Crédit immobilier : les banques à l’aube d’un retournement de marché

Alors que les taux remontent, la production de crédit commence à ralentir. Entre la pression sur la solvabilité des clients et des marges encore négatives, les banques naviguent à vue.

Crédit immobilier
Seuls 3,9% des ménages ont l’intention de souscrire un crédit immobilier dans les six prochains mois.  -  © Fotolia

Dans les agences bancaires, les conseillers ne savent plus à quel saint se vouer. Après des décennies de taux bas qui ont soutenu la demande de crédit, le choc de la guerre en Ukraine est venu rompre la dynamique de l’argent facile. Sous l’effet de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE), la remontée rapide des taux, à un rythme inédit depuis 30 ans, vient ainsi secouer le modèle économique du produit d’appel phare des réseaux bancaires. Car le crédit immobilier reste le nerf de la guerre pour attirer et fidéliser un client.

Après un premier coup d’arrêt au printemps 2022, sous le poids des incertitudes macroéconomiques et des anticipations négatives des ménages, la production a commencé à sérieusement ralentir au dernier trimestre 2022. Une tendance qui se confirme en ce début d’année 2023. «Le ralentissement sur le marché est de l’ordre de 20% », estime un banquier de la place. Pour l’Observatoire Crédit Logement, qui recense les demandes de cautionnement de prêt adressées à l’institution, la production est inférieure de 32% à ce qu’elle était à fin 2019.

Une «normalisation» du marché

Banques et autorités financières relativisent, pour l’heure, ce ralentissement. «Le marché n’est pas à l’arrêt. En termes de dossiers rentrés, nous avons retrouvé en ce début d’année un niveau équivalent à 2018», souligne Olivier Gavalda, directeur général délégué de Crédit Agricole SA en charge de la banque universelle. Selon la Banque de France, la production de crédits à l’habitat s’est établie à 15 milliards d’euros au mois de janvier 2023, contre plus de 20 milliards en rythme mensuel lors des années exceptionnelles de 2021 et 2022. Pour le Haut conseil à la stabilité financière (HCSF), il ne s’agit ni plus ni moins que d’une «normalisation» après des années d’abondance.

Reste que les récentes annonces de la BCE sur le relèvement des taux directeurs ainsi que la pression constante sur le pouvoir d’achat immobilier des Français ne laissent pas présager des lendemains enchanteurs. Sauf surprise, la production de crédit devrait continuer à ralentir en 2023. Certes, le marché s’est ôté une première épine du pied en parvenant à un accord de place avec la Banque de France afin de mensualiser le calcul du taux d’usure jusqu’en juillet prochain. Au cours des six derniers mois, ce taux plafond auquel les banques peuvent prêter, frais et assurance inclus, a écarté toute une frange du marché. Calculée trimestriellement à partir des taux sur les crédits décaissés, son évolution s’est avérée moins rapide que celle des taux directeurs, conduisant les banques à refuser des dossiers. «Avec la hausse des taux qui pèse sur leur refinancement, les marges ont été écrasées au cours des derniers mois et les banques ont préféré ne plus prêter dans ces conditions», relève Amine Belaicha, managing director chez Alvarez&Marsal. «Le coût de l’assurance emprunteur, inclus dans le calcul du taux d’usure, étant élevé pour les plus de 45 ans, cela a compromis leur accès au financement», ajoute-t-il.

La mensualisation du calcul du taux d’usure redonne, en toute logique, des marges de manoeuvre aux banques qui peuvent davantage suivre la hausse des taux directeurs, alors qu’elles avaient auparavant tendance à «temporiser à la fin de chaque trimestre dans l’attente de la mise à jour du taux d’usure plutôt que de prêter à perte», analyse Amine Belaicha. Mais de l’aveu même des banquiers, cette mesure ne renverse pas la table. « La mensualisation redonne un peu d’air. Certains acteurs auraient fermé le robinet du crédit un peu plus vite et un peu plus fort sans cela», estime Antoine Michaud, directeur général du Crédit Mutuel du Sud Ouest. Pour Frédéric Figer, directeur de la clientèle de particuliers du réseau SG de la Société Générale, la mesure «a redonné un peu de souplesse» mais «les effets de cet ajustement ne seront visibles que dans quelques mois».

