Salwa Boussoukaya Nasr fait grandir le Fonds de réserve pour les retraites

Une femme, une équipe
Valérie Riochet
Salwa Boussoukaya Nasr
Maxime Sanglar, analyste de portefeuille ; Duc Bui Van, chargé d’études appels d’offres et gestion de trésorerie ; David de Souza Peixoto, directeur d’investissement actions des pays émergents et stratégies indicielles ; Cristel Haution Sarac, responsable de la gestion déléguée et de l’investissement responsable ; Mickaël Hellier, chargé de mission investissement responsable ; Salwa Boussoukaya Nasr, directrice financière ; Pierre Olivier Billard, responsable de l’allocation d’actifs ; Thérèse Quang, stratégiste ; Olivier Piedon, stagiaire ; Johann Tourne, gérant overlay ; Christophe Roger, responsable adjoint du département allocation d’actifs ; Cyrille Henry-Bonniot, ingénieur financier. Absents de la photo : Patricia Glon, Antoine Dupaquis et Victoire Costa de Beauregard directeurs d’investissement ; Hervé Seignol, responsable des appels d’offres, Pauline Mercier, ingénieur financier senior.  -  Pierre Chiquelin

C’est notamment sur les épaules de cette femme et de son équipe que repose la lourde charge dévolue à l’établissement public de colmater le financement des retraites. Championne d’aviron, plusieurs fois primée en national, mère de quatre enfants, Salwa Boussoukaya Nasr est depuis 2012 directrice financière du Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Tournant le dos à la gestion d’actifs en 2006, cette ancienne gérante d’Ixis AM nourrit l’envie de rejoindre une maison de taille restreinte, un investisseur porteur de sens. Les rondeurs d’une maternité imminente ne l’empêchent pas de franchir les quelque sept entretiens fixés par le FRR. Qui l’attendra de son retour de congé maternité pour lui offrir la gestion du programme overlay.

Depuis son recrutement, le contexte a évolué. Créé en 1999, le FRR devait aider le système français à passer le cap du « baby-boom », prévu pour 2020, en constituant une poire pour la soif de quelque 100 milliards d’euros à l’époque estimés nécessaires pour sauver la France du naufrage du régime par répartition. Mais dès 2010, les pouvoirs publics ont revu leur projet et estimé les besoins de financement plus prématurés que prévu et ponctionné les capitaux mis en réserve. « Jusqu’en 2010, le Fonds de réserve avait retenu l’hypothèse de 21 flux de décaissement entre 2020 et 2040. Suite à cette réforme des retraites, il a été décidé que le FRR verse chaque année, jusqu’à 2024 inclus, 2,1 milliards d’euros à la Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale). Parallèlement, nous optimisons le ‘surplus’ non distribué », retrace Salwa Boussoukaya Nasr. A fin juin 2018, les actifs de gestion du FRR s’élevaient à 34,2 milliards d’euros et le surplus atteignait 16 milliards. Les abondements annuels perçus jusqu’alors par le FRR sont depuis 8 ans directement affectés à la Cades. Et ses entrées alimentées par ses seuls gains financiers. « En conséquence de la réforme de 2010, notre gestion a été profondément modifiée », relève-t-elle. Pas d’objectif de performances financières inscrit sur sa feuille de route, « cependant, nous regardons le rendement moyen des emprunts d’Etat. Ce surplus doit créer de la valeur pour l’Etat et offrir une performance supérieure au coût de la dette française. »

Au-delà d’un passif court (2024), l’équipe de 16 personnes emmenée par Salwa Boussoukaya Nasr doit composer avec une autre difficulté : le calendrier politique. Le gouvernement d’Edouard Philippe a annoncé créer un système de retraite universelle. « Le projet de loi devrait être présenté au cours du premier semestre 2019 pour être voté après l’été. Que deviendra le FRR au-delà de la date butoir de 2024 ? interroge-t-elle. Avec cette réforme, quelles seront les nouvelles recettes affectées, les flux à décaisser ? » Un contexte d’incertitude « qui nous prive de prime d’illiquidité », poursuit-elle déçue, indiquant un moindre déploiement des capitaux sur des actifs risqués. Pour autant, ses équipes sont parvenues à delivrer une performance nette totale de 7,16 % en 2017.

