Tim Ryan: «Je gère Natixis IM comme si elle était cotée»

Le directeur général de Natixis IM, en poste depuis avril 2021, s’exprime pour la première fois dans la presse sur les défis du secteur.
Tim Ryan (REA)
Tim Ryan (REA)  -  REA

Vous avez pris la direction de Natixis IM il y a bientôt deux ans. Quel regard avez-vous porté sur le groupe à votre arrivée ?

Bien que mes précédentes fonctions m’aient amené à être client de Natixis IM, j’ai été surpris par la richesse de l’offre. Avec près de 20 sociétés de gestion affiliées, Natixis IM travaille sur un modèle multi-boutiques et gère quelque 250 stratégies différentes grâce à 338 analystes et plus de 825 gérants de portefeuille. A mon arrivée, j’ai pensé que l’enjeu principal était de préserver cette richesse d’expertises tout en réalisant une simplification de cette offre. J’ai par ailleurs constaté que Natixis IM avait une capacité unique d’accompagnement de ses affiliés. Certains affiliés sont des start-up comme Thematics AM, d’autres sont au stade de croissance comme Mirova, et d’autres encore disposent d’une longue expérience comme Loomis Sayles qui a été fondé en 1926. L’accompagnement ne peut pas se faire de la même façon pour chacun et doit être adapté à chaque dynamique de développement.

La troisième observation que j’ai pu faire était que l’agenda clients dans le monde n’est pas le même selon les affiliés et que les équipes clients devaient jouer un rôle central. La plateforme mondiale de distribution avait déjà été structurée par mes prédécesseurs, mais il était important que dans un modèle centré autour du client, elle soit encore mieux articulée autour du service. Et pour cela, l’unification de la distribution internationale devait être accompagnée par toutes les fonctions de la chaîne de valeur d’un gestionnaire d’actifs. Le pilotage se fait aujourd’hui à un niveau global, avec une coordination très étroite entre Paris (2.800 collaborateurs en Europe) et Boston (2.050 collaborateurs en Amérique du Nord).

L’année 2022 a été difficile pour tout le secteur. Quel a été l’impact pour Natixis IM ?

Le monde de l’asset management a connu le plus gros choc obligataire depuis des décennies, couplé à un choc sur le marché actions. Je pense que cela aura davantage un impact sur les besoins des clients que sur notre stratégie. Il leur faut trouver des solutions simples pour faire face à des craintes importantes : par exemple celle de l’inflation pour les particuliers ou celle de l’inversion de la courbe des taux pour les investisseurs institutionnels. Nous sentons un nouvel intérêt pour les produits à coupon et à revenus réguliers qui avaient un peu disparu. On voit aussi l’accélération de la demande des actifs privés adossés à l’inflation, comme les infrastructures. Le phénomène est aussi assez similaire chez les particuliers qui demandent un accès plus important à ces classes d’actifs.

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Le choc de 2022 aura-t-il un effet durable sur la rentabilité des asset managers ?

L’asset management est une industrie de coûts fixes et de revenus variables qui dépendent à la fois du volume d’encours gérés et de la variation des marchés financiers. Ces deux sources de revenus ayant été mises sous pression, il faut une masse critique pour encaisser un tel choc. Mais dans la gestion active, on se retrouve vite face à un dilemme : la course à la taille peut restreindre la capacité à délivrer de la performance. Notre affilié américain Harris Associates, spécialiste de la gestion actions value, considère par exemple qu’il ne pourrait pas dépasser certains niveaux d’encours, au risque de détériorer la performance de ses fonds. Il faut donc en permanence agir sur les coûts. Ces derniers ne cessent de s’accroître pour des raisons réglementaires ou encore de structure de marché : aujourd’hui, Natixis IM dépense plus pour l’acquisition de données que pour ses loyers.

Comment vous y prenez-vous ?

