
Credit Suisse déjoue les protections des dérivés de crédit

Perdantes à tous les coups. Trop «dettes» pour faire l’objet d’un traitement aussi bon que les actions lors du sauvetage de Credit Suisse, les obligations subordonnées additional tier 1 (AT1) effacées à cette occasion sont considérées comme trop subordonnées, hybrides et proches du capital pour bénéficier des protections contre un défaut de crédit (CDS). Le Comité de détermination sur les dérivés de crédit (CDDC), instance de place, en a décidé ainsi dans deux décisions, rendues le 17 mai et le 22 mai.
Pour rappel, l’Etat fédéral et le régulateur suisse (Finma) avaient décidé, dans l’urgence le 19 mars dernier, d’autoriser le rachat des actions de Credit Suisse par UBS pour 3 milliards de francs suisses, avec une importante garantie publique et en annulant la valeur nominale des 16 milliards d’AT1. Ces dettes subordonnées perpétuelles, convertibles ou amortissables quand les fonds propres de base (CET1) de la banque descendent au-dessous de 5,125% ou de 7%, avaient été créées post-2008 pour protéger les créanciers plus senior avec un «coussin supplémentaire» de capital.
Le CDDC a dû répondre à deux requêtes, alors que la plupart des acteurs du marché avaient estimé que la décision suisse ne permettrait pas de déclencher de remboursement sur les CDS liés aux dettes subordonnées. «Les contrats standard dans la matrice de l’Association internationale des swaps et dérivés (Isda) se rapportent soit aux obligations senior, soit aux obligations subordonnées, dans les deux cas sur des titres avec une échéance maximale de trente ans», rappelle Jonathan Lewis, avocat associé chez Clifford Chance. Ce qui expliquerait que les AT1 perpétuelles, donc sans échéance, soient exclues du déclenchement des CDS.
Ambiguïtés
Avec la première requête, les hedge funds FourSixThree Capital et Diameter Capital Partners ont tenté un pari en faisant valoir deux arguments. L’obligation de référence dans la documentation standard sur les CDS de Credit Suisse portait sur une dette subordonnée de 250 millions de livres sterling, émise en 2000 et remboursée en 2020 par la filiale opérationnelle américaine. Cette ligne n’était pas explicitement classée dans la hiérarchie des créanciers, même en étant généralement considérée de catégorie «lower Tier 2», avaient rappelé dès mars des acteurs comme Citigroup, Barclays et JPMorgan. Second argument, l’Isda avait révisé les définitions standard des contrats de CDS pour inclure un nouvel «événement de crédit lié à une intervention gouvernementale» en 2014, après le sauvetage de la banque SNS Real par l’Etat néerlandais. Une clause susceptible de fonctionner ici en lien avec l’annulation du principal.
De façon un peu trop hâtive aux yeux de certains observateurs au vu de la complexité du dossier, le Comité de détermination a estimé que les standards de l’Isda permettent de faire référence à une obligation plus ancienne. Il juge aussi qu’il n’y avait pas eu d’«événement de crédit lié à une intervention gouvernementale», malgré le «write down» des AT1. Sur la question connexe des rangs de priorité, les experts ont estimé que les CDS subordonnés de Credit Suisse font référence à la holding Credit Suisse Group AG (HoldCo) et non à Credit Suisse AG (OpCo) ou aux entités opérationnelles, même à leurs obligations Tier 2, de rang plus senior. Si les obligations AT1 annulées avaient été classées pari passu avec l’obligation de référence, cela aurait pu suffire à déclencher les swaps.
Pas de faillite effective
Avec la deuxième requête, un autre investisseur a demandé au CDDC de se prononcer sur l’existence d’un «événement de crédit lié à une faillite de Credit Suisse Group AG». Il se fonde sur un faisceau d’indices collectés allant dans ce sens malgré l’absence de dépôt de bilan ou de procédure d’insolvabilité. Le plaignant se référait à la section 4.2 des définitions standard liées aux transactions visées (senior et subordonnées), notamment à l’article 42 (b) signifiant que le CDS peut se déclencher si l’entreprise «devient insolvable ou est incapable de payer ses dettes ou omet, ou admet par écrit dans une procédure judiciaire, réglementaire ou administrative, ou déclare son incapacité générale à payer sa dette au fur et à mesure qu’elle devient due». Plusieurs documents, comme un discours du président de Credit Suisse, Axel Lehmann, ou un entretien de la ministre suisse des Finances, Karin Keller-Sutter, indiquaient en effet que la banque aurait rapidement eu du mal à faire face à ses engagements.
C’est ce qui a valu l’intervention du Conseil fédéral et de la Finma le 19 mars. Mais l’analyse des documents fournis n’a pas permis de conclure à la survenance de l’événement de crédit, a estimé le Comité dans sa décision datée du 22 mai. «L’événement de crédit ne faisait pourtant aucun doute sur ce point puisque que même le législateur suisse a confirmé qu’il ne restait plus que quelques heures de viabilité pour Credit Suisse en l’état», dénonce Benoît Soler, gérant Taux chez Keren Finance, à propos d’une conclusion qui aurait dû être plus nuancée. «Encore une fois, les termes des CDS dans la matrice Isda couvrent le risque de crédit des obligations standard – senior ou subordonnées –, dont les AT1 ne font pas partie», ajoute Jonathan Lewis. Pour l’avocat, seul un contrat négocié sur mesure entre deux contreparties pour protéger d’un défaut de remboursement spécifique sur les AT1 de Credit Suisse aurait pu être déclenché.◆

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