
Hervé Guez (Mirova) : «A l’annonce du plan de conciliation d’Orpea, nous avons décidé de sortir»

L’Agefi : Pourquoi Mirova est-elle sortie du capital d’Orpea ?
Hervé Guez : A l’annonce du plan de conciliation d’Orpea le 26 octobre au matin, nous avons immédiatement décidé de liquider l’ensemble de nos positions sur le titre. La cession de notre participation d’un peu moins de 4% du capital s’est faite sur le marché, les 26 et 27 octobre au prix moyen de 8 euros. Nous avions bâti notre position depuis dix ans. L’action Orpea était présente dans la plupart de nos fonds, hormis ceux à thématique environnementale. Compte-tenu de ces différentes positions, il est difficile de donner un montant global de la moins-value subie. Nous n’avons pas eu de discussions en amont avec nos porteurs de parts de fonds.
En février dernier, vous affichiez votre volonté d’accompagner Orpea sur la durée. Pourquoi un revirement si rapide ?
Face à la crise sur la qualité des soins accordés à ses patients et résidents d’Orpea, notre rôle d’actionnaire responsable était d’accompagner l’entreprise pour modifier en profondeur ce qui devait l’être. Nous avions alors la conviction que les fondamentaux de l’entreprise étaient sains.
Puis, à partir du mois de mai, des malversations financières de l’ancienne direction d’Orpea sont progressivement révélées. Face à cette nouvelle crise, nous avons prôné et accompagné le processus de renouvellement des dirigeants et des membres du conseil. A l’époque, la solvabilité d’Orpea n’était pas remise en cause.
Mais, le 26 octobre, la communication sur le plan de conciliation a été inattendue, violente et peu documentée. Le discours du management a très rapidement évolué. Pourquoi un tel revirement sur la solvabilité de l’entreprise, avec des montants en jeu très importants, alors même que subsistent toujours des incertitudes, l’ensemble du portefeuille n’ayant pas encore été audité ? Sans même connaître l’ampleur totale des pertes, le niveau des dépréciations d’actifs, plus de deux milliards d’euros, aurait nécessité une communication aux investisseurs plus détaillée que le communiqué de presse. D’autant que ces chiffres étaient sans commune mesure avec ceux annoncés lors des résultats semestriels.
Etait-ce une raison suffisante pour quitter le navire en difficulté ?
Face à l’annonce de ce plan de continuation, les choix étaient réduits. En tant qu’actionnaire, cela signifie accepter une très forte dilution liée à la conversion de la dette en actions, et réinjecter du capital dans l’entreprise. Une hypothèse qui ne nous paraissait pas raisonnable. La restructuration financière va bouleverser la géographie du capital dans des proportions que nous ne connaissons pas. Cela remet en cause notre thèse d’investissement.
D’autant que rester veut aussi dire accorder une confiance très forte au management. Nous attendions d’abord une avancée sur la feuille de route sur la qualité des soins, qui ne sera dévoilée que le 15 novembre, le même jour que la réunion avec les créanciers sur le plan de restructuration. Les conditions d’un engagement poussé avec l’entreprise sur les sujets sociaux ne nous semblaient plus réunies.
Le risque de rupture de covenants ne vous-a-t-il pas incité à réduire votre position plus tôt ?
Nous avions parfaitement conscience que le bilan était lourd et l’échéancier non tenu. Ce scénario central de rééchelonnement de la dette, qui nécessite le temps de négociations avec les créanciers, ne nous inquiétait pas plus que cela. L’entreprise est en cash-flow opérationnel positif, permettant le désendettement.
Mais le 26 octobre, Orpea avoue être confronté à un problème de solvabilité, avec des actifs immobiliers fortement survalorisés. Situation accentuée par un contexte de remontée des taux, pesant sur la faisabilité des opérations de sale and leaseback et de cessions d’actifs immobiliers.
Avez-vous discuté avec les deux actionnaires de référence et avec les deux nouveaux arrivés ?
Non. Les deux premiers actionnaires [le fonds de pension canadien CPPIB et la famille Peugeot] siègent au conseil et ont accès à des informations privilégiées, alors que nous gérons pour compte de tiers. Quant aux deux nouveaux actionnaires [Mat Immo Beaune et Nextstone, ndlr], nous n’avons pas discuté avec eux. Notre décision était déjà prise lorsqu’ils ont annoncé leur arrivée au capital d’Orpea.
Etes-vous déçu par la qualité du dialogue avec la direction d’Orpea ?
Nous avons eu les discussions utiles sur notre projet d’accompagnement social du groupe et espérons avoir des réponses à nos demandes et interrogations lors de la présentation du plan de transformation le 15 novembre. Nous regrettons ce télescopage malheureux avec l’entrée en conciliation.
Quelles leçons tirez-vous de ce dossier douloureux ?
Si l’issue sur ce dossier a en effet été douloureuse pour nous et surtout nos clients, nous restons persuadés que le rôle d’un investisseur responsable n’est pas de vendre systématiquement et au plus vite lorsqu’une controverse éclate.
Mirova a une capacité d’engagement et d’influence qu’elle compte utiliser davantage à l’avenir. Notamment en communiquant mieux auprès de nos porteurs de parts. L’investissement ISR n’est pas un investissement sans risque, mais une réponse aux défis environnementaux et sociaux.
Nous allons aussi renforcer nos capacités d’analyse et de vigilance sur les questions de gouvernance d’entreprise, y compris avec un regard plus intuitu personae sur le management et le conseil. Malgré ces efforts, un investisseur ne refait pas le travail d’un auditeur et d’un commissaire aux comptes. Orpea reste un cas unique dans notre portefeuille de plus de 250 entreprises.
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