Coût d’opportunités

Aujourd’hui, le FRR regroupe des actifs de performances (actions, obligations haut rendement...) à hauteur de 55,6 % (à décembre 2017), des actifs de couverture (obligations d’entreprise de qualité...) pour 44,6 %, tandis qu’un mandat de couverture (overlay) couvre le risque de change du FRR et comprend des dérivés simples qui permettent « d’ajuster nos positions sans intervenir directement dans la gestion de nos portefeuilles et générer de trop lourds coûts de frottement », décrypte la directrice financière. Le mandat overlay relève des compétences de Pierre-Olivier Billard, directeur du département de l’allocation d’actifs. Dans son service, une économiste et un stratégiste livrent leurs recommandations d’investissement. « Au départ, l’allocation stratégique s’inscrivait dans un horizon de passif de long terme (2040), rappelle-t-il. Les projections dépendaient alors quasi uniquement des prévisions macroéconomiques. Aujourd’hui, un horizon de passif de 5 ans augmente l’incertitude sur les hypothèses et peut nous rendre plus prudents. » A partir de ces projections, deux ingénieurs financiers ont pour tâche de modéliser les actifs afin de représenter leurs mouvements joints, leurs risques (risques de pertes extrêmes...). Sur cette allocation stratégique se greffe l’allocation tactique réalisée « sur un horizon de 2 mois à 2 ans, pour laquelle nous décidons de sous ou de surpondérer certaines classes d’actifs ». La mise en œuvre d’une décision ne dicte pour autant pas forcément un arbitrage immédiat au sein des portefeuilles physiques. Le mandat overlay, « le seul que nous gérons dans notre service », permettant d’adapter le portefeuille.

Le cœur du réacteur en matière de gestion est entre les mains de Cristel Haution Sarac et de son équipe (9 personnes). Cette ancienne gérante de Natixis AM déploie dans les portefeuilles la stratégie retenue par le service de Pierre-Olivier Billard. Elle est principalement le trait d’union entre les gérants d’actifs de la Place et le Fonds de réserve. « A l’exception de la trésorerie du FRR, l’ensemble de la gestion est externalisé au travers de mandats ou d’OPC ouverts », rappelle-t-elle. Le FRR est un investisseur de poids dans le paysage français, toutes les maisons se pressent à sa porte. « Ils nous nourrissent sur les réalités de marché, par exemple. » Des échanges précieux pour celle dont la mission est de lancer soit des appels d’offres – « le FRR dépend du Code des marchés publics qui regroupe les procédures à suivre » –, soit un process de sélection de fonds, démarche plus souple. L’autre grande mission qui lui incombe est celle du suivi des investissements. « Nous passons sous nos fourches caudines leurs ‘reportings’ et recalculons les données de performance et de risque ». Deux fois par an, elle les rencontre, voire davantage si nécessaire : déception sur les performances, modification majeure du mandat ou du fonds (départ du gérant, déviation des biais de gestion, etc.). Dans certains cas, la traditionnelle durée de vie de 5 ans d’un mandat est réduite. Plusieurs appels d’offres sont aujourd’hui en cours, notamment en gestion actions petites capitalisations européennes et françaises, actions américaines... Début 2019, les mandats gestion active sur les actions japonaises seront remis en jeu.

La gestion financière pure et dure doit aussi s’inscrire dans une diffusion très large de l’approche ESG à l’ensemble de la gestion de ce grand investisseur. « Sans relever de l’obligation de répondre à l’article 173 de la loi de Transition énergétique, le FRR s’y soumet, souligne Salwa Boussoukaya Nasr. Le Fonds de réserve doit avoir valeur d’exemple. »


Le parcours de Salwa Boussoukaya Nasr

HEC, spécialisation Finance.

Université de Caroline du Nord, Etats-Unis : teacher assistant.

1993-1994 : trading pour compte propre et gestion indicielle, Lazard Frères et Cie.

1994-1998 : gestionnaire obligataire, Lazard Frères Gestion.

1998-2004 : responsable de l’allocation stratégique et tactique et de la recherche financière, Lazard Frères Gestion.

2004-2006 : gérante de portefeuilles diversifiés rendement absolu, Ixis AM.

2006-2010 : gestionnaire en charge du suivi du programme overlay, FRR.

2010-2012 : responsable du département pilotage de l’allocation, FRR.

Depuis avril 2012 : directrice financière, FRR.

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