre (+1,3% en avril-juin, +1,4% en janvier-mars). Cette résistance - qu’on ne retrouve pas dans le secteur immobilier où la confiance, les ventes, les contructions, les prix et même les loyers se sont effondrés avec la hausse très rapide des taux hypothécaires au-dessus de 7% à 30 ans - s’explique peut-être par un transfert des dépenses chez les jeunes ménages.
Une autre hypothèse tient à l’excès d’épargne, ces 2.300 milliards de dollars accumulés avec la crise du Covid et les aides fiscales jusqu’à fin 2021, qui au rythme présenté dans une récente étude de la Fed arrêtée à fin juin, auraient déjà fondu à 1.300 milliards avec la chute du revenu réel, même si cela reste un coussin d’atterrissage pour l’économie. Cette épargne étant très inégalement répartie, les plus modestes ont recommencé à utiliser du crédit à la consommation, dont les taux ont pourtant explosé au-dessus de 18% (crédit revolving).
«Dans ce contexte, une des questions est de savoir comment le ‘pricing power’ des entreprises va pouvoir prolonger l’inflation», poursuit William de Vijlder. La vice-présidente de la Fed Lael Brainard a lancé début octobre que «l’effet conjugué d’un resserrement mondial simultané peut être supérieur à la somme de ses parties». De fait, Maurice Obstfeld (Peterson Institute, PIIE) estime que, outre les effets des resserrements monétaires en chaîne, comme l’inflation d’un pays dépend en grande partie des capacités de production inemployées au niveau mondial, des hausses de taux synchrones décidées par de nombreux pays pourraient, via leur impact sur cet output gap mondial, causer une baisse soudaine et importante de l’inflation.
«On manque de références sur l’inflation sous-jacente. Mais les effets sont rarement linéaires en économie, dépendant de l’élasticité de la demande au prix, comme l’a rappelé récemment la direction de Heineken, déçue par les ventes sur les bières plus chères, ajoute William de Vijlder. La tendance sur les prix, comme sur l’emploi qui est aussi un indicateur retardé, pourrait basculer rapidement, mais plutôt à partir de 2024, notamment du fait des contrats interentreprises qui impliquent une grande inertie.»
Ralentir sans pivoter
Après un resserrement historiquement rapide, d’autres gouverneurs de la Fed se sont exprimés sur l’opportunité de débattre d’un ralentissement, même chez les plus faucons comme Chris Waller ou James Bullard (Fed de Saint-Louis). Tout en prônant deux hausses de 75 pb en novembre et en décembre pour avancer la lutte contre l’inflation, ce dernier a reconnu, sans remettre en cause l’idée de «soft-landing», que pourrait ensuite débuter «une bonne dynamique désinflationniste» permettant au FOMC de «maintenir le taux directeur stable» - probablement autour de 5% pour abaisser l’inflation PCE core à moins de 3% en 2023. Des gouverneurs plus «dovish» préféreraient plus de progressivité en amont, sans trop diverger cependant.
Les banquiers encadrés par Jerome Powell pourraient «être réticents à signaler un ralentissement du rythme des hausses, de peur que les marchés n’interprètent la décision comme un ‘pivot accommodant’», rappelle Bank of America dans une note soulignant que «la destination finale est plus importante que le voyage». Une solution possible serait d’approuver une augmentation d’un demi-point en décembre tout en utilisant leurs nouvelles projections (dots) pour signaler qu’ils continueront à relever les taux en 2023 un peu plus haut que prévu. «La banque centrale peut désormais passer d’une stratégie de ‘rattrapage’ à une stratégie de ‘sondage’, ce qui réduit le risque d’erreur de politique», résume Gilles Moëc, chef économiste d’Axa IM.
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