Bruxelles veut relancer la compensation européenne

L’industrie guette une proposition du Règlement sur les infrastructures de marché consensuelle.
Fabrice Anselmi
La commissaire aux services financiers Mairead McGuinness
La commissaire aux services financiers Mairead McGuinness.  -  © European Union

La Commission européenne présentera le 7 décembre sa proposition de révision du Règlement sur les infrastructures de marché (Emir 3.0), et l’industrie semble apprécier la projet qu’elle a entre-aperçu dans les premières moutures du texte qui ont circulé, notamment sur l’accès aux chambres de compensation (CCP) de pays tiers post-Brexit ou la gestion des dérivés sur matières premières.

Coordination sur les CCP

Quoiqu’en dise la commissaire aux services financiers Mairead McGuinness qui ne sera plus en poste quand prendra fin l’équivalence accordée aux CCP britanniques en juin 2025, soit après les élections européennes de mai 2024, il reste très compliqué d’imaginer un rapatriement de la compensation sur les swaps de taux (IRS) et de change en euro. «Des raisons d’infrastructures, d’investissements technologiques, de licences réglementaires, de liquidité, de risque et aussi de compétitivité par rapport aux CCP américaines qui ont déjà récupéré une partie des flux, cela ne serait pas raisonnable de fragmenter ces marchés», assure Gilles Kolifrath, associé spécialisé chez KPMG Avocats. «Les autorités savent bien que les entités européennes ne représentent par exemple que 25% des swaps de taux en euro compensés à Londres sur LCH Ltd, ajoute un observateur avisé. Un marché européen plus directionnel, avec de surcroît l’obligation de compensation des fonds de pension européens à partir de mi-2023, et plus concentré ou captif serait aussi porteur de plus de risques.»

Plutôt que d’obliger les contreparties européennes à utiliser des CCP européennes en interdisant l’accès aux CCP britanniques ou en augmentant le coût prudentiel des banques qui y opèrent, la Commission devrait continuer à les reconnaître à condition de pouvoir continuer à les superviser, comme actuellement via l’Autorité européenne des marchés (Esma) en coordination avec la Banque d’Angleterre (BoE), et d’étendre le pouvoirs de l’Esma sur le processus de résolution en cas de faillite.

Pour cela, l’idée serait de demander aux entités européennes d’avoir un «compte actif» en parallèle dans une CCP européenne avec un niveau minimum d’activité à déterminer mais potentiellement symbolique au début, et aux CCP concernées outre-Manche d’avoir une activité similaire en zone euro. Sans leur fixer de niveau individuel minimum non plus, cela permettrait de faire migrer une petite partie de l’activité, et ainsi de faire passer LCH Ltd (sur les IRS) et ICE Clear Europe (sur les swaps de crédit, CDS, et les futures sur taux €STR) du niveau 3 d’«importance systémique substantielle» au niveau 2 d’«importance systémique». De quoi maîtriser les risques et justifier d’une éventuelle intervention publique en cas de problème.

Anti-procyclicité sur les dérivés

Deuxième sujet, brûlant avec la crise énergétique et alimentaire depuis la guerre en Ukraine : les dérivés sur matières premières. La Commission européenne avait formulé des propositions dès septembre : élargir au-delà des espèces les sûretés éligibles aux garanties au titre des appels de marge, améliorer la transparence vis-à-vis des clients des CCP, ainsi que la prévisibilité des appels de marges initiales (IM) et les modalités d’appels de marges variables (VM).

La proposition finale de la Commission tentera d’atténuer la procyclicité liée aux appels de marges qui, en augmentant avec les prix en période de stress, ajoutent des risques de contrepartie. «Emir est déjà une spécificité européenne qui prévoit d’appliquer une marge supplémentaire d’au moins 25% sur l’IM (à 125% du calcul de risque initial, variable selon les CCP) au départ d’une transaction sur les dérivés de commodities afin d’atténuer la procyclicité liée aux appels de marge variables et d’éviter une révision plus fréquente des marges initiales ensuite», note un autre spécialiste. Le but est d’éviter de modifier les marges initiales en période de stress, et d’attendre que la volatilité retombe. Ceci n’a bien sûr pas été possible depuis l’hiver dernier pour les dérivés de l’énergie, sur lesquels la forte hausse des marges initiales - en plus des appels de marge variables - a conduit à réduire le nombre d’intermédiaires.

Les autorités souhaitent donc limiter la procyclicité des appels de marge tout en tenant compte de cette problématique de liquidité des dérivés concernés, au niveau des banques et des courtiers-négociants mais aussi des contreparties non financières, les entreprises du secteur étant largement parties prenantes. Cela passerait par plus de transparence des CCP vis-à-vis de leurs membres compensateurs, et de ces «clearing members» vis-à-vis des clients finaux. Les CCP devront aussi élaborer leurs modèles de calcul de marges en tenant compte à la fois des risques de contrepartie et des risques de liquidité. La Commission doit en outre leur imposer de créer un fonds de défauts spécifique pour les dérivés sur matières premières.

Supervision unique

Enfin, la supervision des CCP serait simplifiée pour les demandes d’agrément par un point d’entrée unique et une base de données commune. Cela permettrait que toutes les investigations préalables des autorités décisionnaires (Esma, superviseur national, Collège des contreparties) puissent avancer en parallèle, et non les unes après les autres. Le texte prévoirait aussi la possibilité de ne pas soumettre des décisions sans changement substantiel (à définir via les standards techniques de l’Esma) avec un délai de 10 jours pour que les autorités se ravisent. Des avancées pragmatiques et positives pour la compétitivité de la compensation européenne.

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