Retraites - Vers une bataille de chiffres

Des voix réclament un chiffrage plus exhaustif de la charge que les retraites représentent pour les finances publiques.
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L’agenda a été confirmé fin octobre par le ministre du Travail, Olivier Dussopt : le projet de réforme des retraites sera l’un des premiers dossiers présentés en Conseil des ministres, au mois de janvier prochain. A l’été 2022, les partenaires sociaux ont été sondés sur l’emploi des seniors et l’usure professionnelle. La seconde phase de concertations a démarré le 15 novembre et porte sur l’équité et la justice sociale. Au programme, la retraite minimum, les dispositifs de solidarité ou encore les régimes spéciaux.

A partir de janvier, le sujet le plus débattu sera celui du relèvement de l’âge de départ à la retraite, l’un des plus faibles des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, voir le graphique ci-contre). La réforme Touraine de 2014 prévoyait déjà un allongement progressif de la durée de cotisation, à raison d’un trimestre tous les trois ans entre 2020 et 2035, pour atteindre 43 ans, soit 172 trimestres, pour les personnes nées en 1973 ou après. Le futur projet devrait accélérer cette transition. Le montant de la pension de retraite minimum devrait être revu à la hausse, au-delà de 1.130 euros pour une carrière complète, afin de créer un écart « suffisant » avec le minimum vieillesse, qui est aujourd’hui de 935 euros, selon Olivier Dussopt.

« On parle d’allonger la durée de cotisation ou encore de baisser le taux de remplacement. Cependant, celui-ci a déjà beaucoup baissé. Je considère que la question du financement des retraites doit être intégrée à une stratégie plus générale d’amélioration des taux d’emplois et de la formation au fil de la vie active afin d’accroître la base des cotisations et d’offrir plus de flexibilité aux travailleurs seniors. Cela passe notamment par une politique plus inclusive, en direction des femmes mais également des populations plus démunies », analyse Véronique Riches-Flores, économiste indépendante chez RichesFlores-Research. Du fait de l’indexation du système de retraite sur les prix, la pension moyenne va croître moins rapidement que les revenus d’activité moyens – qui bénéficient des gains de productivité en sus de l’inflation. Selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), le niveau de vie des retraités rapporté à celui de l’ensemble de la population sera ainsi compris, en 2070, entre 75,5 % et 87,2 % contre 101,5 % en 2019. Si le taux d’emploi des 60-64 ans reste faible en France, à 33 % contre plus de 51 % en moyenne dans les pays de l’OCDE, il devrait continuer à progresser à mesure du recul de l’âge de départ à la retraite. Le taux d’emploi des femmes, malgré la baisse récente du chômage des femmes, reste en deçà de celui des hommes, à 65 % contre 71 %.

Sujets sensibles et réticences

Les inégalités dans les pensions de retraite perdurent : les femmes nouvellement retraitées en 2020 perçoivent des pensions de retraite inférieures de 32 % à celle des hommes, selon la dernière enquête de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Pour compenser ces inégalités de revenus, une refonte du mode de calcul des pensions de réversion est jugée prioritaire, les femmes représentant 88 % des 4,3 millions de bénéficiaires de cette pension. « Le gouvernement a commencé par des annonces ‘faciles’, comme le relèvement des petites retraites. Mais il n’est pas encore question de sujets plus sensibles, comme la réforme des pensions de réversion, question sur laquelle les organisations syndicales sont très vigilantes », explique Bruno Chrétien, président de l’Institut de la protection sociale (IPS).

L’adoption de mesures d’ajustement automatiques (MAA) est recommandée par l’OCDE dans son Panorama des retraites 2021, mais se heurte aux réticences des partenaires sociaux (lire ‘La Parole à…’). « Par rapport à l’alternative que représentent des changements discrétionnaires répétés de la valeur des paramètres, ces mécanismes peuvent être conçus pour produire des changements moins erratiques, plus transparents et plus équitables entre les générations. Ils réduisent également le coût politique du maintien de la viabilité financière », peut-on lire dans la page consacrée à la France.

Le projet de réforme renforcera-t-il le rôle du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) ? Certains le souhaitent, regrettant un « rendez-vous manqué ». « Le sujet n’est pas tellement que l’on vit quelques trimestres de plus, mais bien qu’il y a moins de cotisants par retraité. De même, ce n’est pas le taux de remplacement des retraites qui met les finances publiques dans le rouge, mais le fait que l’Etat n’a rien provisionné pour ses personnels. La bonne logique serait que l’Etat place les cotisations retraite des nouveaux fonctionnaires qu’il embauche au sein du FRR, en recourant à la dette pour payer les retraites déjà promises à leurs ainés », expose Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari (IEM). Il cite l’exemple du Sénat, dont les retraites sont financées par la capitalisation collective mise en place dès le XIXe siècle, ou encore le Canada, qui vient d’achever la phase de transition entre les deux systèmes. « C’est un système gagnant-gagnant, le coût de la dette étant inférieur à celui de la transition », poursuit-il. S’agissant des salariés, l’IEM et Croissance Plus appellent à la création d’un alter ego de l’Erafp (Etablissement de retraite additionnelle de la fonction publique), dont la gestion serait confiée à l’Agirc-Arrco. « Il serait intéressant d’introduire une dose de capitalisation par capitalisation collective, sur le modèle de la caisse de retraite des pharmaciens ou du régime de la Rafp », confirme Bruno Chrétien.

