
L’empire perdu de la Société Générale

Il est des aventures marquées du sceau de la fatalité. Lorsqu’en 2006, la Société Générale a jeté son dévolu sur la deuxième banque à capitaux privés de Russie pour en faire le fer de lance de son expansion internationale, les comptes s’y réglaient encore à coups de revolver. Engagé dans une croisade anticorruption, le numéro deux de la banque centrale avait été assassiné en sortant d’un rendez-vous avec le PDG du groupe français. Seize ans plus tard, la maison dirigée par Frédéric Oudéa doit cesser ses activités dans le pays sans avoir jamais réussi à tirer les dividendes de ce coûteux investissement. Par une cruelle ironie, elle apporte pour une bouchée de pain sa filiale Rosbank à l’oligarque Vladimir Potanine, qui la lui avait vendue à l’époque.
La position de la banque française était devenue intenable. L’invasion de l’Ukraine, la pression des marchés financiers et de l’opinion publique l’ont finalement poussée comme tant d’autres groupes occidentaux à une cuisante retraite. Son départ enrichira un milliardaire proche de Vladimir Poutine – c’est tout le paradoxe des sanctions économiques mises en œuvre contre Moscou. Du moins a-t-elle évité une expropriation pure et simple et limité ses pertes, tout en levant l’hypothèque qui aurait continué à peser sur son cours de Bourse.
Ce baisser de rideau précipité n’en met pas moins un terme aux ambitions du groupe en Europe centrale et orientale. Avant même la chute de l’URSS, la Société Générale avait pris pied dans la région. Jusqu’à la grande crise financière, elle y a multiplié les acquisitions dans les activités de détail. La Russie devait former l’un de ses moteurs de croissance et caractériser sa singularité au sein de l’univers bancaire. Mais ce marché s’est révélé la plupart du temps source de pertes et de restructurations. Ailleurs, la stratégie d’expansion n’a pas résisté aux risques géopolitiques, au manque de taille critique dans certains pays, aux exigences de fonds propres toujours plus élevées. De cet empire ne subsistent aujourd’hui que des réseaux en République Tchèque et en Roumanie. Comme en 2000.
La persévérance de la Société Générale, surtout, s’est muée en coupable aveuglement. L’arrestation médiatisée du patron de Rosbank en 2013, pour des motifs restés obscurs, aurait pu lui servir d’avertissement. Tout comme, un an plus tard, l’annexion de la Crimée. Des concurrents tels que BNP Paribas, très présents dans le financement des matières premières en Russie, ont alors décidé de lever le pied. Pas la banque au logo rouge et noir, qui n’a jamais pu se résoudre à couper ses positions et reconnaître, par-là, qu’elle avait manqué son pari. La voilà désormais ramenée à des ambitions moins clinquantes : la location automobile, la fusion de ses réseaux en France. Cela suffira-t-il à faire rêver ses actionnaires ?
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Corruption aux Philippines : manifestations massives à Manille contre le scandale des infrastructures "fantômes"
Manille - Des milliers de Philippins ont manifesté dimanche à Manille, un mouvement émaillé d’accrochages avec la police, pour dire leur colère face à un scandale de corruption autour d’infrastructures anti-inondations «fantômes», qui auraient coûté des milliards de dollars aux contribuables. Près de 50.000 personnes se sont réunies dimanche matin dans le parc Luneta de la capitale, selon des estimations municipales. Et plusieurs milliers d’autres ont participé à un rassemblement dans l’après-midi sur une avenue emblématique des manifestations de masse qui avaient chassé Ferdinand Marcos, père du président actuel, en 1986. Le mouvement a dégénéré lorsque la police antiémeute a utilisé des canons à eau lors d’affrontements avec des dizaines de protestataires, pour la plupart des jeunes masqués, qui ont lancé des pierres et brisé les vitres d’un poste de police. Les forces de l’ordre ont arrêté 72 personnes, dont 20 mineurs, lors de deux incidents distincts qui ont fait au moins 39 blessés parmi les policiers, a indiqué un porte-parole de la police, Hazel Asilo. Il était impossible de déterminer dans l’immédiat si les personnes arrêtées étaient «des manifestants ou simplement des fauteurs de troubles», a-t-il dit à l’AFP. Les projets d’infrastructures anti-inondations sont au coeur du plus grand scandale de corruption depuis des décennies aux Philippines. Il a déjà précipité la chute du président du Sénat et de Martin Romualdez, président de la chambre basse et cousin du chef d’Etat. La question était au centre du discours sur l'état de la nation du président Ferdinand Marcos en juillet, après plusieurs semaines d’inondations meurtrières dans l’archipel. «C’est très rare que je prenne part à des manifestations», a déclaré à l’AFP Mitzi Bajet, un designer de 30 ans qui a voulu dire : «ça suffit maintenant !». «S’il y a un budget pour des projets fantômes, alors pourquoi n’y a-t-il pas de budget pour le secteur de la santé ?», s’interroge Aly Villahermosa, une étudiante infirmière de 23 ans qui qualifie le détournement de fonds publics de «véritablement honteux». Teddy Casino, président de Bagong Alyansang Makabayan, une alliance d’organisations de gauche, demande pour sa part le remboursement des fonds et de la prison pour les responsables. «Les gens descendent dans la rue et expriment leur indignation dans l’espoir de faire pression sur le gouvernement pour qu’il fasse réellement son travail,» explique-t-il. Paiements en espèce Le président Ferdinand Marcos Jr., qui avait déclaré comprendre la colère populaire, avait demandé que les manifestations restent pacifiques. Mais des journalistes de l’AFP ont vu des groupes de jeunes jeter des pierres et des bouteilles à des policiers et incendier les pneus d’un camion près d’un pont conduisant au palais présidentiel. Parmi les participants aux affrontements, certains brandissaient le drapeau pirate, vu lors des récentes manifestations en Indonésie, déclenchées par les bas salaires, le chômage et la colère suscitée par les avantages accordés aux parlementaires, qui ont fait au moins dix morts. Plus tôt ce mois-ci, les propriétaires d’une entreprise de construction ont accusé près de 30 parlementaires et des responsables du Département des Travaux publics et des autoroutes (DPWH) de recevoir des paiements en espèces. Le préjudice financier s'élèverait à 118,5 milliards de pesos (1,75 milliard d’euros) entre 2023 et 2025, selon le ministère philippin des Finances. Greenpeace a suggéré un chiffre bien plus élevé, proche des 15,3 milliards d’euros. Pour Elizabeth Abanilla, une octogénaire rencontrée par l’AFP lors d’une récente visite à Bulacan, une province au nord de Manille touchée par les crues, aussi bien les hommes politiques que les chefs d’entreprises sont coupables. «Ils n’auraient pas dû remettre (l’argent) avant que le travail soit terminé», estime-t-elle. © Agence France-Presse -
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