
La BCE enfonce le clou sur les dividendes bancaires

Les minces espoirs des banques se sont évanouis. La Banque centrale européenne (BCE) a prolongé hier la recommandation faite aux établissements de crédit de la zone euro de ne pas verser de dividendes. Edictée en mars jusqu’au 1er octobre, le mesure court désormais jusqu’au 1er janvier 2021. Elle concerne aussi les rachats d’actions, et se double d’un nouvel appel à la modération en matière de rémunérations variables.
La limitation des mesures de distribution des bénéfices est «temporaire et exceptionnelle», assure l’institut de Francfort dans un communiqué. Mais elle sera de nouveau passée en revue «en décembre», précise Andrea Enria, le président du conseil de surveillance prudentielle, dans une note de blog. De quoi laisser planer le doute sur une prolongation en 2021. La BCE, qui clarifie au passage ses attentes prudentielles, justifie sa politique par la nécessité de «préserver la capacité des banques à absorber les pertes et à soutenir l’économie dans une environnement d’exceptionnelle incertitude». «Nous préférons être prudents aujourd’hui plutôt que d’avoir des regrets demain», résume Andrea Enria.En ne versant pas leurs dividende au titre de 2019, les banques ont déjà mis en réserve 27,5 milliards d’euros, estimait la BCE en mai. Alors que certaines banques envisageaient une éventuelle distribution en fin d’année, ces milliards n’iront finalement pas dans la poche des actionnaires.
«La nouvelle recommandation n’est pas une obligation, mais elle est assez forte, rappelle Lorraine Quoirez, analyste chez UBS. Il serait mal perçu de ne pas la prendre en compte.» Crédit Agricole SA et la Société Générale ne font pas de commentaires sur l’annonce d’hier ; les autres banques françaises n’ont pas répondu. La communication tardive de la BCE, à la veille des premiers résultats trimestriels de grandes banques -Deutsche Bank et Santander -, illustre l’intensité des débats. Selon Bloomberg, plusieurs établissements, BNP Paribas en tête, réclamaient un répit au nom de leur bonne santé… et pour redresser leur cours de Bourse. Depuis le 1er janvier, l’Euro Stoxx 600 Banks a chuté de 33,7%, trois fois plus que l’Euro Stoxx 600.
Lignes de fracture
Hier, l’indice des banques européennes a clôturé en légère hausse de 0,43%. Signe que la position de la BCE avait été largement anticipée par les marchés. Dès fin mai, le Comité européen du risque systémique avait recommandé de décaler au 1er janvier prochain la date butoir sur les dividendes, les rachats d’actions et les rémunérations variables des entreprises financières. La Banque centrale du Danemark lui avait emboîté le pas, suivie la semaine dernière par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Le régulateur français a réitéré hier sa position qui concerne les établissements sous sa supervision directe, à savoir les petites banques, les compagnies d’assurance et les entreprises d’investissement. De son côté, la Banque d’Angleterre a annoncé hier qu’elle déciderait au quatrième trimestre si les versements de dividende peuvent reprendre en 2021. Des lignes de fracture perdurent néanmoins en Europe, où les Suisses font bande à part. Dans l’assurance, le faible poids de l’Eiopa, le régulateur du secteur n’a pas permis de créer un front uni.
Pour les banques, «la position de la BCE est très pénalisante, estime Lorraine Quoirez. Certains gestionnaires d’actifs sont présents au capital des banques via plusieurs véhicules, dont des fonds dividendes. La prolongation de la mesure risque de leur faire vendre leurs titres, pour ceux qui ne l’ont pas déjà fait». Face à la vague d’annulations de dividendes observée cette année en Europe, tous secteurs confondus, certains fonds dividendes ont gardé leurs lignes en portefeuille, même si leur stratégie se trouve de facto remise en question. «Le comportement des investisseurs dépend beaucoup de leurs engagements vis-à-vis de leurs clients, pointe un observateur. Au Royaume-Uni par exemple, les fonds de pension ont besoin de rentrées régulières de dividendes pour honorer leurs engagements de versement de rentes.» Une source institutionnelle juge en revanche que «les actionnaires de long terme comprennent que les restrictions actuelles protègent leurs intérêts futurs en renforçant la solidité des banques». «Le problème de la faible valorisation des banques ne date pas du Covid-19 et les profits ne disparaissent pas, ils sont simplement mis en réserve, rappelle l’observateur. Ils pourront toujours être distribués plus tard, si la situation le permet.»
Délais prudentiels
En contrepartie des contraintes qu’elle impose, la BCE a voulu donner hier plus de visibilité aux banques et aux investisseurs. Après avoir assoupli le régime prudentiel du secteur en mars, «elle ne va pas exiger des banques qu’elles reconstituent leurs coussins de fonds propres avant que le pic de diminution du capital soit atteint» et «la date limite exacte sera déterminée après les tests de résistance européens de 2021». Alors qu’il était question jusque-là de laisser «suffisamment de temps» aux banques, elles pourront continuer à rester en dessous de la recommandation de coussins de fonds propres de Pilier 2 (P2G) «jusqu’à au moins fin 2022» et du ratio de liquidité LCR minimal «jusqu’à au moins fin 2021». «La BCE laissera le temps nécessaire pour éviter que toutes les banques réduisent la taille dans leur bilan en même temps, ce qui aurait un effet pro-cyclique sur l’économie et affaiblirait les banques en retour», traduit une source. Celles qui ont le plus de prêts non-performants bénéficient aussi de six mois supplémentaires (mars 2021) pour élaborer leur plan de réduction des créances douteuses.
Pour le moment, le régulateur européen juge le secteur «résilient», dans une «analyse de vulnérabilité» publiée hier. Le scénario central de ce petit stress test anticipe un recul moyen de 1,9 point du ratio de fonds propres durs (CET1) des 88 banques de la zone euro, à 12,6% fin 2022. Il repose sur une contraction du PIB de la zone euro de 8,7% en 2020 et une croissance de 5,2% en 2021 et 3,3% en 2022. Quant au scénario noir, en clair un deuxième confinement généralisé avec une récession de 12,6% cette année, il se traduirait par une chute de 5,7 points du ratio CET1 moyen, à seulement 8,8%.
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