
Hausses de salaires : cette année ou jamais

A inflation exceptionnelle, année d’exception aussi sur le front des rémunérations. Les négociations annuelles obligatoires (NAO) dans la banque et l’assurance se sont mises au diapason du climat social en France. Il y a un an, les NAO 2022, qui fixaient le cap pour cette année, avaient déjà marqué une inflexion avec la réapparition d’augmentations générales dans des groupes comme BNP Paribas et la Société Générale. Le millésime 2023 pour les augmentations de l’an prochain n’est pas encore en bouteille, mais il dessine une généralisation des mesures collectives dans les établissements qui ont déjà signé des accords ou qui les négocient (voir le tableau). Ces résultats mettent d’autant plus de pression sur ceux qui, comme Covéa ou les caisses de Crédit Agricole, ont lancé ces derniers jours leurs premiers rounds de négociation.
Le contexte est mi-figue mi-raisin pour le secteur financier. D’un côté, des milliards d’euros de bénéfices et la perspective de jours meilleurs avec la hausse des taux, qui n’a pas encore produit ses effets positifs pour les banques françaises compte tenu du poids de l’épargne réglementée. De l’autre, une inévitable remontée du coût du risque avec le ralentissement de l’économie, des réseaux d’agences en restructuration permanente – en témoigne la fusion Société Générale et Crédit du Nord –, une sinistralité de plus en plus coûteuse du côté des assureurs et une capacité limitée à répercuter les hausses de charges sur les prix. « Le ministre de tutelle, Bruno Le Maire, a donné des arguments aux employeurs en demandant aux banques de plafonner la hausse de leurs tarifs », estime Frédéric Guyonnet, président de la fédération SNB/CFE CGC.
Les organisations syndicales ont, elles, retrouvé du mordant, aidées par le climat général. Dans le secteur, peu coutumier des mouvements sociaux, les mesures individuelles priment tandis que l’intéressement et la participation offrent souvent un complément de rémunération appréciable. Les appels à la grève se sont cependant multipliés ces derniers mois. Comme chez Groupama Gan fin septembre, pour un débrayage de deux heures, ou chez Generali France, le 24 novembre, un mouvement néanmoins peu suivi. Certaines entreprises ont préféré bousculer leur calendrier en avançant la date de leurs NAO pour l’année 2023, ou ont, dans l’intervalle, complété la négociation de 2022 avec mesures de rattrapage, comme le Crédit Agricole cet été ou la Matmut en septembre avec le versement d’une prime de partage de la valeur (PPV) de 900 euros.
Ce dispositif, successeur de la « prime Macron » ou Pepa (prime exceptionnelle de pouvoir d’achat), est le tube de l’année. La loi pouvoir d’achat du 16 août permet d’exonérer la PPV de toutes les cotisations sociales pour les salariés et employeurs jusqu’à 3.000 euros – la CSG et la CRDS patronales restent dues pour les salariés gagnant plus de 3 Smic par mois, de même que l’impôt sur le revenu. Son montant peut même être porté jusqu’à 6.000 euros dans les entreprises qui ont mis en place des accords de participation ou d’intéressement.
Rattrapage de l’inflation
Les partenaires sociaux ont bien perçu l’avantage du dispositif, qui perdra dès le 1er janvier 2024 ses exonérations et sera alors soumis au forfait social. Tous secteurs confondus, 46 % des entreprises prévoient de verser une PPV l’an prochain, contre 29 % ayant choisi le dispositif Pepa cette année, indiquait une enquête flash du cabinet Deloitte publiée en octobre. « Les employeurs ont surtout utilisé la prime de partage de la valeur comme un dispositif de rattrapage de l’inflation », indique Thierry Tisserand, secrétaire général de la fédération CFDT Banque et Assurance. La plupart des grands réseaux bancaires en ont accordé pour 2023. La palme revient au Crédit Mutuel Alliance Fédérale, qui rassemble 14 fédérations ainsi que le CIC, et qui a signé le 24 novembre avec les quatre organisations représentatives le versement d’une prime de 3.000 euros. Le réseau mutualiste est le mieux-disant dans le secteur bancaire, suivi par certaines Banques Populaires régionales. Certains groupes ont malgré tout décidé de faire l’impasse sur la prime de partage de la valeur en 2023 : c’est le cas chez CNP Assurances, en pleine négociation annuelle, où la mesure ne fait partie ni des propositions de la direction ni des revendications des élus. « CNP a utilisé la prime Macron comme complément à la dernière NAO, mais ce mécanisme ne peut pas remplacer des mesures pérennes, glisse un négociateur. L’intersyndicale CGT, CFDT, CFE CGC et FO réclame une augmentation générale de 4.000 euros brut annuels pour tous les salariés. »
Le retour des mesures générales et pérennes constitue la deuxième tendance de l’année. La décennie écoulée avait vu la disparition des augmentations collectives dans le secteur bancaire – seul le Crédit Mutuel Alliance Fédérale maintenait bon an mal an la tradition – et dans une moindre mesure dans l’assurance. Enveloppes individuelles et primes étaient privilégiées pour ne pas lester outre mesure un compte de résultat soumis à la pression des taux négatifs, dans un contexte de restructuration des réseaux bancaires et de digitalisation à marche forcée. Mais il était difficile cette année de continuer à tenir le langage de la rigueur, alors que les profits affluent – plus de 8 milliards d’euros de bénéfice net sur neuf mois chez BNP Paribas, champion français – et que le marché du travail reste tendu. « Le secteur connaît un gros turnover, en particulier les postes commerciaux en agence. Pour une banque, ne pas accorder d’augmentation générale cette année, avec une inflation jamais vue depuis 40 ans, c’est prendre le risque de voir partir ses salariés à la concurrence », relève Frédéric Guyonnet.
Les premiers accords ont donné le « la », et tout le monde a dû s’aligner. Au siège de Groupama Gan, par exemple, cela signifie une première hausse générale des salaires depuis 2012, à hauteur de 4 % minimum, proposition que les organisations syndicales de l’assureur ont signée à l’unanimité. Chez Axa France, un accord a été trouvé fin novembre pour une augmentation générale de 3,5% pour les non-cadres avec un minimum de 1.200 euros et de 3% pour les cadres avec un maximum de 1.800 euros, au 1er janvier, complétée par une PPV de 1.000 pour les salariés gagnant jusqu'à 65.000 euros par an.
Reste à vérifier si ces accords marqueront un changement de tendance ou ne seront qu’un feu de paille. La décélération attendue de l’inflation et une possible récession début 2023 annoncent un rééquilibrage du rapport de force entre salariés et employeurs pour les NAO de l’an prochain. Mais ce qui est pris ne sera plus à prendre.

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