
Bpifrance commercialise à son tour le prêt garanti par l’Etat

Bpifrance n’est pas seulement l’intermédiaire des pouvoirs publics et des banques commerciales pour les prêts garantis par l’Etat (PGE). La banque publique d’investissement entend désormais jouer un rôle direct dans le financement de la trésorerie des entreprises pendant la crise sanitaire. «Nous lançons le PGE pour les 80.000 clients actifs de Bpifrance», a annoncé hier son directeur général Nicolas Dufourcq, auditionné par la commission des finances du Sénat. L’institution compte débloquer «2 à 3 milliards d’euros de PGE en tant que prêteur direct», sur l’enveloppe de 300 milliards d’euros de garanties publiques prévue pour l’année 2020. Au 27 avril, un mois après le lancement, les banques commerciales françaises ont donné leur préaccord à 46 milliards d’euros de PGE, sur une demande totale de 77 milliards émanant d’environ 400.000 entreprises (certains des «409.000 dossiers» étant partagés au sein d’un «pool» de prêteurs), a affirmé hier Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF), également auditionnée par la chambre haute.
L’enveloppe de Bpifrance peut donc sembler assez limitée, d’autant qu’elle équivaut à une journée de PGE des banques commerciale qui donnent «environ 3 milliards d’euros de préaccords par jour», selon Nicolas Dufourcq. Mais elle est toutefois conséquente au regard de la typologie des clients de la banque publique. Sur ses 80.000 clients actifs, 90% sont des TPE qui, pour beaucoup, n’ont pas fait de demande de PGE. Les sociétés innovantes sont également dans le viseur. «Cette semaine Bpifrance commence à commercialiser le PGE aux start-up avec un objectif de 300-500 millions d’euros», déclare son directeur général. Selon lui, elles ont déjà obtenu près d’un milliard d’euros de prêts garantis auprès des banques commerciales, avec pour les plus jeunes un montant indexé sur la masse salariale et non sur le chiffre d’affaires. A l’échelle nationale, si toutes les demandes de PGE passent par Bpifrance, qui délivre aux entreprises un identifiant national unique, la banque publique assure qu’elle ne fera pas de démarchage actif.
3 milliards de prêts Atout
L’institution n’a pas reçu d’autorisation spécifique pour commercialiser le PGE, du fait de son statut d'établissement de crédit. Cette possibilité est même inscrite dans la «foire aux questions» mise en ligne par Bercy le 31 mars. Mais elle a décidé d’actionner ce levier en relais de son prêt Atout, qui lui a permis de financer des petites entreprises à hauteur de 3 milliards d’euros depuis la mi-mars. Bpifrance n’avait pas intérêt à prolonger ce produit de trésorerie créé au début du confinement car il est assis sur ses fonds propres, alors que les créances du PGE sont garanties par les finances publiques à 90% (pour les emprunteurs de moins de 5.000 salariés ou réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 1,5 milliard d’euros). Le prêt Atout est aussi moins intéressant pour l’emprunteur car assorti d’un «taux de 2,5%», contre un taux de 0,25% ou 0,50% seulement pour le PGE, avec dans les deux cas un différé d’amortissement.
Bpifrance propose aussi des prêts Rebond à taux zéro dont la garantie est financée par certaines régions (Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne, Grand Est…), avec un «objectif de 400 millions d’euros». Elle va aussi contribuer au plan de soutien au secteur du tourisme pour «plus d’un milliard d’euros», au côté de la Banque des Territoires de la Caisse des Dépôts, avance Nicolas Dufourcq. Mais elle n’interviendra pas dans la distribution des 500 millions d’euros d’avances remboursables promis par l’Etat aux recalés du PGE.
La banque publique dispose d’autres canaux de financement, dans sa palette de solutions, avec des moyens parfois contraints. «Pour nos prêts sans garantie, la demande est très forte mais nous sommes limités par les enveloppes budgétaires», pointe Nicolas Dufourcq, qui cite l’exemple des usines du futur et de la transition énergétique. «Nous avons besoin de dotations pour faire des prêts sans garantie à long terme», ajoute-t-il. L’an dernier, Bpifrance a augmenté de 7% ses crédits totaux aux entreprises françaises, à 18,7 milliards d’euros, mais ses prêts sans garantie ont reculé de 7%.
Lac d’argent sanctuarisé
Outre son action de prêteur, la banque publique poursuit son rôle d’investisseur en fonds propres. Depuis 15 mars, elle a octroyé 142 millions d’euros à 31 entreprises (start-up, PME et ETI) et décaissé 160 millions d’euros pour soutenir huit levées de fonds de sociétés de capital-investissement, précise une porte-parole. «En investissement direct, nous avons augmenté nos budgets, et en fonds de fonds nous sommes au même rythme qu’avant», assure Nicolas Dufourcq. Il évoque quatre tickets récents de 15 à 25 millions d’euros dans des tours de table qui auraient, selon lui, «planté» sans la participation de Bpifrance. L’institution a aussi lancé un fonds de quasi-capital de 80 millions d’euros pour les start-up qui peinent à se refinancer.