A la fois en trouvant des synergies et en rendant les coûts variables. A mon arrivée, dès l’été 2021, nous avons continué à travailler sur la variabilité des coûts. Le recours au cloud, à condition de ne pas se rendre dépendant d’un seul prestataire, est une des solutions. Nous mettons aussi en jeu régulièrement les contrats de nos prestataires. Par exemple, en Europe, nous venons de terminer une revue de nos relations avec nos banques dépositaires et agents de transfert. En termes de synergies, nous cherchons à mettre en commun le plus de process possible, en nous appuyant sur nos deux plus gros affiliés par zone géographique, Loomis Sayles pour nos affiliés aux Etats-Unis et Ostrum AM pour ceux qui sont en Europe. Par exemple, notre gérant à Houston, Vaughan Nelson, vient de migrer sur les systèmes de Loomis. Autre exemple, nous avons créé un centre de data mining à Montréal pour nos six affiliés américains afin de rendre leur gestion plus performante. Ces développements visent à la fois à réaliser des économies et à améliorer le service rendu aux clients, ainsi qu’à nous permettre de continuer à investir.

Si la masse critique doit augmenter, faut-il s’attendre à une reprise des grandes fusions, bien que peu aient été concluantes ?

L’équation économique pousse en ce sens. Le retour à la normale des flux d’investissement prendra un certain temps. Quand je parle de masse critique, je raisonne en termes de revenus : pour un acteur mondial, le seuil est désormais de un milliard d’euros. La consolidation viendra. Le faible taux de réussite pour les grands rapprochements vient du fait qu’il est difficile de fusionner des cultures. Or il y a toujours un acteur dominant et un acteur dominé dans ce type d’opération. Dans un modèle très intégré, il est difficile aussi de maintenir une culture de l’innovation ou des vues de marché divergentes. Cela fonctionne mieux dans un modèle décentralisé, qui est aussi celui de notre actionnaire, BPCE, avec les Caisses d’Epargne et les Banques Populaires.

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Est-il intéressant, dans cette optique, de coter Natixis IM en Bourse ?

La cotation n’est que le moyen d’arriver à un but. Si ce but est la croissance externe, elle peut offrir du financement et une monnaie d’échange mais elle n’est pas indispensable. A ce jour, une cotation de Natixis IM n’est pas à l’agenda. En revanche, je m’efforce de gérer la société comme si elle était cotée, comme je l’ai fait lors de mes précédentes fonctions, car la discipline financière de la cotation est importante.

Votre filiale Ostrum AM, à sa création avec La Banque Postale, devait aussi être un outil de consolidation dans la gestion assurantielle. Avez-vous des dossiers en vue ?

Avant tout, le premier objectif d’Ostrum AM était de gagner des clients par sa croissance organique. Il y a environ 4.000 assureurs en Europe et la société remporte aujourd’hui des appels d’offres dans des pays comme l’Allemagne, l’Italie ou le Japon. La deuxième manière de croître est de nouer des partenariats qui permettent à la fois de faire de la gestion assurantielle et de reprendre des équipes spécialisées : nous sommes sollicités à ce sujet et nous étudions des opportunités. L’autre manière est d’être un acteur de la consolidation par des acquisitions de sociétés de gestion spécialisés mais cela reste opportuniste car il y a peu de dossiers actuellement.

Le modèle multi-boutiques connaît aussi des échecs. Comment éviter un nouvel H2O ?

Chez Natixis IM, nous avons réussi à créer des offres performantes pour nos clients par rapport à nos pairs, 70 % de nos fonds sont dans les premiers et deuxièmes quartiles sur cinq ans selon Morningstar. Nous devons à chaque fois réfléchir à la nature des actifs et des services que nous voulons proposer à nos clients, pour que nos intérêts soient alignés. Prenons l’exemple des produits structurés, qui connaissent à nouveau du succès grâce à la remontée des taux. Nous devons nous assurer que nos clients sont les principaux bénéficiaires de leur performance. Nous sommes toujours attentifs à la culture clients des affiliés de Natixis IM. Par ailleurs, nous avons continué à investir dans les fonctions de contrôle pour être en adéquation avec l’agenda réglementaire. A ce titre, nous avons 350 collaborateurs sur les fonctions d’audit, de risques et de conformité sur un effectif total de 5.000 personnes.