Une capacité d’emprunt sous pression

La véritable problématique ne réside pas tant dans le niveau du taux d’usure, qui finit par remonter mécaniquement, que dans la capacité d’emprunt des Français. Logiquement en recul du fait de la remontée des taux, elle est aussi bridée par la norme du HCSF qui impose depuis janvier 2022 un taux d’endettement maximal de 35%. Dans les faits, cela contraint les réseaux bancaires à demander davantage d’apport personnel aux candidats à l’emprunt. Alors qu’ils se contentaient auparavant de l’équivalent des frais de notaire, l’apport personnel requis oscille aujourd’hui entre 15 et 20% de la somme empruntée. «La capacité d’emprunt des ménages a baissé de 15% sur un an», estime le directeur d’un réseau hexagonal.

Les banques se défendent ainsi de couper le robinet du crédit. «Nous examinons toutes les demandes de crédit faites par nos clients. Parfois, nous sommes amenés à refuser des dossiers car, dans le contexte de remontée des taux, la capacité d’emprunt est trop limitée par rapport aux montants proposés», justifie Frédéric Figer chez SG. Les banques mutualistes, particulièrement sensibles à la remontée des taux du fait de l’importance des livrets d’épargne réglementée au passif de leurs bilans, se targuent quant à elles de continuer à prêter en dépit de la faiblesse de leurs marges. «Nous assumons le fait que la rentabilité à court terme soit un peu obérée par la nouvelle donne macro-économique sur les taux. C’est un sujet de confiance ; pour maintenir la relation avec les clients et les équiper sur le long terme. Nous souhaitons aussi maintenir la relation avec nos partenaires courtiers et soutenir la dynamique sur nos écosystèmes locaux», souligne Antoine Michaud, directeur général du Crédit Mutuel du Sud Ouest.

«La remontée rapide des taux est un vrai changement de paradigme car elle peut désolvabiliser une partie de nos clients emprunteurs. Le Crédit Agricole est une banque universelle. Le crédit immobilier est majeur dans notre approche de la relation globale, nous n’arrêtons pas de prêter», acquiesce Olivier Gavalda. Quelle que soit la rentabilité du crédit immobilier, il reste en effet un point d’entrée incontournable pour fidéliser le client… et le multi-équiper avec d’autres produits plus rentables, comme l’épargne financière, les placements ou la prévoyance.

Un attentisme général sur le marché immobilier

Pour les banques, «le vrai sujet ce n’est pas la rentabilité du produit mais l’appétence des clients à emprunter à ce niveau de taux», remarque Frédéric Figer. Dans un climat marqué par de nombreuses incertitudes et un recul de leur pouvoir d’achat, les Français ont en effet tendance à reporter leurs projets. Seuls 3,9% des ménages ont l’intention de souscrire un crédit immobilier dans les six prochains mois, a révélé le dernier Observatoire du crédit aux ménages publié début mars. La baisse de la demande est aussi le reflet de «l’attentisme général sur le marché des transactions immobilières», relève Olivier Gavalda. «Les vendeurs ne sont pas encore prêts à baisser leurs prix et les acheteurs repoussent leurs projets. Il y a aussi un manque d’offre de logements, et notamment moins de projets de promotion dans le neuf, confronté à l’inflation du prix des matériaux», ajoute-t-il.

Au bout du compte, le marché immobilier montre donc de sérieux signes d’essoufflement. Un ralentissement à comparer toutefois à la frénésie des dernières années, que les autorités ont cherché à endiguer. Pour ne pas aller jusqu’à bloquer l’accès à la propriété, les banques appellent à desserrer quelques contraintes, comme celle de la norme du HCSF. « Si le marché immobilier venait à connaître un vrai coup d’arrêt, les banques feraient preuve d’innovation financière en développant des solutions comme la prise en charge d’une partie de l’apport personnel en contrepartie d’une partie de la propriété du bien - c’est ce que fait une start-up avec laquelle nous collaborons -, ou bien en mettant en place des financements avec des paliers révisables par exemple », conclut Olivier Gavalda.

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