Pas question pour autant de mettre tous les outils de la banque au service de la relance, à commencer par le projet Lac d’argent. «Ce n’est pas le véhicule auquel il faudra penser pour recapitaliser les entreprises multinationales françaises en difficulté», prévient Nicolas Dufourcq. Pour autant, le projet ne serait pas remis en question par la crise. Comme prévu, «nous allons pouvoir faire le premier closing à 4,1 milliards d’euros grâce à la mobilisation des institutionnels et des bancassureurs français, des investisseurs étrangers et de Bpifrance pour un milliard», indique le dirigeant qui défend une «thèse de capital patient» avec un «objectif de rendement».
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RDC: à Ntoyo, dans le Nord-Kivu, les survivants des massacres commis par les ADF enterrent leurs morts
Ntoyo - Lundi soir, les habitants de Ntoyo, un village de l’est de la République démocratique du Congo (RDC), s’apprêtaient à assister à des funérailles quand une colonne d’hommes armés a surgi de la forêt. «Parmi eux, il y avait de très jeunes soldats», raconte à l’AFP Jean-Claude Mumbere, 16 ans, rescapé d’un des deux massacres commis par les rebelles ADF (Forces démocratiques alliées) dans la nuit de lundi à mardi, l’un à Ntoyo et l’autre dans un village distant d’une centaine de kilomètres. Le bilan de ces attaques, au moins 89 tués selon des sources locales et sécuritaires, a peu de précédent dans une région pourtant en proie à une instabilité chronique, victime depuis trente ans de multiples groupes armés et conflits. Les ADF, groupe armé né en Ouganda et qui a prêté allégeance à l’Etat islamique, est connu pour une extrême de violence à l'égard des civils. «Ils étaient nombreux et parlaient une langue que je ne comprenais pas. De loin, ils portaient des tenues qui ressemblaient à celles des militaires», se souvient le jeune homme, venu assister mercredi aux funérailles de sa soeur, l’une des victimes de ce nouveau massacre perpétré dans la province du Nord-Kivu. Plus de 170 civils ont été tués par les ADF depuis juillet dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, selon un décompte de l’AFP. Plus au sud, malgré les pourparlers de paix de ces derniers mois, des affrontements se poursuivent entre l’armée congolaise (FARDC) et affiliés, et le groupe armé antigouvernemental M23, soutenu par le Rwanda et son armée, qui s’est emparé des grandes villes de Goma et de Bukavu. A Ntoyo, Didas Kakule, 56 ans, a été réveillé en sursaut par les premiers coups de feu. Il dit avoir fui avec femmes et enfant à travers les bananeraies pour se réfugier dans la forêt voisine, avec d’autres habitants. Tapis dans l’obscurité, les survivants n’ont pu que contempler leurs maisons consumées par les flammes. «Les coups de feu ont retenti longtemps. Ma maison a été incendiée, ainsi que le véhicule qui était garé chez moi. Chez nous, heureusement, personne n’a été tué», dit Didas Kakule. Jean-Claude Mumbere, lui, a été touché par une balle pendant sa fuite. «Ce n’est qu’après m'être caché dans la forêt que j’ai réalisé que je saignais», affirme-t-il. «Inaction» Mercredi, Ntoyo, 2.500 habitants, n'était plus qu’un village fantôme, et la plupart des survivants partis se réfugier dans l’agglomération minière voisine de Manguredjipa. Une dizaine de corps étaient encore étendus sous des draps ou des bâches, battus par une forte pluie. Des volontaires ont creusé des tombes, assistés par des jeunes des environs, et planté 25 croix de bois dans la terre humide. Une partie des dépouilles avait déjà été emportée par les familles, les cercueils ficelés à la hâte sur des motos. Parmi les quelques proches de victimes venus aux funérailles, Anita Kavugho, en larmes devant la tombe de son oncle. Il est mort "à cause de l’inaction des autorités qui ne réagissent pas aux alertes», peste la jeune femmme, une fleur à la main. Des pickups de l’armée congolaise stationnent non loin, devant un véhicule calciné. Le déploiement de l’armée ougandaise (UPDF) aux côtés de l’armée congolaise dans le nord-est de la RDC depuis 2021 n’a pas permis de mettre fin aux multiples exactions des ADF, groupe formé à l’origine d’anciens rebelles ougandais. Quatre militaires congolais étaient présents à Ntoyo au moment de l’attaque. Les renforts stationnés à environ 7 km à Manguredjipa sont arrivés trop tard. «C’est leur faillite, on signale aux militaires que les assaillants sont tout près, et ils n’arrivent pas à intervenir», lâche Didas Kakule, amer. Cette énième tuerie risque d’aggraver la «fissure» entre l’armée et la population, estime Samuel Kakule, président de la société civile de Bapere. Les ADF «se dispersent en petits groupes pour attaquer nos arrières», répond le lieutenant Marc Elongo, porte-parole de l’armée congolaise dans la région, présent à Ntoyo mercredi. Quelques jours auparavant, les forces ougandaises et congolaises s'étaient emparées d’un bastion ADF dans le secteur et avaient libéré plusieurs otages du groupe, selon l’armée. Mais comme souvent, les ADF se sont dispersés dans la forêt, et ont frappé ailleurs. Une stratégie pour attirer les militaires loin de ses bases, selon des sources sécuritaires. © Agence France-Presse