La BCE jongle avec la fragmentation de la zone euro

La Banque centrale européenne a confirmé la fin de son programme d’achat d’actifs et annoncé le relèvement de ses taux de 25 points de base en juillet.
Fabrice Anselmi
Banque centrale européenne (BCE), conférence de presse du Conseil des gouverneurs le 9 juin 2022 à Amsterdam (Pays-Bas)
Conférence de presse du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, le 9 juin 2022 à Amsterdam.  -  ECB/Dirk Claus

Déception ou pas ? Le spread entre les taux à 10 ans italiens et allemands, BTP-Bund, que beaucoup regardent comme un indicateur de la fragmentation financière en zone euro, a bondi de 22 points de base (pb), de 206 à 228 pb, après la publication du communiqué de politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). Le Conseil des gouverneurs, dont on savait d’avance qu’il annoncerait, jeudi, l’arrêt du programme d’achats d’actifs réguliers (APP) fin juin – après celui des achats d’urgence (PEPP) fin mars –, avait le choix entre deux chemins pour la suite. Malgré un discours résolument restrictif («hawkish», ou «faucon») sur l’inflation, Christine Lagarde n’a pas pu révéler un choix clair entre une remontée des taux progressive et une remontée des taux rapide accompagnée d’un outil anti-fragmentation.

La présidente a annoncé que la BCE relèverait ses taux directeurs de 25 pb le 21 juillet, d’un cran «significatif» mais «pas excessif», et «indicatif», pour commencer le «long voyage» de la normalisation. Elle recommencera ce mouvement le 8 septembre, avec un relèvement de 50 pb «si les perspectives d’inflation à moyen terme se maintiennent ou se détériorent, par exemple si les projections d’inflation en année N+2 (selon la formule de la ‘forward guidance’) sont toujours au-dessus de 2%». Ces décisions mettent fin à l’ère des taux négatifs lancée en juin 2014.

La plupart des analystes ont intégré les deux premières hausses, de 25 et 50 pb, et, «dans ce cadre, l’écartement des rendements était inévitable et mais assez contrôlé», estime Antoine Bouvet, stratégiste taux chez ING. Comme pour les marchés de swaps, Michel Martinez, chef économiste Europe de Société Générale CIB voit désormais le début d’une séquence de hausses de 25, 50, 50 et 25 pb cette année.

Projections optimistes ?

Ces annonces s’appuient sur de nouvelles projections économiques pour la zone euro, mais «la réaction des marchés nous a semblé plus forte qu’attendu du fait d’un atterrissage de l’inflation annoncé toujours au-dessus de la cible malgré des mesures fortes», remarque Patrice Gautry, chef économiste au sein de l’UBP. Ses homologues de la BCE anticipent désormais une inflation annuelle de 6,8% pour 2022 (au lieu de 5,1% en mars) avec 3,3% d’inflation sous-jacente, 3,5% en 2023 (au lieu de 2,1%) et 2,1% en 2024 (au lieu de 1,9%). Ils tablent aussi sur 2,8% de croissance pour 2022 (au lieu de 3,7% en mars), puis 2,1% en 2023 (au lieu de 2,8%) et 2,1% en 2024 (au lieu de 1,6%). «Nous sommes plutôt entre 2% et 2,5% de croissance en 2022 et entre 1,5% et 2% en 2023 une fois les acquis de croissance effacés», relativise Patrice Gautry. «La prévision d’une inflation à long terme supérieure à 2% est sans précédent et reflète un changement majeur», ajoute Nicolas Forest, responsable de la gestion obligataire chez Candriam, pour qui «lancer le processus de normalisation à ce stade du cycle reste un véritable défi».

Les chiffres de la BCE sont pourtant en phase avec le consensus : +6,8% d’inflation et +2,7% de PIB en 2022. «La croissance a pour l’instant bien résisté aux chocs inflationnistes depuis décembre, et la réouverture de nombreux secteurs, comme le tourisme, que l’on constate via les indicateurs à haute fréquence devrait prolonger la bonne surprise du premier trimestre au moins sur les deux suivants. Sans compter les désengorgements pouvant venir de Chine», poursuit Michel Martinez. «Les données annualisées sur les revenus des ménages, avec la hausse des salaires, les primes et la reprise du travail pour ceux qui étaient coincés par les restrictions Covid en 2021, sont aussi très positives, à +6,9% sur un an en France au premier trimestre. Avec l’expansion budgétaire, tout cela ne laisse pas entrevoir – sauf aggravation de la crise en Ukraine – de récession à court terme», ajoute-t-il en appuyant les estimations de la BCE, qui ne voit pas encore le début d’une spirale inflationniste par les salaires.

Un seuil d’intervention à tester

La conjoncture économique a redonné la main aux gouverneurs «faucons». «Les marchés ont sans doute regretté de ne pas avoir d’informations sur un hypothétique outil anti-fragmentation», note Patrice Gautry. Mais la BCE ne peut pas trop donner d’informations sur un tel outil parce qu’il impliquerait de nombreuses contraintes réglementaires. «Et parce que cela permettrait d’estimer un seuil d’intervention que les marchés cherchent donc à tester, ajoute Michel Martinez. Nous ne pensons pas que la BCE en donnera ‘ex ante’, ni même qu’elle créera un tel outil sans crise majeure. Pour l’instant, elle se concentre sur l’inflation, et il est plus facile de remonter les taux plus fort dans la première phase pour ralentir les hausses ensuite, en testant le taux neutre, qui se situe sans doute quelque part entre 1% et 2%.»

Lors de la conférence de presse, Christine Lagarde a évoqué un moindre usage des outils non conventionnels. Le taux préférentiel à -1% (au lieu de -0,50% pour le taux de dépôt) sur les opérations de refinancement à long terme ciblées (TLTRO 3) prendra fin le 23 juin, ce qui devrait en limiter l’intérêt et participer à réduire la taille du bilan de la BCE d’ici à mi-2023. Et, alors que «les réinvestissements du PEPP jusqu’à fin 2024 pourraient ne pas être suffisants pour lutter contre la fragmentation en zone euro», pour Antoine Bouvet, elle a insisté sur une reformulation vague des conditions de réinvestissement de l’APP, qui a aussi pu inquiéter les marchés.

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