Le droit des sûretés fait peau neuve

Publiée mi-septembre, cette réforme par ordonnance protège davantage les dirigeants de PME et assouplit des sûretés déjà très répandues.
Florent Le Quintrec
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Attendue depuis de longs mois, la réforme du droit français des sûretés a enfin vu le jour. Par une ordonnance du 15 septembre, le gouvernement a voulu renforcer et clarifier le droit des sûretés dans un contexte post-Covid qui a mis beaucoup d’entreprises en difficulté. Cette ordonnance a d’ailleurs été publiée en même temps que celle transposant la directive européenne de 2019 sur l’insolvabilité des entreprises, censée rééquilibrer les rapports entre débiteurs et créanciers au bénéfice de ces derniers. « Nous avons soutenu l’idée de faire les deux réformes au même moment dans une optique de redressement de l’économie qui nécessite de bonnes sûretés pour obtenir de bons crédits », souligne Didier Bruère-Dawson, associé chez Bryan Cave Leighton Paisner.

En effet, parmi les nombreuses mesures introduites ou clarifiées par l’ordonnance, plusieurs d’entre elles concernent directement les situations d’entreprises en difficulté. L’une des principales avancées du texte porte sur la meilleure protection des dirigeants lorsqu’ils sont caution personnelle. « En France, pour les petites et moyennes entreprises, il est aujourd’hui très difficile de faire financer son besoin en fonds de roulement (BFR) sur des actifs non tangibles. A part pour l’affacturage, les banques financent ce BFR en demandant des cautions personnelles aux dirigeants. En somme, la maison du dirigeant est en jeu, ce qui ne l’incite pas à déclarer au tribunal ses difficultés suffisamment tôt. C’est ce qui explique la très faible part de procédures préventives (mandat ad hoc, conciliation) initiées par des petites et moyennes entreprises alors que prendre les difficultés en amont sauve plus certainement les affaires », expose Didier Bruère-Dawson.

Le gouvernement a donc fait le choix de réunir tout le droit des cautions dans un seul texte, supprimant les parties se trouvant dans le Code monétaire et financier ou dans le Code de la consommation. La protection des dirigeants personnes physiques qui se portent garants de leur entreprise est donc renforcée, car ils bénéficieront désormais du nouveau régime de protection élargie des cautions personnes physiques, dont l’obligation de mise en garde de la part du créancier, l’application du principe de proportionnalité et du devoir d’information (lire ‘La parole à...’). « La meilleure protection notamment de la caution des dirigeants était indispensable car le fait qu’un dirigeant puisse ainsi facilement tout perdre en cas de dépôt de bilan de son entreprise était inadmissible », se réjouit Lionel Spizzichino, associé chez Willkie Farr & Gallagher. « Cela va surtout apporter des changements lors de l’origination avec le devoir de mise en garde et de proportionnalité, explique Fabrice Le Dean, directeur des affaires spéciales pour la banque de détail en France chez BNP Paribas. Mais la proportionnalité du crédit se juge à deux moments : celui de l’octroi et celui de l’appel. Au moment de l’appel, la situation de la caution a pu changer et son patrimoine a pu évoluer, ne correspondant plus à sa situation lors de l’octroi. » Le fait qu’en cas d’insolvabilité de la caution, il soit désormais possible de l’ajuster plutôt que la banque tire un trait sur sa créance est donc une avancée positive pour les banques, qui pourront envisager des financements contre caution plus facilement.

Fiducie allégée

Par ailleurs, la caution du dirigeant sera désormais prise en compte dans les redressements judiciaires. « La protection de la caution était déjà intégrée dans le dispositif de la sauvegarde pour inciter les dirigeants à y recourir. Avec cette évolution, leur patrimoine personnel reste protégé, y compris en cas de redressement judiciaire et pendant le plan de continuation, même s’ils ont raté l’opportunité de la sauvegarde », détaille Marc Sénéchal, mandataire judiciaire, associé de BTSG.

