
La Banque du Japon reste focalisée sur l’inflation

Surprendre devient une habitude : la réunion de politique monétaire de la Banque du Japon (BoJ) s’est terminée mercredi sans modification du contrôle de la courbe des taux (PCC), contrairement aux anticipations de marchés, et alors que les distorsions sur les marchés des titres d’Etat s’aggravent. «La BoJ s’est mise dans une situation difficile en permettant aux marchés d’attaquer le plafond de la bande de contrôle (avec sa décision du 20 décembre, ndlr). Désormais, la question n’est plus celle de l’abandon du contrôle, mais du moment auquel il sera décidé : la BoJ a acheté 270 milliards de dollars de titres depuis le 20 décembre, soit 6% du PIB japonais ; et le fonctionnement du marché obligataire japonais autour du 10 ans peut être remis en question du fait de l’intervention de la banque centrale», remarque Cedric Bernard-Villeneuve, gérant spécialisé chez BNPP AM. De fait, la quasi-totalité des titres à 10 ans on the run (émis le plus récemment) sont détenus par la BoJ: sur certaines émissions, plus de 100% de ces titres sont même détenus par l’institution, puisqu’elle prête, puis rachète, les titres qu’elle détient aux vendeurs à découvert. Résultat, les prix sur le marché du 10 ans se font principalement avec des titres off the run (dont la BoJ détient 85% du stock), une situation exceptionnelle pour des titres souverains. En parallèle, l’ancrage des taux à 10 ans déforme la courbe : les points de maturité à 8 ans et 9 ans ont des rendements supérieurs à 0,5%.
Ces éléments plaidaient en faveur d’une évolution de la PCC. Las, la BoJ s’est contentée de modifier son programme de prêts collatéralisés. Cet outil permettait jusqu’ici de proposer des prêts à maturité 2 ans et à taux nul ; désormais, la maturité de ces prêts peut aller jusqu’à 10 ans, tandis que leur taux est fixé à discrétion par la banque centrale. Le mécanisme, comparable au TLTRO européen, peut permettre de maîtriser le rendement des maturités inférieure à 10 ans : la BoJ prête à un taux proche du rendement cible, et les emprunteurs emploient ces liquidités à acheter des titres ou des dérivés (swaps ou futures) tant que leur rendement reste supérieur au coût du prêt. Le programme «vise à faire baisser, par le biais des swaps par exemple, les rendements des titres sans avoir d’impact sur le marché sous-jacent», précise Yusuke Miyairi, stratégiste FX de Nomura. «Comme la BOJ est en mesure de choisir les emprunteurs éligibles, les institutions financières sont moins incitées à s’engager dans des transactions qui entraîneraient une hausse des rendements» - des groupes n’employant pas les liquidités dans la même optique que celle de la BoJ se verraient couper l’accès au financement. «Cependant, malgré la décision de la BoJ, nous pensons qu’il lui sera difficile d’aller complètement à l’encontre des attentes d’un resserrement de la politique monétaire, le marché étant sceptique quant à la soutenabilité de la PCC», précise le stratégiste.
Inflation
La révision de la PCC, bien que nécessaire, a de fait remis en question la détermination de la BoJ à garder ses taux bas. «La réunion de décembre a augmenté les incertitudes autour de l’évolution de la politique monétaire japonaise, mais le facteur guidant les décisions de la BoJ demeure l’inflation», souligne Yasuko Sato, gérante chez Invesco. Or, les projections d’inflation (hors énergie et aliments frais) de la BoJ, publiées mercredi, sont restées stable à 1,8% en 2023 et 1,6% en 2024. Des pressions commencent certes à apparaître : le syndicat Rengo demandera des hausses de salaires de l’ordre de 5% lors des négociations de printemps (shunto), durant lesquelles sont décidées les augmentations pour presque l’ensemble des salariés japonais. «La BoJ va rester focalisée sur son objectif d’inflation et de croissance. Les premières indications sur les salaires montrent des signaux encourageants, mais il faut garder à l’esprit que la BoJ peut aussi poursuivre sa politique très accommodante si la croissance patine ou si les chiffres d’inflation décroissent», insiste Guillaume Derrien, économiste chez BNP Paribas. Signe que les marchés ont intégré une partie du message de la BoJ, les swaps de taux sur le 10 ans ont chuté à 0,82%, après avoir atteint un plus haut de 1% le 13 janvier. Ces outils indiquent les rendements sur le 10 ans jugé pertinent par le marché.
Toute hausse de taux apparaît lointaine. Il faut d’abord que le shunto débouche sur des hausses de salaires substantielles, et que ces pressions se transmettent aux prix des services, épargnés jusqu’ici par l’inflation. Les hausses de salaires de 2024 permettront à leur tour de jauger de la force de cette boucle prix-salaires. D’ici là, la BoJ évitera d’étouffer l’inflation avant qu’elle ne s’enracine.
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