Que penser des stablecoins de paiement ?

L’administration Trump vise à permettre aux entreprises d’utiliser des stablecoins de paiement (STCP) hors des États-Unis, notamment pour perpétuer l’hégémonie du dollar et développer une demande de bons du Trésor US. Mais la question de l’ancrage domestique ne doit pas être occultée, analyse Vivien Levy-Garboua. Avec des conséquences massives pour les banques et l’industrie des paiements.
Professeur à Sciences Po
Vivien Levy Garboua

Un stablecoin, c’est un cryptoactif géré sur une blockchain, gagé sur des placements sûrs, dont l’émetteur promet à son détenteur qu’il sera « stable » par rapport à l’actif de référence retenu (aujourd’hui, le dollar dans 99% des cas). Les stablecoins se sont développés rapidement comme élément de liquidité ou comme collatéral dans le monde effervescent des cryptos, mais peu auprès du grand public : l’encours actuel, de l’ordre de 270 milliards de dollars, représente moins de 5% des dépôts à vue en dollar et moins de 0,5% de la masse monétaire mondiale.

Le Genius Act (1) change la donne. Il porte sur les stablecoins de paiement (STCP) : 6% de l’ensemble seulement. Et ne concerne que les STCP qui revendiquent un ancrage au dollar. Il organise cette industrie à partir de quatre mesures :

- Une obligation de contrôle, avec KYC, transparence et suivi régulier des actifs détenus, ainsi qu’un audit fréquent de la comptabilité des émetteurs.

- Une définition des règles du jeu : « transformation » autorisée, mais limitée à trois mois, et nature des actifs admis (dépôts bancaires, bons du Trésor pour l’essentiel).

- Un choix de régulateur en charge du contrôle des émetteurs : la Fed pour ceux qui seront reliés à des banques, le Comptroller of the Currency pour les autres.

- Une interdiction de rémunérer les stablecoins.

Cette dernière mesure donne aux émetteurs de STCP le droit au seigneuriage (un STCP de 1$ coûte beaucoup moins que 1$, et l’émetteur empoche la différence), jusqu’alors le monopole des seules Banques centrales. Si les STCP en dollar devaient représenter 1.000 milliards de dollars, soit quelques pourcents des dépôts US, c’est, au taux de 4% actuel, près de 40 milliards de dollars par an qui seraient garantis aux émetteurs. Nul doute que les initiatives de STCP en dollars vont proliférer dans les années à venir. Reste à savoir si les acheteurs en voudront.

Même si le but principal de l’administration Trump est de permettre aux entreprises d’utiliser les STCP hors des États-Unis, de conforter le dollar dans les pays émergents, développer une demande de bons du Trésor US, perpétuer l’hégémonie du dollar et, via l’extraterritorialité qui l’accompagne, celle des États-Unis dans le Monde, se pose aussi la question de l’ancrage domestique des STCP, et c’est de cela qu’il est question ici.

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Risque associé

Le risque associé aux STCP constitue en effet un handicap majeur pour en faire un moyen d’échanger entre particuliers : 1USDC ou un USDT qui ne peut être utilisé pour payer ses impôts ou qui vaut « à peu près » 1$, à cause des risques de contrepartie, de transformation ou de valorisation des actifs détenus, ce n’est pas la même chose qu’un billet vert de 1$. Mais la solution est moins chère, plus rapide, traçable, « programmable » (facile à associer à des applications financières) et disponible 24/7/365. Et « l’expérience numérique » sera sans doute plus simple et conviviale que celle proposée par une banque.

Tout ce que les STCP pourront faire, les banques le pourront également, à condition qu’elles se remuent un peu : Pix au Bresil, Wero en Europe, ou tout simplement l’émission de leur propre STCP, ou la tokenisation d’une partie de leurs dépôts, il y a plusieurs solutions. Mais elles ne peuvent se satisfaire de leur offre actuelle et devront agir vite. Les banques américaines l’ont bien compris : JP Morgan, naguère pourfendeur intraitable des crypto-actifs, est désormais leader dans la tokenisation des dépôts, les « bourses » (wallets) digitales. La banque va sans doute lancer son propre stablecoin : si elle franchit cette étape, personne ne comprendra que son STCP ne garantisse pas la parité (1 $ de STCP= 1 $ de la Fed) parfaite.

Pour toucher les particuliers, c’est du côté des commerçants que les STCP (non bancaires) ont un atout. Même sans contourner l’interdiction de rémunérer, les émetteurs pourront au minimum assurer la gratuité du service (aujourd’hui le réseau Visa ou Mastercard coûte entre 1 et 3%, et, pour ACH ou Wire, c’est environ 20 dollars par opération). Pas sûr que cela suffise pour le tout-venant. Mais quid des commerçants qui émettraient leur propre STCP ? Walmart ou Amazon pourraient sacrifier une fraction du seigneuriage, sous forme d’avantages supplémentaires pour ceux qui l’utilisent (il existe déjà des programmes de fidélisation, mais on parle ici de services additionnels). Sur un chiffre d’affaires de 650 milliards de dollars/an, si 30% est payé par un STCP qu’il créerait, ce sont 8 milliards de dollars annuels environ dont Walmart disposerait aux taux actuels. Cela laisse une marge pour en sacrifier une fraction.

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C’est donc d’abord par le seigneuriage que les STCP pourront trouver leur « demande » dans le monde du retail et se développer à grande échelle : les enseignes mondiales de commerce chercheront à concurrencer les moyens de paiement actuels sur les marchés domestiques, tandis que les banques s’en serviront à l’international et auprès des entreprises, sur des créneaux sans doute différents des paiements nationaux.

Une certitude : les stablecoins de paiement vont se développer et modifier le modèle bancaire. On est à l’aube d’une concurrence nouvelle, et pas seulement pour les paiements en dollar. C’est une mise en garde pour l’Europe et ses banques : elles devraient consacrer toute leur énergie à développer un système digital privé de paiement compétitif, pour ne pas avoir à se résigner, comme on l’a fait pour la carte, à la domination américaine. Et, dans une Europe financière fragmentée, BCE et banques commerciales doivent impérativement unir leur force dans ce seul but.

(1) Un acronyme accrocheur pour un intitulé austère : Guaranteed Electronic Notes Issuance Under Supervision

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