
Traitement fiscal des cryptomonnaies, vers une éclaircie

Sébastien Bourguignon, principal & lead digital influencer, Margo, et

Vincent Renoux, avocat associé, Stehlin et Associés
Le 26 avril 2018, le Conseil d’État a rendu une décision fort attendue concernant le traitement fiscal des gains sur cession de bitcoins. Il faut dire que jusqu’ici les informations en la matière restaient limitées à des conseils privés, mises à part quelques lignes dans la doctrine administrative relatives au bitcoin et fort peu favorables aux crypto-détenteurs. Ce sont ces quelques lignes de doctrine que les juges viennent d’annuler partiellement. Elles permettaient d’imposer les gains sur cryptomonnaies réalisés à titre occasionnel à un taux supérieur à 60 %. Désormais, l’imposition est limitée à 19 % au plus fort, hors prélèvements sociaux toutefois.
Cette décision est un premier mouvement dans le sens d’une clarification, voire d’une pacification, des relations entre fiscalité et cryptomonnaies. Mais elle ne doit pas occulter l’immense zone d’ombre que sa résonnance médiatique peut cacher. D’abord, le taux de 36,2 % avec les prélèvements sociaux est moins favorable que celui de la flat tax, 30 % prélèvements compris. Ensuite, si sa portée devrait sans difficulté être étendue à l’ensemble des cryptomonnaies, est-il envisageable de l’appliquer également à certains tokens ? Quelle est la frontière entre une activité à titre occasionnel et une autre à titre habituel ? Enfin, il y a toutes ces opérations – la majorité en fin de compte – que la doctrine administrative ne visait pas et sur lesquelles le Conseil d’État n’a pas eu à se prononcer : les acteurs à l’initiative ou participants d’initial coin offerings (ICO) et les sociétés détentrices de cryptomonnaies sont confinés dans la même incertitude.
Reconnaissons toutefois que les objectifs du gouvernement se précisent. Le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a publiquement signifié son intention de porter la France parmi les nations fortes de l’écosystème blockchain. La France et l’Union européenne entrevoient avec l’avènement du Web décentralisé leur revanche sur les géants du numérique étrangers. Cet intérêt naissant doit être suivi par des actes. Nous devons proposer ensemble, crypto-utilisateurs, advisors et fiscalistes, un cadre fiscal d’ensemble pour offrir à la France un nouveau printemps économique grâce à l’écosystème blockchain. Nous devons nous appuyer sur les dispositifs existants – jeune entreprise innovante, crédit d’impôt recherche – et les compléter pour que le tout forme un cadre rassurant tout en restant fidèle aux grands principes de l’impôt.
La modernisation des critères de rattachement de l’impôt est un préalable afin d’adapter l’état d’imposition des revenus de l’économie numérique. Dans l’hypothèse où nous refuserions encore d’élargir les critères de rattachement réels aux revenus tirés d’une présence digitale significative, les sociétés qui envisagent d’initier une ICO à partir de la France verront comme une tentation les places très faiblement imposées d’où elles peuvent rayonner en bénéficiant d’une fiscalité parfois dérisoire.
Une fois cette mise à jour effectuée, nous devons penser l’écosystème blockchain comme une chance pour l’économie tant tous ses flux sont amenés à se déverser dans le système traditionnel, soit lors d’une conversion en devise étatique, soit lors de l’achat d’un bien ou d’un service. À moins qu’il ne s’agisse de traders professionnels, accordons-leur le bénéfice du prélèvement forfaitaire unique à 30 % – puisqu’il a vocation à pousser à l’investissement ! – sur la plus-value constatée lors du déversement dans l’économie traditionnelle. La plus-value latente, de l’investissement initial à la sortie, serait ainsi mise en sursis. Comme les crypto-détenteurs ne prendront pas le risque de convertir une partie de leur manne pour payer l’impôt, ils chercheront logiquement une terre plus accueillante.
Consacrons dans le même temps un modèle adapté aux ICO. Dans l’hypothèse de l’émission d’utility tokens contre des cryptomonnaies, il n’y a aucune raison de forcer à convertir une importante partie des cryptomonnaies obtenues – avec le risque que cela représente pour un cours déjà fragile – plutôt que d’attendre pour les imposer qu’elles soient utilisées contre des monnaies fiat, pour des dépenses d’exploitation ou le versement de dividendes. Imposons comme pour l’économie traditionnelle, lorsque le bénéficiaire peut effectivement disposer du revenu. Exonérons également de TVA – au même titre qu’il est nécessaire de le prévoir pour toutes les cryptomonnaies – les tokens revendus par les acheteurs, et imposons-les également à 30 %.
Un mariage réussi passe par une réciprocité des engagements sur le long terme. Construisons donc une relation de confiance entre les crypto-détenteurs et l’administration grâce à des obligations déclaratives identiques à celles auxquelles sont aujourd’hui soumis les titulaires d’un compte détenu à l’étranger.
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