Défaillances d’entreprises : de bons chiffres en trompe-l’œil

La faiblesse relative des défaillances d’entreprises cette année cache des chiffres plus inquiétants au niveau des TPE et des PME. L’analyse d’Alain Tourdjman, directeur des études économiques de BPCE.
La création contre la croissance
Alain Tourdjman, directeur des études économiques de BPCE.  -  Tristan PAVIOT/BPCE

Le record des créations d’entreprises, au-delà d’un million par an depuis dix-huit mois, accompagne une autre bonne nouvelle sur le front des entreprises : le maintien des défaillances très en deçà des niveaux pré-crise. Celles-ci seraient, en octobre 2022, encore inférieures de 25% au point atteint trois ans plus tôt. Alors que la récession menace, il y aurait tout lieu de s’en réjouir si cet affichage flatteur n’était pas au fond l’une des expressions de l’affaiblissement économique du pays et de sa difficulté à créer durablement de la richesse.

Défaillances, fausse bonne nouvelle

Il y a effectivement tout lieu de se réjouir d’une évolution à la fois plus lente et moins dramatique que le « tsunami » parfois prédit l’an dernier. La reprise économique de 2021 et la préservation des taux de marge, en partie grâce à des mesures structurelles de soutien aux entreprises, ont permis de passer le cap de la fin du « quoi qu’il en coûte » et du début du remboursement des prêts garantis par l’Etat (PGE).

Pour autant, les données globales de défaillances entretiennent une illusion d’optique. Certes, les 38.500 défauts de 2022 se comparent avantageusement aux 51.100 de 2019, mais ils sont en fait représentatifs des seules microentreprises, dont l’enjeu pour le tissu productif est finalement minime. Pour l’essentiel, ce sont des structures sans salariés, avec un capital et des investissements limités, et dont la contribution est aisément substituable par une autre entité, le plus souvent nouvelle. En revanche, les très petites entreprises (TPE) employant un à neuf salariés et les petites entreprises (PE) employant dix à 49 salariés connaissent une hausse sensible des défauts, de l’ordre de 7 %, par rapport à 2019 et surtout une forte dégradation de la situation sur les quatre derniers mois. En d’autres termes, les entreprises contribuant davantage à la richesse nationale, notamment par l’emploi qu’elles procurent, semblent davantage fragilisées que celles dont le modèle est pourtant aisément reproductible.

Une analyse approfondie des données du bulletin des annonces légales à fin septembre conduit à des conclusions analogues. Ce sont alors les PE de dix à 49 salariés et, secondairement, les TPE de six à neuf salariés et les ME de 50 à 99 salariés qui semblent les plus affectées par le rebond des défauts – celles de plus de 100 salariés lui échappent. L’approche par l’ancienneté des entreprises confirme le diagnostic : ce sont principalement les entités employant plus de six salariés et âgées de 5 à 10 ans ou de 10 à 15 ans qui sont exposées et se démarquent par rapport à 2019, tandis que les créations récentes (moins de trois ans) apparaissent moins fréquemment en défaut qu’avant la crise. Les défaillances sont donc plus fréquentes parmi les entreprises qui ont fait le choix de l’emploi et de la croissance, tandis que leurs homologues moins ambitieuses et plus récentes semblent mieux protégées ou moins vulnérables.

Une trappe à croissance ?

L’approche sectorielle est également éclairante. Si, parmi les petites entités, ce sont les commerces alimentaires, la vente à distance, la coiffure, l’esthétique et les centres sportifs qui sont les plus fragiles, les difficultés des TPE et PME semblent frapper davantage l’hébergement-restauration, le transport routier, l’agriculture et le bâtiment (en particulier des activités en tension, comme l’isolation, la plâtrerie ou l’installation d’équipements thermiques), où le choix de développer des structures employeuses semble plus risqué que le maintien d’une activité unipersonnelle.

Ces observations en rappellent d’autres, qui alertent également sur l’existence d’un faisceau de facteurs conduisant à une forme de « trappe à croissance » pour les TPE et les PE, réduisant les marges de manœuvre et accroissant le risque d’un développement autonome vers une taille critique qui permettrait des économies d’échelle substantielles et stabilisant le modèle économique. Dans nombre d’activités servicielles, on observe une polarisation croissante autour d’entités, soit unipersonnelles dans leur grande masse, soit de taille moyenne à grande, à tout le moins suffisante pour que les économies d’échelle compensent les avantages prix et hors prix du modèle de la microentreprise. De même, avec les années, on observe une nette réduction – malgré le vieillissement des dirigeants – des cessions d’entreprises de petite taille. Il en découle une élévation du seuil d’activité à partir duquel l’arbitrage reprise/création devient favorable à la cession, certes plus complexe mais dont les perspectives de croissance et d’emploi sont autrement plus prometteuses.

Il est à craindre que la fragmentation du tissu productif français entraînée par une politique de création à outrance d’entités autoemployeuses – constituant une alternative à un emploi salarié lourdement chargé – ne finisse par produire des effets délétères sur la rentabilité économique et le potentiel de croissance des entreprises employeuses, encourageant leur tropisme pour la solidité financière au détriment de l’investissement. La multiplication des microentreprises ne fait-elle pas écho à la rareté des entreprises moyennes, voire des ETI ?

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