Christine Lagarde prépare doucement le virage «vert» de la BCE

La dernière conférence de presse a été l’occasion d’envoyer les premiers signaux sur sa revue stratégique.
Fabrice Anselmi
Christine Lagarde, la présidente de la BCE, lors de la conférence du presse du 16 juillet 2020.
Christine Lagarde, la présidente de la BCE, lors de la conférence du presse du 16 juillet 2020.  -  Photo by Sanziana Maria Perju/ECB

La conférence de presse de la dernière réunion de politique monétaire a été l’occasion pour la présidente de la Banque centrale européenne (BCE) d’envoyer de nouveaux signaux sur sa revue stratégique 2021. Sans remettre en cause son mandat de stabilité des prix, la BCE devrait en revoir la mesure définie en 2003 comme un taux d’inflation «proche mais inférieur à 2%» : «Quand j’ai dit récemment que le changement climatique était une question qui préoccupait particulièrement les banques centrales, j’avais à l’esprit notre principal mandat de stabilité des prix car le changement climatique a un impact sur la dynamique d’inflation, sur la productivité, sur la transmission monétaire.» Pour limiter l’incertitude, la mesure du mandat doit «prendre en compte plusieurs autres facteurs»

Christine Lagarde, qui a également notamment évoqué les changements à attendre sur le commerce mondial avec des Etats qui reconsidèreront leur modèle exportateur et des agents économiques qui favoriseront la proximité dans la chaîne d’approvisionnement, avait déclaré début juillet au FT que «la BCE doit examiner tous les secteurs d’activité et les opérations dans lesquels nous sommes engagés pour lutter contre le changement climatique», et donc que ses programmes d’achats d’actifs (QE) pourraient être davantage orientés à l’avenir, pour des raisons financières essentiellement.

La Banque de France a aussi publié jeudi un document de travail qui, en s’appuyant sur des scénarios du Réseau des banques centrales pour le verdissement du système financier (NGFS), doit l’aider à modéliser les impacts financiers d’une transition «désordonnée» - trop retardée ou trop brutale - qui se manifesterait par des hausses du prix du CO2 ou des chocs de productivité imprévus, avec des risques de défauts accrus pour certains secteurs comme le pétrole. «On comprend bien le lien avec une politique monétaire qui cible l’inflation : l’indice des prix HICP est connu pour être très corrélé au prix du pétrole, trop si on se souvient début 2008, quand la forte demande asiatique avait grossièrement ‘faussé’ le jugement de la BCE, qui avait relevé ses taux en se cachant derrière son mandat, rappelle Nicolas Goetzmann, directeur de la recherche de la Financière de la Cité. Un avenir où nos économies dépendraient moins du pétrole aurait un effet sur l’évolution des prix et des politiques monétaires.»

Respect ou non du principe de «neutralité de marché» ?

Isabel Schnabel, membre du conseil exécutif de la BCE, a également rappelévendredi que les objectifs environnementaux fixés dans l’Accord de Paris imposent «un changement structurel», et un rôle pour la banque centrale qui pourrait intervenir au travers de ses investissements «non monétaires», voire monétaires sous réserve de résoudre auparavant le débat sur l’obligation ou non de respecter le principe de «neutralité au marché», un débat qui serait simplifié par une augmentation substantielle des obligations «vertes».

«La BCE doit bien réfléchir à ce sujet. Une approche purement éthique pourrait la placer en dehors de son mandat stricto sensu, avec un risque juridique. En partant du principe qu’une industrie plus carbonée est plus à risque en cas de changement climatique, il s’agit alors d’un risque financier, qui entre pleinement dans son mandat. Cela peut être mis en place par un QE ciblé, une politique de collatéral avec des décotes de valorisation (‘haircuts’), ou encore des fonds propres prudentiels spécifiques à mettre en face des actifs des banques», ajoute Stéphane Deo, stratégiste chez LBPAM. Même si les groupes financiers semblent moins favorables à cette dernière solution.

Revue retardée

Plus généralement, la BCE a reporté le début de sa revue stratégique de mars à septembre, et le Conseil des gouverneurs n’a pas arrêté quand, ni comment, communiquer ses résultats d’ici à mi-2021. Le gros du débat portera sur le ciblage de l’inflation : la BCE doit-elle cibler un taux fixe comme dans la définition actuelle ? Ou un taux symétrique comme elle a annoncé vouloir le faire ces dernières années, sans convaincre depuis qu’elle a cessé son QE prématurément fin 2018 ? «Les gouverneurs comme François Villeroy de Galhau se sont plutôt exprimés pour le ciblage d’un taux d’inflation moyen temporaire, qui revient à un taux symétrique réellement appliqué. Les autres approches (fourchette d’inflation cible, taux d’inflation annuel strict, taux de croissance nominal) ne sont pas d’actualité, mais des travaux académiques ou la conjoncture pourraient les faire évoluer», poursuit Nicolas Goetzmann, évoquant des anticipations des économistes interrogés par la BCE (SPF) inchangées malgré la crise sur l’inflation à long terme (1,65%).

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