
L’interdiction du financement du secteur militaire divise la Suisse

L’initiative, portée par le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA), pourrait avoir d’importantes répercussions sur le portefeuille des investisseurs institutionnels suisses si elle est adoptée par les citoyens helvétiques ce dimanche. Les caisses et fonds de pension, la Banque nationale suisse, l’assurance-vieillesse et survivants (AVS), entre autres, devraient se désinvestir des entreprises tirant plus de 5% de leur chiffre d’affaires de la production de matériel militaire. Le texte prévoit aussi que la Suisse s’engage sur le plan national et international «en faveur de la mise en place de conditions analogues applicables aux banques et aux assurances». Selon les derniers sondages réalisés la semaine dernière par l’institut gfs.bern, 50% des votants soutiendraient l’initiative, un chiffre en constante baisse depuis fin octobre.
Diversification d’investissement réduite
La société des officiers de l’armée suisse dénonce une initiative qui «met clairement en danger la sécurité en Suisse». Si l’issue de la votation est oui, l’armée suisse devra acheter ses équipements à l’étranger. La loi de la Confédération helvétique interdit déjà de faire commerce et d’investir dans des armes biologiques, chimiques et nucléaires ainsi que dans les mines anti-personnel et armes à sous-munitions. En octobre, Guy Parmelin, vice-président du conseil fédéral suisse, a qualifié l’initiative d’utopique, inefficace ou encore nocive pour l’industrie locale. «Aucun autre pays n’applique une interdiction aussi radicale», a-t-il dit en conférence de presse, ajoutant que la Suisse formait moins d’1% du marché de l’armement mondial entre 2015 et 2019 et que deux tiers de sa production étaient exportés vers des pays européens. Guy Parmelin a aussi averti que les opportunités d’investissement pour les institutionnels suisses seraient «massivement réduites» et que ceux-ci seraient obligés d’investir dans des produits moins diversifiés, plus risqués et plus coûteux. De son côté, la Banque nationale suisse a estimé qu’elle devrait vendre environ 11% de son portefeuille actions soit ses positions dans près de 300 compagnies.
L’association suisse des institutions de prévoyance (ASIP), elle, rejette l’initiative qui aurait pour conséquence d’interdire le financement d’entreprises qui réalisent jusqu’à 95% de leur chiffre d’affaires dans le secteur civil (transport aérien, technologies de l’information,…). Les fonds de pension suisses de petite et moyenne taille pourraient être les plus touchés dans leurs investissements, dit à L’Agefi Michael Lauener, chercheur senior à l’ASIP, pointant notamment une hausse des coûts administratifs. L’association suisse pour l’investissement responsable ne prend pas position sur l’initiative mais accueille le débat public au sujet du financement du matériel de guerre. En outre, elle invite ses membres à exclure une vingtaine de compagnies impliquées dans la production d’armes interdites à travers le monde telles que les mines anti-personnel.
Un sujet de discussions récurrent
Selon Jean Laville, directeur général adjoint de Swiss Sustainable Finance, l’initiative reflète bien l’évolution de la société en général sur la prise en compte des enjeux de droits humains et environnementaux qui sont liés à l’activité économique. Il explique à L’Agefi que la question de l’armement produit en Suisse et de ses exportations revient de façon récurrente dans les discussions, ce «qui montre bien la volonté de la population suisse de ne pas contribuer à alimenter en armement des zones de conflits». Jean Laville estime qu’il y aura peu de place pour un compromis sur l’initiative si elle est adoptée. Il observe également qu’au sein de plusieurs conseils des caisses de pension qui ont entamé une réflexion sur le sujet, «il n’y a pas actuellement une majorité suffisamment claire (minimum 60%) parmi les membres, que ce soit du côté des représentants de l’employeur ou du côté des représentants du personnel, pour que cette décision d’exclusion de l’armement soit validée par le conseil de fondation.»
Philippe Luethy, responsable des investissements chez Aon Suisse, reconnaît que le débat posé sur les investissements durables et éthiques par l’initiative est positif bien qu’il juge celle-ci un peu extrême. «La Suisse, ce n’est pas la Chine, ni les Etats-Unis. Nous sommes en avance sur les critères ESG par rapport à beaucoup d’autres pays. D’autant que les investisseurs institutionnels suisses discutent de plus en plus pour s’améliorer sur ce sujet», dit-il à L’Agefi. Le consultant trouve aussi «exagérée» l’idée selon laquelle les institutionnels suisses seront moins diversifiés et feront face à plus de risque si la votation approuve l’initiative. L’univers d’investissement reste large sans les producteurs d’armement militaire, argue-t-il, ajoutant qu’il est tout à fait possible de trouver des stratégies diversifiées et peu coûteuses qui excluent ces compagnies.
Les fonds de pension suisses craignent que d’autres initiatives populaires restreignant leurs possibilités d’investissements puissent suivre. Michael Lauener soutient que la décision d’appliquer des exclusions en portefeuille ne doit appartenir qu’aux conseils d’administration de ces institutions. «Le fait que cet organe assume déjà sa responsabilité sociale est visible à travers le nombre grandissant de fonds de pension qui cessent volontairement d’investir dans les producteurs d’armes. Cette renonciation deviendra inévitablement un standard», poursuit-il assurant qu’une initiative comme celle de dimanche n’est pas nécessaire. Jean Laville n’exclut pas non plus d’autres initiatives. «Il est évident que la question climatique est sur la table», dit-il.
