La BCE cherche à régler sa tuyauterie monétaire

C’est pour éviter des «effets de bord» qu’elle a dû revoir la rémunération des dépôts des Etats.
Fabrice Anselmi
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Des Etats pourraient déséquilibrer le marché monétaire en y déversant des excès de trésorerie jusqu’alors déposés en banque centrale.  -  Photo ECB (CC BY-NC-ND 2.0).

Les équilibres monétaires sont fragiles, nous apprennent régulièrement les événements de marché. Et remonter ses taux de 75 points de base (pb) – dont le taux de dépôt de 0% à 0,75% – sans réduire son bilan, grossi par deux programmes d’achats d’actifs (quantitative easing, QE), risque de limiter les effets souhaités jeudi par la Banque centrale européenne (BCE). C’est pourquoi elle a aussi annoncé, jeudi, outre l’arrêt du système à deux étages (two-tier system, ou tiering) qui permettait d’éviter d’appliquer à la totalité des réserves excédentaires des banques le taux de dépôt de -0,50%, la fin du plafond de 0% qui s’appliquait à la rémunération des dépôts des Etats auprès des banques centrales de l’Eurosystème. Ces dépôts seront rémunérés au plus bas entre le taux de dépôt et le taux interbancaire au jour le jour €ster jusqu’au 30 avril 2023.

L’idée est bien que des Etats comme l’Allemagne et l’Autriche, qui ont avancé un «coût d’opportunité» important, évitent de déverser une partie des excès de trésorerie déposés à la banque centrale sur le marché monétaire. Celui-cii s’en trouverait encore un peu plus déséquilibré et cela freinerait la transmission de la politique monétaire restrictive de la BCE. «Avec le Covid, les Etats européens avaient prévu des déficits budgétaires importants, qu’ils avaient préfinancés par des émissions obligataires en 2020 et 2021, rappelle Mikaël Pacot, responsable euro sovereigns and money markets chez Axa IM. L’économie s’étant redressée plus vite que prévu, ils ont accumulé pas mal de trésorerie, pour 504 milliards d’euros à ce jour selon la BCE, auxquels s’ajoutent quelque 480 milliards de dépôts d’administrations publiques étrangères auprès de la BCE.»

Techniquement, sans la nouvelle mesure, les Trésors publics auraient retiré une partie de ces dépôts en banque centrale pour acheter des titres de bonne qualité. Ils auraient asséché un peu plus les «govies» à court terme sur les marchés, déjà très handicapés par le QE massif de 2020-2021, les réglementations imposant de détenir de tels titres, puis la baisse des émissions de bons du Trésor. Ils auraient éventuellement pu prêter ce cash sur les marchés via des opérations de mise en pension (repo). Avec les mêmes effets sur l’assèchement des govies (via les garanties) et le soutien aux taux à court terme, à l’inverse du mouvement restrictif recherché et accéléré jeudi.

«Les dépôts du Trésor à la banque centrale sont restés le principal facteur d’absorption de la liquidité derrière les billets en circulation. S’ils se réduisent, les réserves des banques commerciales au passif de la banque centrale grossissent mécaniquement puisque la liquidité circule mais ne disparaît pas. Des achats d’actifs ou des opérations de ‘repo’ de la part de l’Etat conduisent cette liquidité de banque centrale vers les comptes des banques commerciales et sur le marché interbancaire», confirme Laurent Quignon, responsable de l’équipe économie bancaire chez BNP Paribas. Aux Etats-Unis, c’est pour absorber cette «surliquidité» monétaire autrement que via les réserves bancaires que la Fed a organisé des opérations de reverse repo (RRP O/N) : elle reçoit du cash «overnight» en échange de govies (achetés via son QE) qu’elle apporte en collatéral.

Soupape de décompression limitée ?

Sur les marchés monétaires, l’effet des surliquidités existantes apparaît depuis un moment au travers de taux courts très resserrés – l’€ster au jour le jour se négocie 8 pb au-dessous du taux de dépôt depuis sa création en octobre 2019 et les taux à 3 mois sont même passés sous l’€ster fin 2021 –, ou encore des swap spreads sur le Bund. Cet indicateur, qui marque la différence entre les taux de rendement des emprunts d’Etat allemands et le taux payé sur la «jambe» à taux fixe d’un contrat de swap de même maturité, s’est anormalement écarté depuis le début du resserrement monétaireen février. Il traduit la difficulté des taux souverains à s’écarter aussi rapidement que les taux swaps à cause de la demande. «Le ‘swap spread’ sur la maturité 2 ans, qui s’était un peu réduit fin mars puis fin mai, a atteint un pic de 117 pb le 6 septembre», constate Mikaël Pacot.

La BCE aurait pu atténuer ces effets de surliquidité si elle avait engagé la réduction de son bilan (quantitative tightening, QT) via un non-réinvestissement ou la revente des actifs, mais au risque d’augmenter la fragmentation financière en zone euro. La surliquidité exprimée au travers des réserves bancaires à la BCE aurait aussi pu être réduite avec un reverse tiering – une moindre rémunération des réserves excédentaires ou au-dessus d’un certain niveau – ou encore avec un remboursement anticipé de quelque 2.200 milliards d’opérations de refinancement à long terme (TLTRO 3) proposées aux banques à un taux négatif avantageux entre avril 2020 et juin 2022.

Finalement, «la mesure transitoire pour éviter des ‘effets de bord’ importants jusqu’au printemps sur les dépôts des Etats risque de ne pas être suffisante et de devoir être accompagnée de mesures plus structurelles», conclut Mikaël Pacot. A moins qu’une récession n’oblige les Etats à utiliser leur cash et à émettre davantage de titres courts.

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