La BCE tente de convaincre de son ton plus accommodant

Le Conseil politique monétaire a revu sa «forward guidance» sans la rendre vraiment plus crédible.
Fabrice Anselmi
BCE CHristine lagarde conférence politique monétaire du 22 juillet 2021
Christine Lagarde, présidente de la BCE, lors de la conférence de presse du 22 juillet 2021.  -  Photo Sanziana Perju / ECB

La Banque centrale européenne (BCE) semble rassurer les marchés sur son ton plus accommodant (dovish), mais on peut se demander jusqu’à quand, tant le message final reste brouillé. L'écart (spread) entre les taux italien et allemand (BTP-Bund), qui était monté de 96 à plus de 110 points de base après l’adoption de la revue de stratégie monétaire le 8 juillet, était bien la preuve d’une première victoire des gouverneurs «moins accommodants» (hawkish) ou «allemands» sur les gouverneurs plus «italiens»… Jeudi, la sortie du nouveau communiqué de politique monétaire adopté à une simple majorité du Conseil des gouverneurs a d’abord réduit cet écart à 102 points de base, avant qu’il ne remonte à 107 après.

Comme prévu, la banque centrale n’a pris aucune nouvelle décision concernant les taux directeurs, les programmes d’achat d’actifs (QE) conventionnel (APP) et d’urgence pandémique (PEPP) ou les opérations de refinancement à long terme (TLTRO), mais seulement révisé ses indications prospectives sur les taux (forward guidance) pour les accorder à sa nouvelle stratégie.

Le Conseil prévoit désormais que les taux resteront à leurs niveaux actuels ou plus bas «jusqu’à ce qu’il constate que l’inflation atteint 2% bien avant la fin de son horizon de projection et durablement sur le reste de son horizon de projection, et qu’il juge les progrès de l’inflation sous-jacente suffisants pour être compatibles avec une stabilisation de l’inflation à 2% à moyen terme». Selon les explications de Christine Lagarde, l’horizon de projection étant celui des prévisions des économistes de la BCE à trois ans (N, N+1, N+2), un relèvement des taux pourra commencer à être envisagé à trois conditions : lorsque ces prévisions seront de 2% au point médian de la période (en année N+1 a priori), que cette situation sera durable (donc en N+2), et donc, petite nouveauté, que les progrès effectivement réalisés sur l’inflation sous-jacente sont déjà proches de niveaux compatibles avec l’objectif (donc en année N).

Certains ont salué la clarté du message. Il apporte en fait deux confirmations : premièrement, malgré une stratégie soi-disant «symétrique» avec une possible tolérance pour un dépassement de l’inflation, il n’y aura pas de dépassement volontaire (overshooting) comme pour la Fed américaine ; deuxièmement, les moyens d’arriver à l’objectif ne sont toujours pas clairs, même si la présidente de la BCE a en quelque sorte estimé qu’il suffit de le dire pour le réaliser.

«En dehors de cette clarification sur la ‘forward guidance’, il n’y a effectivement pas eu d’annonces nouvelles sur les moyens de faire revenir l’inflation autres que de maintenir plus longtemps le degré de stimulus actuel», indique Gilles Moëc, chef économiste d’Axa IM. Pour rappel, les prévisions de la BCE étaient en juin de : +1,9% pour 2021, +1,5% pour 2022, +1,4% pour 2023. Et les swaps d’inflation à cinq ans dans cinq ans (5Y5Y) en euro anticipent toujours seulement +1,6% dans 5 ans.

La BCE n’est pas pressée

La nouvelle stratégie précise que, dans la situation (actuelle) où les taux (et donc l’économie) se trouvent proches de la borne inférieure, elle impliquerait «des mesures de politique monétaire particulièrement fortes ou persistantes pour éviter que des écarts négatifs par rapport à l’objectif d’inflation ne se perpétuent». «C’était une manière de retranscrire les discours de Fabio Panetta (un membre italien du directoire de la BCE, ndlr) - qui souhaite en faire plus et plus vite pour réduire l’écart – et d’Isabel Schnabel (membre allemande du directoire de la BCE, ndlr) – qui estime que cela ne sert à rien et qu’il faut juste être patient, éventuellement en redéfinissant la notion de ‘moyen terme’, rappelle Nicolas Goetzmann, directeur de la recherche de la Financière de la Cité. La première notion n’apparaît plus dans la déclaration de jeudi, alors que la seconde y est répétée trois fois», ajoute l’analyste pour illustrer une nouvelle victoire des gouverneurs «allemands», loin de l’équilibre entre les deux «courants de pensée» promis par Christine Lagarde, alors que les projections d’inflation restent très faibles dans tous les pays d’Europe du Sud (France inclus).

D’autres analystes espéraient une marge d’interprétation du Conseil des gouverneurs - non contraint par l’unanimité jeudi - pour jouer sur un «potentiel de surprise» et rendre la nouvelle stratégie monétaire crédible. L’ancien gouverneur de la Banque de Chypre devenu professeur d’économie au MIT Athanasios Orphanides déclarait même qu’«un assouplissement massif de la politique monétaire est la seule politique logique qui serait cohérente avec l’objectif symétrique de 2% que le Conseil a adopté il y a quelques jours».

«La conférence de presse n’a pas fait toute la lumière sur cette nouvelle politique, notamment sur l’ampleur de l’écart par rapport à l’objectif d’inflation qu’elle tolérera et sur le rôle que les conditions de financement joueront dans la poursuite du QE», regrette Sylvain Broyer, chef économiste EMEA de S&P Global Ratings. L’avenir du PEPP n’a pas été discuté mais pourrait l’être cet automne si le variant Delta ne vient pas ralentir la reprise…

La BCE apparaît donc un peu plus «dovish» qu’avant sa nouvelle stratégie, mais encore beaucoup moins que la Fed, qui sait aussi se rendre plus crédible. Les taux resteront bas longtemps, probablement jusqu’en 2024 au moins, mais les marchés – qui ont terminé dans le vert – semblent se satisfaire de ce renoncement à y remédier en cherchant à relancer la croissance sans laquelle il n’y aura pas davantage d’inflation à terme.

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