Avec BNP Paribas, les ONG veulent faire un exemple

Inédit dans le monde bancaire, le procès contre BNP Paribas sur le devoir de vigilance est destiné à maintenir la pression sur le secteur financier.
BNP Paribas
BNP Paribas est la première banque au monde visée par un procès en matière climatique.  -  Bloomberg

L’industrie pétro-gazière n’est pas la seule à devoir répondre de sa responsabilité en matière climatique. En poursuivant BNP Paribas en justice, les ONG espèrent bousculer le monde bancaire en mettant en lumière son rôle dans le financement des industries non responsables. Le 23 février, Les Amis de la Terre, Oxfam et Notre affaire à tous ont assigné BNP Paribas au tribunal judiciaire de Paris en vue de lui demander «un plan de sortie du pétrole et du gaz» et «l’arrêt immédiat de tout soutien aux entreprises qui développent des nouveaux projets d’énergies fossiles».

Une première au monde dans le secteur. Bien que le nombre de litiges climatiques ait doublé depuis 2015, selon la base de données du Grantham Research Institute de la London School of Economics (LSE), aucun contentieux n’avait auparavant visé une banque commerciale.

La loi sur le devoir de vigilance des multinationales, adoptée en 2017, fournit aux ONG françaises un levier d’action inédit. Si l’activité de BNP Paribas ne cause pas de dommages directs sur l’environnement, elle est responsable, selon elles, des dommages causés par les majors pétrolières et gazières via le soutien financier qu’elle leur offre. A ce titre, la banque française ne respecterait pas ses obligations légales consistant à adopter «des mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement».

Un débat d’interprétation de la loi

Un périmètre que le législateur a délibérément voulu très large… mais qui participe à entretenir un certain flou juridique autour du devoir de vigilance. Si la banque n’encourt aucune sanction pénale, elle peut écoper d’une condamnation civile, la contraignant à mettre en place certains mesures sous astreinte financière. Ce risque est aujourd’hui difficilement mesurable tant l’incertitude juridique est forte. Aucun autre cas n’a à ce jour été jugé en France. Dans l’affaire des projets Eacop et Tilenga développés par Total en Ouganda, le délibéré rendu le 28 février n’a guère offert de réponse… puisque le juge a déclaré la demande des ONG irrecevable sans se prononcer sur le fond, à savoir, le champ d’application du devoir de vigilance.

Dans une réponse de 13 pages adressée aux ONG après leur mise en demeure, le directeur de l’engagement d’entreprise de BNP Paribas Antoine Sire souligne que «leurs injonctions (…) ne sont pas destinées au respect de la loi sur le devoir de vigilance, elles vont nettement au-delà. Certes, les entreprises doivent se mobiliser pour jouer un rôle actif dans l’atteinte des grands objectifs environnementaux et sociaux, mais elles ne peuvent pas se substituer au législateur.»

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BNP Paribas revendique la liberté de moyens

Le texte de loi, qui comporte seulement quatre articles très brefs, vise à responsabiliser les multinationales vis-à-vis de l’ensemble de leur chaîne de valeur et notamment leurs sous-traitants et prestataires. Il laisse donc volontairement à ces entreprises «un certain pouvoir de détermination de la norme», rappelait le rapporteur de la commission des lois. «Sous le contrôle du juge, les mesures de vigilance raisonnable (…) sont laissées à l’appréciation de l’entreprise en fonction des circonstances de droit et de fait dans lesquelles elles auront vocation à être appliquées», écrivait-il encore.

C’est cette liberté que revendique aujourd’hui BNP Paribas, tandis que les ONG dénoncent «une vision documentaire» du devoir de vigilance se limitant à «du reporting» sur l’adoption et la mise à jour de son plan. Pour trancher, affirme François de Cambiaire, l’avocat du cabinet Seattle qui représente les ONG, «le tribunal s’appuiera sur les principes directeurs de l’ONU et de l’OCDE qui définissent les mesures spécifiques de vigilance sur les activités soutenues par la banque, pouvant aller jusqu’à l’arrêt de l’activité à l’origine du dommage et même le désinvestissement». Ces principes directeurs, adoptés par la France et une cinquantaine de pays en 2011, ne sont pas contraignants. Mais «l’essence même de la loi sur le devoir de vigilance est de donner un cadre légal à ces normes internationales», affirme François de Cambiaire.

« Un pari médiatique»

Si l’issue juridique de cette affaire est incertaine, le risque réputationnel pour la banque est non négligeable. «Du point de vue de la loi, rien ne me semble imposer à BNP Paribas un arrêt total du financement des entreprises pétrolières et gazières. Le temps judiciaire est long, la loi aura peut-être même été amendée avant que ne soit rendu le jugement. Les ONG semblent avant tout faire un pari médiatique pour mettre la pression sur le secteur bancaire dans son ensemble », décrypte un banquier de la place.

Le procès engagé contre BNP Paribas serait ainsi un nouveau levier d’action pour amener les banques à muscler encore davantage leurs politiques climatiques. «En tant que première banque européenne, nous sommes exposés en première ligne aux actions notamment contentieuses des ONG même si, paradoxalement, nos politiques sectorielles sont parmi les plus strictes et la transition de nos portefeuilles de crédits parmi les plus avancées par rapport au reste du secteur», rappelle la banque à L’Agefi. Régulièrement pointée du doigt pour son rôle dans le financement des industries polluantes, BNP Paribas s’est déjà engagée à sortir totalement du charbon dans les pays de l’OCDE en 2030 et dans le reste du monde en 2040. Une trajectoire partagée par les grandes banques françaises.

Depuis la mise en demeure adressée par les ONG en novembre 2022, les lignes ont déjà bougé. Deux semaines avant d’être assignée au tribunal, BNP Paribas publiait un communiqué faisant état de nouvelles avancées dans sa sortie des énergies fossiles. Elle a ainsi engagé sa sortie de l’exploration-production de pétrole qui représentera moins d’un milliard d’euros de crédits en portefeuille en 2030. Quant au gaz, elle «réduira ses financements à la production de 30%» en se concentrant «sur l’approvisionnement et les centrales à basses émissions».

«Ce premier contentieux est sans aucun doute le premier d’une longue série, partout dans le monde», espère Justine Ripoll, responsable de campagnes pour Notre affaire à tous. L’ONG a annoncé le 27 février qu’elle s’associait à l’association brésilienne Comissão Pastoral da Terra (CPT) afin de poursuivre BNP Paribas dans une deuxième affaire. Son objet : le soutien apporté par la banque à la deuxième plus grande entreprise de conditionnement de viande du Brésil, Marfrig, qui contribue à la déforestation illégale et à l’accaparement des terres des populations autochtones. BNP Paribas, qui exige que ses clients adoptent une stratégie «zéro déforestation» dans leurs chaînes de production et d’approvisionnement d’ici à 2025, rappelle que «seul un engagement collectif des institutions financières peut être totalement efficace» en matière de protection de la biodiversité et de réduction des gaz à effet de serre.

En frappant un grand coup médiatique contre la première banque européenne, les ONG espèrent maintenir la pression sur le secteur. Une action qui tombe à point nommé au moment où l’Union européenne se dote d’une directive sur le devoir de vigilance… dont elle souhaite exclure les services financiers.

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