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Katmandou - La nouvelle Première ministre du Népal Sushila Karki a présenté lundi les trois premiers membres du gouvernement provisoire qu’elle dirigera jusqu’aux élections convoquées en mars après les émeutes meurtrières de la semaine dernière Les nouveaux ministres ont prêté serment à la mi-journée devant le chef de l’Etat Ramchandra Paudel, lors d’une courte cérémonie organisée sous une tente devant les ruines de la présidence incendiée par les manifestants. Ancien patron de l’Autorité de régulation de l'électricité, Kulman Ghisang s’est vu attribuer les portefeuilles de l’Energie, des Infrastructures, des Transports et du Développement urbain. Economiste reconnu et ancien secrétaire du ministère des Finances, Rameshwor Khanal a été promu ministre des Finances. Quant à l’avocat Om Prakash Aryal, spécialisé dans les dossiers de corruption, de gouvernance et de défense des droits humains et des libertés, il dirigera un grand ministère de la Loi, de la Justice et des Affaires parlementaires. L’ex-cheffe de le Cour suprême, Sushila Karki, 73 ans, a pris vendredi les rênes du pays dans la foulée des plus graves émeutes antigouvernementales que le pays a connues depuis l’abolition de la monarchie en 2008. Elle doit conduire le pays jusqu'à des élections législatives anticipées fixées le 5 mars 2026. Selon le dernier bilan publié par les autorités, les violences ont fait au moins 72 morts et des centaines de blessés, dont 191 étaient toujours hospitalisés dimanche. Le 8 septembre, la police a ouvert le feu à Katmandou sur des milliers de jeunes manifestants réunis sous la bannière d’une «Génération Z» venus dénoncer le blocage des réseaux sociaux et, au-delà, la corruption du gouvernement. Le lendemain, des groupes de manifestants ont mis à sac la capitale en incendiant et détruisant tous les symboles du pouvoir, dont le Parlement et de nombreux bâtiments ministériels. Au pouvoir depuis 2024, le Premier ministre KP Sharma Oli, a été contraint de démissionner. Lors de sa première prise de parole publique dimanche, Mme Karki s’est engagée à satisfaire les exigences des jeunes protestataires. «Nous devons travailler en accord avec la pensée de la génération Z», a-t-elle déclaré, «ce qu’ils réclament, c’est la fin de la corruption, une bonne gouvernance et l'égalité économique». Dans un pays où plus des trois quarts de la main d'œuvre sont employés dans l'économie informelle, plus de 20% des jeunes Népalais de 15 à 24 ans sont au chômage, selon de récentes estimations de la Banque mondiale. Alors que le produit intérieur brut (PIB) annuel par habitant frôle à peine les 1.450 dollars, les manifestants ont régulièrement dénoncé le train de vie luxueux des enfants de l'élite qui s’affichent sur les réseaux sociaux. © Agence France-Presse -
La Bourse de Paris en hausse, les yeux sur la Fed
Paris - La Bourse de Paris a ouvert en hausse lundi, faisant fi de la dégradation par Fitch de la note de la dette française, les yeux rivés sur la réunion de la Réserve fédérale américaine (Fed) qui devrait baisser ses taux cette semaine. Vers 9H30 (heure de Paris), le CAC 40 prenait 0,72%, en hausse de 56,61 points, à 7.881,85 points. Vendredi, l’indice vedette parisien était resté stable (+0,02%). «Les acteurs du marché nourrissent de grandes attentes à l’égard de la prochaine réunion de la Réserve fédérale américaine et de sa décision sur les taux d’intérêt», relève Andreas Lipkow, analyste indépendant. L’institution monétaire de la première économie mondiale se réunit les 16 et 17 septembre pour déterminer de la suite de sa politique. Elle devrait abaisser ses taux pour la première fois depuis décembre 2024, afin de stimuler l’activité économique américaine, sur fond de détérioration du marché du travail ces dernières semaines. «La Fed baissera probablement ses taux de 0,25 point de pourcentage», prévoient les experts de Natixis. L’inflation du mois d’août, publiée la semaine dernière, est restée globalement conforme aux attentes du marché. Elle ne constitue donc plus, selon les analystes, un obstacle à un assouplissement monétaire de la banque centrale américaine. «Je pense que vous allez procéder à une forte baisse. C’est le moment idéal pour baisser les taux», a d’ailleurs affirmé dimanche le président des Etats-Unis Donald Trump, qui réclame à cor et à cri un tel mouvement depuis plusieurs mois. Une baisse des taux est généralement bonne pour les actions car elle permet aux entreprises de se financer à moindre coût, ce qui améliore les perspectives d’investissements et donc de croissance de l’activité. La dette française dégradée L’agence de notation Fitch a abaissé vendredi soir la note souveraine de la France à A+, sanctionnant le pays pour son instabilité politique persistante et les incertitudes budgétaires qui contrarient l’assainissement de ses comptes publics très dégradés. Ouvrant le bal des examens d’automne des agences de notation, Fitch dresse un constat sévère de la situation des finances publiques dans la deuxième économie de la zone euro, quatre jours après la chute du gouvernement Bayrou et la nomination de Sébastien Lecornu. Elle juge notamment improbable la réduction du déficit public sous les 3% du PIB en 2029 comme l’ambitionnait le gouvernement sortant pour remettre la France dans les clous européens. Cette dégradation était attendue par les investisseurs parisiens, et n’a eu donc que peu d’effet sur le marché obligataire. Vers 9H30 (heure de Paris) le taux d’intérêt à dix ans hexagonal était de 3,50%, le même niveau que vendredi soir en clôture, avant la décision de Fitch. L'écart avec celui de l’Allemagne atteignait 0,80 point de pourcentage, contre 0,79 point en fin de semaine dernière. Euronext CAC40 © Agence France-Presse