
Endettement commun, gaz russe : l’unité européenne s’effrite à Versailles

Réunis jeudi et vendredi à Versailles, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne (UE) avaient à cœur de maintenir un front uni face à Moscou. Depuis le déclenchement de l’offensive russe en Ukraine, les Européens ont en effet fait preuve d’une unité remarquable, dont témoignent la sévérité des sanctions adoptées à l’unanimité à l’encontre de l’économie et des élites russes, de même que la décision inédite de financer des livraisons d’armes à l’Ukraine à travers le budget communautaire.
Mais cette cohésion a doucement commencé à se fissurer lors du sommet de Versailles, où plusieurs sujets, clés pour l’avenir de l’UE, ont divisé les Vingt-Sept. Au premier rang : la proposition française de mettre en place un «plan de résilience et d’investissement» fondé sur un deuxième emprunt commun, après le plan de relance décidé en juillet 2020. L’objectif : financer de nouvelles dépenses européennes en matière de défense et en faveur de la souveraineté de l’UE dans les domaines énergétique et alimentaire. Des nécessités propulsées au sommet de l’agenda européen par la guerre en Ukraine et largement consacrées dans le texte de conclusion adopté vendredi par les Vingt-Sept.
Plébisicitée par le président du Conseil italien, Mario Draghi, l’idée se heurte pour l’heure aux réticences de plusieurs pays dont l’Allemagne et les Pays-Bas. Les discussions sur le sujet se poursuivront dans les prochaines semaines, lors de nouveaux sommets européens prévus fin mars puis fin mai, a indiqué Emmanuel Macron. « Pour lever les blocages, la bonne stratégie est de commencer par se mettre d’accord sur les objectifs, puis ensuite nous discuterons des instruments », a temporisé le président français.
Un embargo sur le gaz russe écarté
Second sujet de division : l’option d’un embargo sur les importations européennes d’hydrocarbures russes, que le président ukrainien Volodymyr Zelensky implore l’UE de mettre en oeuvre dans les plus brefs délais. Défendue par la Pologne, la Slovaquie ou encore la Lettonie, l’option est fermement rejetée par des pays parmi les plus dépendants du gaz russe, dont l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande et la Hongrie, quand de nombreux autres gouvernements évitent de prendre position publiquement. Revendiquant une « ambiguïté stratégique » sur le sujet, Emmanuel Macron a quant à lui refusé d'écarter une telle sanction, « en fonction de l’évolution des événements sur le terrain ». « Si Poutine intensifie les bombardements, fait le siège de Kiev, nous prendrons à nouveau des sanctions massives. Dans ce cadre-là, rien n’est interdit, rien n’est tabou », a-t-il insisté.
Sur le plus long terme, les conclusions des chefs d’Etat et de gouvernement actent l’ambition de l’UE de « sortir de sa dépendance aux importations de gaz, de pétrole et de charbon russes », en reprenant à leur compte les solutions proposées la semaine dernière par la Commission européenne : le recours accru aux importations de gaz naturel liquéfié, le déploiement accéléré des énergies renouvelables, ou encore le développement de la sobriété énergétique. Mais quand Bruxelles mentionnait l’objectif de diviser par trois les achats de gaz russe d’ici à 2023 et de s’en passer totalement à l’horizon 2027, les Etats se gardent bien de s’engager sur un calendrier.
Réforme du marché européen de l’électricité
L’exécutif européen est par ailleurs chargé de préparer, d’ici à la fin du mois, de nouvelles propositions vouées, à l’échelle européenne, à limiter les dégâts de l’inflation énergétique « en particulier pour les citoyens vulnérables et les PME ». « La Commission présentera des options pour limiter l’effet de contagion de la hausse des prix du gaz sur les prix de l'électricité », a affirmé sa présidente, Ursula von der Leyen, ouvrant la voie à une réforme du marché européen de l’électricité. Pourrait ainsi être remis en cause le principe du « merit order », en vertu duquel le coût de l'électricité en Europe est étroitement lié aux prix du gaz et du charbon quand la demande nécessite de multiplier les unités de production au-delà du renouvelable et du nucléaire.
Poussée par Paris et Madrid depuis plusieurs mois, mais rejetée à plusieurs reprises par une majorité de gouvernements, cette possibilité n’est toutefois pas mentionnée dans le texte de conclusion. La semaine dernière Bruxelles avait déjà introduit la possibilité pour les Etats de capter une partie des bénéfices exceptionnels des producteurs d'électricité liés à la flambée de l'énergie, pour financer des mesures en faveur des clients. Enfin, un assouplissement de l’encadrement des aides d’Etat, autorisant des mesures de soutien aux entreprises les plus affectées par l’inflation énergétique et les sanctions économiques, sera formellement proposé dans les prochains jours par la Commission. Les sujets énergétiques seront au cœur du prochain sommet européen, les 24 et 25 mars.
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