
La BCE cherche la nuance

La Banque centrale européenne s’est adonnée à un exercice compliqué jeudi : admettre que les risques sur l’inflation diminuent sans remettre en cause sa détermination à la ramener sous contrôle et à monter les taux. De fait, si l’institution a remonté de 50 points de base (pb) ses taux directeurs, et entend les relever de nouveau de 50 pb en mars, les prochaines décisions seront prises, réunion par réunion, et continueront d’être dépendantes des données.
«La hausse de 50 points de base mise en avant pour mars est, en définitive, le principal élément restrictif du discours de la BCE. A l’inverse, la réévaluation de la politique monétaire au cas par cas et en fonction des données, à partir de mai, est une décision qui plaide en faveur d’une approche plus souple de la banque centrale, et comparable à celle de la Fed ou de la BoE», estime Sylvain De Bus, responsable adjoint des obligations européennes chez Candriam. Les marchés ont largement partagé cette lecture. Le pic est toujours attendu pour fin juillet, mais à un niveau plus faible, 3,29%, contre 3,44% un mois plus tôt.
Inflation élevée
Christine Lagarde, présidente de la BCE, a pourtant cherché à limiter cette impression lors de sa conférence de presse. Rappelant que l’inflation cœur demeurait à un niveau historiquement élevé en janvier 5,2%, la dirigeante a fait valoir qu’il restait une marge importante avant que les taux ne soient suffisamment restrictifs, et qu’il faudrait les maintenir à ce niveau aussi longtemps que nécessaire pour ramener l’inflation à 2%. «L’inflation globale a ralenti, ce qui limite la pression sur la BCE, constate Xavier Chapard, stratégiste chez LBPAM. Pour autant, l’approche réunion par réunion et une éventuelle stabilisation des taux ne sont pas synonymes d’une baisse de taux, alors que les marchés anticipent un assouplissement de la politique monétaire en deuxième partie d’année».
L’incertitude demeure élevée sur l’évolution de l’inflation. «Les risques sur l’inflation et la croissance sont désormais symétriques», a commenté Christine Lagarde : le principal facteur pouvant faire espérer une décrue des hausses de prix est celui d’une baisse des prix de l’énergie. Reste que les pressions salariales commencent à se manifester: «le rattrapage de l’inflation par les salaires est le principal thème des négociations salariales», a ainsi précisé la dirigeante. Et la transmission du prix élevé de l’énergie et des intrants aux consommateurs finaux est encore en cours.
Par ailleurs, les pressions sur les coûts du secteur des services demeurent importantes, ce qui plaide à court terme pour une poursuite du resserrement monétaire. Ce, malgré l’impact des taux plus élevés, déjà visibles. Le crédit aux entreprises et aux ménages est en contraction sur les derniers mois. La banque centrale a toutefois alerté sur le risque d’un décalage entre politique budgétaire et monétaire, qui soutiendrait la demande et la forcerait à remonter davantage ses taux. La réponse à l’Inflation Reduction Act pourrait aussi aller contre l’objectif de la banque centrale.
Ces incertitudes justifient la posture moins directive de la BCE. «La hausse de mars est le gage consenti aux faucons en décembre. Par ailleurs, en se tenant à son engagement, la BCE améliore la crédibilité de sa communication, mise à mal l’an dernier, rappelle Franck Dixmier, directeur des gestions obligataires chez Allianz Global Investors. A plus long terme, la banque centrale refuse pourtant de s’enfermer dans une «forward guidance» qui pourrait être démentie par des mouvements imprévus sur l’inflation».
Enfin, la décision de jeudi précise le resserrement quantitatif, qui débutera en mars. Comme indiqué en décembre, 15 milliards d’euros de retombées du programme d’achat d’actifs (APP) ne seront pas réinvesties, sur les mois de mars à juin. Les réinvestissements restants respecteront les clés de répartition, avec une différence : les achats de titres d’entreprises favoriseront les émetteurs plus respectueux du climat. Le rythme du resserrement quantitatif sera ajusté au fil du temps après juin.
Anticipations
La réunion de politique monétaire de mars permettra donc d'éclairer la posture de la BCE. L’institution publiera ses nouvelles projections d’inflation à trois ans, qui intégreront notamment l’impact de la réouverture de l'économie chinoise et des prix de l’énergie revus à la baisse. Les dernières anticipations, publiées en décembre, avaient surpris à la hausse : celles de mars pourraient donc les ramener à des niveaux moins élevés.
En attendant, la BCE persiste et signe. Christine Lagarde a conclu sa conférence en rappelant que, quels que soient les effets négatifs de sa politique monétaire, la BCE «fera son travail» : ramener l’inflation à l’objectif.
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