Avez-vous provisionné un risque de litige sur H2O, dont Natixis IM est encore actionnaire à 23,4 %, compte tenu des procédures en justice engagées par certains clients ?

Natixis IM n’est pas visée à ce stade par ces procédures françaises qui concernent H2O AM. De même, la sanction infligée par l’Autorité des marchés financiers (AMF) en décembre 2022 dans ce dossier ne concernait que H2O AM et ses dirigeants. Nous n’avons plus de poste d’administrateur au sein de la société et si elle a déjà été largement réalisée courant 2021, la reprise des activités de distribution par H2O AM a été entérinée en mars 2022. Nous nous sommes assurés, en dénouant nos liens en mars 2022, que H2O AM disposerait des ressources nécessaires pour continuer à gérer les portefeuilles de ses clients. La cession de notre participation résiduelle dans H2O AM est toujours en cours, avec une sortie totale du capital d’ici à 2028.

Nous avons évoqué l’alignement d’intérêts. Est-ce vraiment le bon moment du cycle pour ouvrir largement aux particuliers l’accès aux actifs privés ?

Effectivement, j’ai noté comme vous les derniers sujets relatifs à des questions de liquidité sur les fonds immobiliers. Cela a soufflé un coup de froid chez la plupart des clients. De notre côté, nous privilégions une offre en fonds de fonds sur le private equity notamment. Cela permet une plus grande diversité de risques et de contraintes de liquidité. De manière générale, notre objectif est d’être très granulaire sur notre offre et les risques associés en fonction de la clientèle, tout en accompagnant nos réseaux partenaires dans sa commercialisation. Par exemple, nous avons réalisé avec le réseau des Banques Populaires et des Caisses d’Epargne en France plus de 8.000 formations l’an dernier sur le terrain. Je pense qu’un des moyens de protéger les clients est par exemple de s’assurer qu’il y ait bien des clauses de liquidité dans les contrats d’assurance-vie ou que les allocations d’actifs sont bien pilotées. Sur la dette privée, on sait aussi très bien que certaines sont plus liquides que d’autres, voire parfois plus liquides que la dette publique. Nous utilisons les compétences de nos équipes multi-asset /solution en fonction des besoins des clients en termes de liquidité et d’appétence au risque. Nous avons aussi des spécialistes de la dette privée parmi nos affiliés, comme MV Credit.

Selon la Commission européenne, la protection de l’épargnant passe par l’interdiction des rétrocommissions (inducements) du producteur au distributeur. Qu’en pensez-vous ?

La question est celle de l’accès au conseil financier pour tous les épargnants et en particulier pour ceux qui ne disposent pas d’un patrimoine élevé. Au Royaume-Uni, cette réglementation a exclu les clients mass affluent du conseil en leur imposant des frais fixes. Aux Pays-Bas, l’interdiction des inducements a fonctionné car la place financière néerlandaise, avec les autorités et les régulateurs, a réussi à mettre en place un modèle économique où le conseil est facturé à taux variable, sur une base très faible.

L’ESG fait aussi partie des domaines où les gérants ont des coups à prendre : performances décevantes en 2022, accusations de ‘greenwashing’… Comment traitez-vous le sujet ?

La matière est complexe, régie par de multiples normes en perpétuelle évolution et qui peuvent être contradictoires. D’une certaine manière, tant mieux pour nous : nous pouvons décrypter cette complexité grâce à notre vue mondiale et nos contacts avec tous les régulateurs. Nos clients nous le demandent et sont résolus à intégrer les critères environnementaux ou sociaux dans leur processus d’investissement. L’ESG reste clivant et sujet à forte controverse. Il est poussé par un agenda politique et réglementaire international, mais le « S » du social dépend des cultures de chacun. Face à cela, nous devons continuer à investir dans ce domaine.

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