
L’Europe adopte le règlement sur les marchés numériques

Historique. Un accord a bien été trouvé jeudi soir, au terme de huit heures de discussions en trilogue entre Commission, Parlement et Conseil européen, pour sceller le règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act, DMA). Ce texte doit imposer à des groupes comme les Gafam -Google, Apple, Meta (Facebook), Amazon et Microsoft- une série d’obligations et d’interdictions permettant de limiter leur pouvoir sur les entreprises plus petites. Il «permettra à la Commission de mener des enquêtes de marché et de sanctionner les comportements non conformes», précise cette dernière dans un communiqué jeudi soir.
Entrée en vigueur en octobre
Et ce 18 mois seulement après la présentation de la proposition par la Commission européenne d’un texte présenté comme « historique ». « C’est un pas de géant pour s’assurer que le marché sera équitable », a salué Margrethe Vestager, commissaire européenne à la Concurrence, vendredi matin, lors d’une conférence de presse. «Le texte va être publié au Journal Officiel ces prochains jours, puis entrera en vigueur en octobre», annonce-t-elle.
Le texte doit être formellement approuvé par le Parlement et le Conseil. Une fois ce processus terminé, il entrera en vigueur 20 jours après sa publication au Journal officiel de l’UE et les règles s’appliqueront six mois après. «L’Europe sera le premier acteur international à adopter un corpus juridique aussi ambitieux sur ce sujet», indiquait mercredi une source à Bercy.
Historique, y compris dans le droit de la concurrence. «On n’a encore jamais vu de telles règles, aussi larges. Avec des obligations, des restrictions et des sanctions applicables à tous les gatekeepers [fournisseurs de services], elles vont changer la donne et avoir des conséquences profondes sur la façon dont certaines opérations sont conduites actuellement», indique à L’Agefi Katrin Schallenberg, avocate associée chez Clifford Chance, spécialisée en droit de la concurrence.
Est-ce que cela créera un cas d’école ? «C’est une première, tout le monde les regarde, comme en Asie et en Amérique du Sud, où les autorités de la concurrence sont très actives. Il y aura peut-être des réplications dans d’autres pays», poursuit-elle.
Le projet, présenté en décembre 2020 par les commissaires à la Concurrence Margrethe Vestager et au Marché intérieur Thierry Breton, «protégera mieux les consommateurs, leur offrira de nouvelles possibilités» et permettra à l’exécutif européen «d’agir beaucoup plus vite» contre les pratiques anti-concurrentielles, précisait devant la presse, mercredi, l’eurodéputé Andreas Schwab.
Les entreprises à plus de 75 milliards d’euros de CA dans le viseur
Le texte cible donc les plus grandes plateformes - les Gafam, ainsi qu’une poignée d’autres groupes comme l’entreprise de réservation en ligne Booking ou le réseau social chinois TikTok.
Dans le viseur donc, les gatekeepers, ces entreprises qui fournissent certains services tels que les navigateurs, les messageries ou les médias sociaux, «qui comptent au moins 45 millions d’utilisateurs finaux mensuels dans l’UE et 10.000 utilisateurs professionnels annuels», précise la Commission.
Les seuils ont été précisés. Le texte cible «les grandes entreprises fournissant des services dits de ‘plateforme de base’ les plus sujettes aux pratiques commerciales déloyales, telles que les réseaux sociaux ou les moteurs de recherche, avec une capitalisation boursière d’au moins 75 milliards d’euros ou un chiffre d’affaires annuel de 7,5 milliards», précise le communiqué publié jeudi soir. «On prend aussi en compte la valorisation boursière», indiquait le commissaire en charge du Marché intérieur Thierry Breton vendredi matin.
Le texte prévoit notamment un contrôle accru de la Commission européenne sur toutes les opérations de rachat d’entreprise du numérique, pour limiter les rachats ayant pour seul but de tuer un concurrent. Autre volet, il contraindra ces Big Tech à partager des données cruciales avec leurs entreprises clientes. Il rendra obligatoire le consentement des utilisateurs pour le croisement de données issues de plusieurs services à des fins de ciblage publicitaire.
Le texte inclut aussi une exigence permettant aux utilisateurs de choisir librement leur navigateur, leurs assistants virtuels ou leurs moteurs de recherche.
En outre, ce nouveau règlement empêchera d’imposer le recours à des logiciels pré-installés sur les ordinateurs ou les smartphones, comme des navigateurs, des applications musicales ou des services météo, et facilitera le recours à des produits alternatifs. Un libre choix des boutiques d’applications logicielles sera notamment instauré, permettant de contourner des acteurs dominants comme l’App Store d’Apple ou Google Play.
Un point sur lequel une réaction de certains géants est attendue. «Il y aura une bataille sur la mise en oeuvre de ces règles : les gatekeepers vont voir comment se mettre en conformité et ils auront aussi leur propre interprétation des règles. », anticipe Katrin Schallenberg, chez Clifford Chance.
Interopérabilité entre services obligatoire
Autre grande nouveauté, le texte instaure une obligation d’interopérabilité entre services équivalents de différentes plateformes. Avec pour point épineux le périmètre de cette obligation, qui a fait l’objet d’ultimes négociations.
Le Parlement européen voulait que cette obligation d’interopérabilité s’applique aux services de messagerie instantanée, permettant par exemple à un utilisateur de Signal de communiquer avec un contact utilisant WhatsApp (Meta). Il a eu gain de cause : «les plus grands services de messagerie (tels que Whatsapp, Facebook Messenger ou iMessage) devront s’ouvrir et interagir avec des messageries de plus petites plates-formes, si elles en font la demande», précise le communiqué.
Mais un point restera à fixer : l’interopérabilité entre réseaux sociaux, où «les colégislateurs ont convenu que ces dispositions d’interopérabilité seront évaluées à l’avenir».
Preuve de la volonté de donner un impact fort à ce texte, la lourdeur des pénalités prévues en cas d’infraction : des amendes pourront atteindre 10% des ventes mondiales des entreprises concernées, et « 20% en cas d’infractions répétées », précise le texte, assorties de l’interdiction de d’acquérir d’autres sociétés pendant un certain temps.
Reste à voir qui va faire appliquer ce texte. Les autorités nationales devraient être impliquées, telle l’Autorité de la concurrence en France.
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