
La défense, ni responsable ni durable

Depuis plusieurs semaines, le gouvernement multiplie les appels à la finance privée pour financer la défense nationale, un investissement qu’il présente comme « durable » et « responsable ».
S’il faut rappeler des évidences, rappelons-les. Non, la guerre n’est ni durable ni responsable. Elle ne l’a jamais été et elle ne le sera pas. Alimentée par les énergies fossiles, la guerre fauche des vies et entraîne des destructions environnementales massives. Elle provoque des déplacements forcés de populations à grande échelle et ruine les économies locales. Si l’ensemble des forces armées comptent pour près de 6 % des émissions de CO2 liées aux énergies fossiles en temps de paix – de quoi arriver en quatrième position des plus gros émetteurs, derrière la Chine, les Etats-Unis et l’Inde –, le bilan carbone explose pendant les conflits armés.
La guerre n’a jamais engendré la paix. A l’inverse, l’histoire nous enseigne que l’issue d’une esca-lade des dépenses militaires est souvent l’affrontement
Les va-t-en-guerre rétorqueront que ces ravages humains et environnementaux sont les dommages collatéraux nécessaires à l’instauration de la paix et de la démocratie – des conditions souvent présentées comme préalables à la lutte contre le dérèglement climatique. Mais il faut en finir avec ce mythe : la guerre n’a jamais engendré la paix. A l’inverse, l’histoire nous enseigne que l’issue d’une escalade des dépenses militaires est souvent l’affrontement.
Une industrie de guerre qui prospère au nom de la paix
Investir dans la défense nationale ou européenne via les investissements privés revient à soutenir l’ensemble de l’industrie française de l’armement. Un secteur dont les activités ne se limitent pas à la défense nationale, encadrée par la commande publique, mais s’étendent bien au-delà. Forte de milliers d’entreprises et dominée par quelques géants, cette industrie fait de la France le deuxième exportateur mondial d’armes. Augmenter son financement via l’épargne ou l’investissement privé, c’est accroître sa capacité d’exportation dans le monde entier, sans pratiquement aucun contrôle sur l’usage final des armes vendues.
L’industrie de l’armement se distingue par son opacité – secret défense oblige –, une opacité qui nourrit aussi la corruption : le commerce mondial des armes représente à lui seul environ 40 % de la corruption mondiale. Les entreprises françaises ne font pas exception. En 2024, Thales a été perquisitionné dans plusieurs pays, soupçonné de corruption liée à des ventes d'équipement militaire à l'étranger.
Officiellement exportées « au nom de la paix », ces armes risquent au contraire d’alimenter des conflits ou d’être utilisées contre des civils. Dassault Aviation, Thales et MBDA sont visés par une plainte d’ONG, dont Sherpa, pour possible complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité au Yémen. Thales est aussi cité par Disclose pour l’utilisation de ses technologies dans les bombardements israéliens à Gaza.
La guerre, entrave à la transformation sociale et écologique
La guerre n’est ni le prix à payer pour la paix, ni un détour vers la transition. Elle en est l’entrave directe : en mobilisant budgets, matières premières et forces vives, elle détourne l’attention et les ressources nécessaires à la transformation de nos économies. Et ce sont les populations déjà les plus exposées aux violences systémiques, au recul des droits sociaux, à l’effondrement des services publics et aux effets du dérèglement climatique qui en paient d’abord le prix.
Si la guerre reste une hypothèse, le dérèglement climatique est une certitude. Il ne fera pas de trêve pendant que l’Europe se rêve en forteresse militaire
Au nom de la guerre, les Etats demandent aux citoyens toujours plus de sacrifices : travailler plus longtemps, renoncer à des services publics à la hauteur de leurs besoins. Et pendant que les Etats membres de l’Union européenne (UE) peinent à réunir les 620 milliards d’euros supplémentaires nécessaires chaque année à la transition écologique, la Commission européenne propose d’alléger les règles budgétaires pour financer les 800 milliards annoncés pour l’effort de guerre.
Si la guerre reste une hypothèse, le dérèglement climatique est une certitude. Il ne fera pas de trêve pendant que l’Europe se rêve en forteresse militaire. Pendant que des milliards sont promis aux arsenaux, les sécheresses, inondations, pertes agricoles fragilisent les économies locales, provoquent inflation, pénuries et insécurité alimentaire, et participent à la montée des idées d’extrême droite – y compris sur le sol européen.
Niant ou contournant ces réalités, les tentatives de présenter l’armement comme un investissement « durable » ou « responsable » se multiplient. Les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) freineraient le financement de l’industrie de l’armement. Or rappelons que les cadres actuels – SFDR ou les labels comme ISR et Greenfin – n’excluent en rien cette industrie. Ils se contentent d’interdire le financement des armes prohibées par les conventions internationales, telles que les mines antipersonnel (Convention d’Ottawa, 1997) ou les armes à sous-munitions (Convention d’Oslo, 2008).
Ces tentatives reposent sur une inquiétante inversion des valeurs : : les armes seraient devenues vertueuses, et la responsabilité, un frein. Une logique absurde : si les gouvernements décident de financer l’armement pour une question de sécurité, il n’est pas nécessaire de brandir l’argument fallacieux de la durabilité.
Sortir des fossiles, le levier de protection le plus sûr
La course à l’armement ne garantit pas la paix. En revanche, sortir des énergies fossiles peut renforcer la sécurité de l’Europe face à la Russie, dont la guerre est financée par ses exportations énergétiques. Grand importateur d’uranium enrichi russe, la France est aussi le premier importateur de GNL russe en Europe, et l’UE reste son troisième client énergétique, ayant même augmenté de 18 % ses importations de gaz entre 2023 et 2024.
Ces importations ont coûté plus à l’UE que le montant de l’aide directe apportée à l’Ukraine depuis 2022. Si l’on veut réellement renforcer la sécurité de l’Europe, un levier essentiel, massif, sans risque, et même rentable, est à notre portée : la sortie des énergies fossiles.
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