Le dernier rapport du COR, publié en septembre 2022, servira de base aux propositions du gouvernement.
Les projections relatives à l’évolution démographique de la population restent inchangées. « De 13,9 millions
d’individus à date, la population des plus de 65 ans est en progression rapide, tandis que les autres catégories d’âge tendent à baisser. En 2030, le nombre des plus de 65 ans dépasse celui des 0-19 ans. Le point d’inflexion intervient à partir de 2040, à 18 millions d’individus de plus de 65 ans, tandis que la population active commence à décliner rapidement », détaille Véronique Riches-Flores (voir le graphique ci-contre). La durée de retraite s’est continûment allongée. Calculée comme l’espérance de vie résiduelle à l’âge effectif de sortie du marché du travail, elle s’élève en 2018, en France, à 22,7 ans pour les hommes et à 26,9 ans pour les femmes. Elle est l’une des plus élevées des pays développés. Aussi, l’hypothèse avancée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) dès les années 1990, à savoir le doublement du ratio de dépendance entre la décennie 1990 et les décennies 2030-2040, semble se confirmer.

Optimisme exagéré

La méthodologie retenue pour évaluer le poids financier des retraites est plus contestée, tout d’abord en raison de la difficulté éprouvée par le COR à réconcilier les projections du gouvernement transmises à la Commission dans le Pacte de stabilité et de croissance 2022-2027, avec les propres scénarios et estimations du Conseil. Selon le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), « l’hypothèse de croissance potentielle (1,35 % par an de 2022 à 2027) est optimiste notamment parce qu’elle suppose des effets importants et immédiats de réformes (du revenu de solidarité active, des retraites, de l’assurance-chômage, de l’apprentissage...) dont ni les modalités, ni les impacts, ni le calendrier ne sont documentés. » Le HCFP en déduit que « ces hypothèses rendent particulièrement fragile la trajectoire de finances publiques présentée par le gouvernement sur la période 2023-2027 », a ainsi alerté Elisabeth Doineau, rapporteure générale du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2023 (PLFSS) au Sénat*. Ces hypothèses, reprises par le COR, aboutissent à une vision globalement rassurante du financement futur des retraites. « Sur la période 2021-2027, couverte par les prévisions du gouvernement établies dans le cadre du programme de stabilité, les dépenses de retraite dans le PIB seraient globalement stables. Elles passeraient de 13,8 % en 2021 à 13,9 % du PIB en 2027 », selon le COR.

Les projections du taux de chômage retenues par le gouvernement sont elles aussi jugées exagérément optimistes. « Anticiper un taux de chômage à 5 % comme le fait le gouvernement, ce n’est pas seulement anticiper une situation de plein emploi, c’est anticiper une situation qui n’a pas été observée au cours des quarante dernières années. Par un effet d’artefact statistique, la différence entre les hypothèses retenues – 5 % pour le gouvernement, 7 % pour le COR après 2032 – va entraîner un problème de raccordement, une déprime conjoncturelle artificielle qui va pousser mécaniquement à la hausse les dépenses de retraites, questionnant ainsi le bien-fondé du chiffrage du projet de réforme », relève Mabrouk Chetouane, responsable de la stratégie globale de marché chez Natixis IM.

Enfin, le calcul de la trajectoire des déficits est jugé partiel et source d’erreurs en raison des choix méthologiques retenus pour les retraites des fonctionnaires. « Le COR n’a pas souhaité mesurer le déficit des retraites des fonctionnaires. Sa méthode fait sens sur le plan juridique, puisque les fonctionnaires ne relèvent pas du système par répartition, mais pas sur le plan économique », argumente Nicolas Marques. Il attribue cette différence d’appréciation par la méthode de calcul retenue par le COR au moment de sa création, en 2000, et inchangée depuis. « La démographie défavorable – 0,9 actif pour un retraité dans la fonction publique d’Etat – est compensée par une hausse des cotisations retraite – 85 % du traitement indiciaire brut contre 28 % du salaire brut dans le secteur privé. Ces subventions d’équilibre ne sont pas intégrées dans les calculs du COR, qui annonce des excédents en 2021 et 2022. Quand on prend en compte les fonctionnaires, il manque dans les faits plus de 32 milliards d’euros en 2021 et 30 milliards d’euros en 2022 », conclut-il. Les hypothèses retenues en janvier par le gouvernement à l’issue de cette phase de consultation et de débats seront sans nul doute passées au peigne fin.

*La Banque de France table sur une croissance de 0,5 % pour la France en 2023, à titre de comparaison. Pour aller plus loin, « Retraite : sortir du seul débat de l’âge de départ », IPS, novembre 2022 dans la version digitale de L’AGEFI HEBDO

Pour aller plus loin, « Neuvième avis du Comité de suivi des retraites », oct. 2022 dans la version digitale de L’AGEFI HEBDO

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