Toujours dans le but d’améliorer l’accès au crédit, les règles de fonctionnement de la fiducie-sûreté, qui consiste à placer en fiducie et donc en dehors du patrimoine du débiteur (constituant) un actif en garantie d’un prêt et qui résiste aux procédures collectives, ont été assouplies. Jusqu’alors, au moment de la mise en place de la fiducie, la valorisation de l’actif placé devait être réalisée par un expert, ce qui allongeait les délais et coûtait assez cher au débiteur. Désormais, cette valorisation pourra être faite de gré à gré entre le débiteur et le créancier. En cas de défaut du débiteur et donc de cession de l’actif au profit du créancier, le fiduciaire ne sera plus tenu d’obtenir un prix équivalent à la valorisation à l’entrée, mais devra simplement s’assurer de vendre au prix de marché, même si celui-ci est inférieur à la valorisation initiale. « Les banques préfèrent ce système plutôt que de prendre le risque d’avoir un actif à gérer en direct », précise Didier-Bruère-Dawson. Une simplification qui pourrait toutefois entraîner des conséquences indésirables. « Il sera nécessaire que le créancier et le constituant se mettent d’accord sur la valeur de l’actif, ce qui ne sera pas toujours aisé. De même, à la sortie, il faudra être certain que le fiduciaire vende au bon prix. Bien que l’idée soit d’assouplir la fiducie, ce qui est une bonne chose, ces mesures pourraient entraîner des contentieux, il faudra donc être vigilant, indique Marc Sénéchal. Il faut par ailleurs garder à l’esprit que la fiducie trouve une partie de ses origines dans l’anéantissement des sûretés classiques dans le droit moderne des entreprises en difficulté, notamment à l’issue de la loi de 1985. Si elle est une sécurité de ce point de vue pour les créanciers qui peuvent y avoir recours, elle ne concerne généralement pas les fournisseurs qui demeurent exposés aux faillites de leurs clients, le crédit fournisseurs demeurant la source majoritaire de financement des entreprises en France et pouvant expliquer un effet domino. »

Dailly pour tous

Parmi les instruments de financement très utilisés par les entreprises, les cessions de créances à titre de garantie, comme les cessions Dailly, vont être « démocratisées ». Avant l’ordonnance sur les sûretés, un débiteur ne pouvait céder ses créances en garantie d’un prêt qu’auprès d’une banque. « Avec la réforme, ces opérations ne seront plus seulement réservées aux établissements de crédit », note Lionel Spizzichino. De même, le gage-espèce, qui consiste à remettre au créancier une somme d’argent en garantie du remboursement d’une dette, était une sûreté très répandue chez les entreprises mais n’était pas formellement encadrée par la loi. L’ordonnance du 15 septembre est venue en préciser la pratique.

Satisfaction

Le gouvernement a fait le choix de réformer le droit des sûretés et le droit des entreprises en difficulté concomitamment car chacune de ces réformes à une conséquence. S’il est évident que le nouveau droit des sûretés aura un impact significatif sur les restructurations d’entreprises, notamment pour constituer les classes de créanciers nouvellement introduites en droit français, l’inverse est aussi vrai. « Dans l’ordonnance du 15 septembre 2021 transposant la directive européenne de juin 2019 sur les procédures de restructuration, la confirmation du privilège de post-money introduit pendant le Covid a des conséquences sur le droit des sûretés. Jusqu’ici, lorsqu’une conciliation était homologuée, il y avait un privilège de new-money à celui qui apportait de l’argent frais en conciliation. La transposition de la directive accorde aujourd’hui un privilège pour les financements intervenant en période d’observation en procédure collective ou lors de l’exécution d’un plan de sauvegarde ou de redressement, ce qui permettra ainsi d’améliorer le financement des entreprises en difficulté comme avec le ‘DIP financing’ aux Etats-Unis », décrit Lionel Spizzichino.

Ces quelques mesures parmi toutes celles réformant le droit des sûretés satisfont globalement les professionnels des entreprises en difficulté. Mais elles devront passer l’épreuve de la pratique pour éventuellement envisager des ajustements ou des compléments. Réponse dans les prochains mois, après l’entrée en vigueur de la transposition de la directive sur les faillites le 1er octobre et de la réforme du droit des sûretés le 1er janvier 2022.

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