Dominique Laboureix : «Il faut rester pragmatique dans la gestion des crises bancaires»

Dans un entretien exclusif à L’Agefi, Dominique Laboureix, président du Conseil de résolution unique européen depuis fin novembre, juge que la gestion des crises SVB et Credit Suisse ne remet pas en cause le modèle européen.
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Dominique Laboureix, président du SRB  -  Philippe Jolivel

L’Agefi : La gestion des crises bancaires en Suisse et aux Etats-Unis ces dernières semaines remet-elle en cause le cadre de résolution en Europe?

Dominique Laboureix : Comparaison n’est pas raison. Il me semble que la réglementation européenne autour du Mécanisme de résolution unique (SRM/MRU) conserve au contraire toute sa pertinence. Ce dernier a parfaitement rempli ses deux objectifs, maintenir la stabilité financière et ne pas faire appel au contribuable, dans les deux cas que nous avons dû traiter : Banco Popular en 2017 et Sberbank Europe en 2022.

On peut discuter des récentes décisions dans ces juridictions, mais elles ont été prises dans un contexte très particulier. Dans le cas de Credit Suisse, on ne peut pas parler de résolution puisque le superviseur n’a pas évoqué une situation de «faillite» ni «sur le point de faire faillite» : il a été décidé d’organiser une cession à UBS avec une aide publique. C’est ce soutien public qui a permis aux autorités de se référer à une clause figurant dans les contrats de dettes subordonnées de Credit Suisse correspondant aux «fonds propres de base supplémentaires» (Additional Tier 1, AT1) pour réaliser leur absorption totale.

Dans le cas des banques américaines, la FDIC, en charge à la fois du système de résolution et du fonds de garantie des dépôts, a pu combiner les deux approches au nom de la stabilité financière dans un cadre légal spécifique. Celui-ci prévoit des mesures d’exception en cas de risque systémique étendu – ce que nous n’avons pas de la même manière en Europe.

En privilégiant les actionnaires par rapport aux créanciers obligataires AT1, la Suisse ne met-elle pas cette classe de dette à risque à une plus large échelle ?

Au niveau de la Suisse, le marché décidera ce qu’il doit en coûter aux banques émettrices au vu du risque pour les investisseurs. Au niveau européen, les trois organismes BCE (Banque centrale européenne), SRB (Conseil de résolution unique), EBA (Autorité bancaire européenne) ont aussitôt publié le 20 mars un communiqué conjoint pour rappeler l’ordre cohérent selon lequel les actionnaires puis les créanciers doivent supporter les pertes, en particulier dans notre cadre de résolution. Il existe différentes documentations pour ces dettes hybrides AT1, qui peuvent être converties en actions ou dépréciées au-dessous de certains seuils de fonds propres de base CET1, avec donc des conditions particulières selon certaines clauses. Nous avons vérifié que le type de clauses utilisées dans le cas Credit Suisse n’existe dans aucune des dettes émises par les banques européennes.

J’ai personnellement signé le communiqué conjoint des deux mains car, si ces AT1 faisant partie du ratio MREL (fonds propres et engagements ou passifs éligibles) sont parfois critiqués pour leur rôle prudentiel de prévention/de continuité de l’activité, ils sont assurément efficaces dans leur rôle d’absorption des pertes/de résolution. Les marchés européens ne s’y trompent d’ailleurs pas, et maintiennent une hiérarchie des rendements entre les instruments.

La garantie illimitée des déposants de Silicon Valley Bank décidée aux Etats-Unis pose-t-elle des questions d’alignement avec le système européen ?

La problématique américaine a porté sur les difficultés rencontrées par des banques régionales. En Europe, la Commission européenne doit présenter dans les prochaines semaines un nouveau cadre CMDI (Crisis management and deposit insurance), dont l’objectif est justement d’élargir l’accès au Mécanisme de résolution unique, dans une logique d’intérêt public. Actuellement, le système est ouvert aux banques considérées comme ayant un impact systémique au niveau européen ou national. Sinon, elles sont considérées comme devant suivre le régime normal des faillites, avec les autorités de résolution nationales, ce qui avait été le cas en 2017 pour les banques vénitiennes pourtant leaders dans leur région. Avec cette réforme, le MRU pourrait aussi toucher demain des entités qui ont un impact au niveau régional.

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Certains souhaiteraient mieux aligner les contraintes des banques pouvant bénéficier du Fonds de résolution unique européen (FRU) : ce nouveau cadre le permettra-t-il ?

Dans les faits, toutes les banques de l’Union bancaire (21 Etats membres) cotisent au FRU. Et toutes ces banques ont déjà l’obligation de fournir annuellement un reporting détaillé de leur passif, a minima. Mais dès lors qu’une banque est considérée comme susceptible de faire l’objet d’une décision de résolution, elle doit s’organiser en conséquence. L’accès au FRU prévoit qu’auparavant 8% du passif ait été appelé pour couvrir les pertes, or, beaucoup de petites banques ne disposent pas au passif d’instruments MREL permettant de le faire. Les premières versions de CMDI prévoient donc que l’on puisse faire appel au fonds de garantie des dépôts national pour ajouter un coussin avant de bénéficier du FRU dans le nouveau processus.

On peut aussi penser que ce dossier va relancer le débat autour d’un Système européen de garantie des dépôts (Edis), troisième pilier de l’Union bancaire avec le SRM/MRU et le Mécanisme de supervision unique (SSM/SSU). Contrairement à l’exemple américain, l’Europe a déjà montré dans le passé, avec l’exemple chypriote en 2013, qu’elle ne s’orientait pas vers une couverture des dépôts sans limite.

La réglementation doit-elle essayer de prévoir plus clairement les régimes d’exception ?

Il faut trouver un équilibre entre la prédictibilité des systèmes existants pour résoudre des situations de crise et une certaine flexibilité du cadre. Le premier point est important pour les marchés, qui investissent sur les instruments pouvant permettre une résolution ordonnée. Mais il faut rester pragmatique, afin de s’adapter aux circonstances et aux problèmes que l’on ne peut pas tous prévoir lorsqu’une crise survient. L’objectif reste le maintien de la stabilité financière, sans faire appel au contribuable.

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