Benoît de Juvigny (AMF) : «Une petite centaine de sociétés de gestion ont un compte d’exploitation fragile»

Invité à s’exprimer lors de l’Université d’été de l’asset management, Benoît de Juvigny a livré «le testament» de ses onze années comme secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers. Et ce, alors qu’il doit «rendre son tablier» et passer la main à Sébastien Raspiller, de la direction générale du Trésor.
Benoît de Juvigny
Benoît de Juvigny, secrétaire général de l’AMF, va laisser sa place à Sébastien Raspiller, de la direction générale du Trésor  -  Franck Dunouau/AMF

«Une petite centaine de sociétés de gestion françaises ont un compte d’exploitation fragile», s’est inquiété Benoît de Juvigny, le secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers, qui s’exprimait lors de l’Université d’été de l’asset management ce jeudi 31 août à Paris Dauphine. Le secteur français de la gestion d’actifs compte plus de 700 sociétés de gestion, grâce notamment à des barrières à l’entrée que le régulateur a essayé de ne pas rendre infranchissables.

«Je commence à voir – et c’est tout nouveau – des petites sociétés de gestion qui sont fragiles, qui ont des problèmes. Il y en a plus qu’avant», a-t-il renchéri. Selon Benoît de Juvigny, cela peut conduire à se reposer la question des barrières à l’entrée du secteur, «car ce sont des dossiers embêtants, chronophages», décrit-il. «Quand un autre gérant rachète, c’est super, mais quand il n’y en a pas, le problème est pour l’AMF et ce n’est pas simple», poursuit-il.

Mais plus généralement, Benoît de Juvigny estime que «le secteur de la gestion d’actifs a un énorme avantage : c’est un métier en croissance». Il ajoute qu'«en France, nous avons une industrie qui reste très rentable. Les marges d’exploitation sont de 23% en moyenne, avec très peu de fonds propres ».

Les grands sujets de régulation à venir

Après cet état des lieux, le secrétaire général de l’AMF a dressé la liste des grands sujets de régulation qui vont occuper le secteur. Selon lui, il va y avoir une attention plus forte des régulateurs sur les sujets actif/passif et de liquidité. «Nous nous intéressons à ce que les gérants connaissent leur passif ; nous allons regarder cela avec des stress de liquidité de plus en plus intrusifs et normés». À cet égard, il rappelle qu’Andrew Bailey, lorsqu’il a quitté la Financial Conduct Authority pour la Banque d’Angleterre, avait déclaré que les fonds ouverts sont un mensonge. «C’est provocant, mais parfois il a raison», commente-t-il.

Deuxième sujet, et non des moindres, la finance durable. «Aujourd’hui, on nage dans la complexité de SFDR. La Commission européenne va vite devoir revoir ses textes, car il y a plein de dysfonctionnements», a-t-il observé, citant pêle-mêle les problèmes d’article 8, le financement de la transition, l’existence des labels nationaux qui sont «une vraie défaite de l’Europe».

Il mentionne aussi le vaste chantier de l’intégration par le secteur de la gestion d’actifs des évolutions liées aux reportings extra-financiers des émetteurs…

Sur la finance durable, enfin, il remarque qu’il y a actuellement un «push-back» au niveau des instances européennes. Il se montre aussi attentif au débat américain «extraordinaire» sur le sujet entre Républicains et Démocrates. «On voit déjà les influences que cela peut avoir sur les gérants américains et internationaux», note-t-il.

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Le dernier grand sujet évoqué par Benoît de Juvigny est celui de la réglementation des fonds indiciels. «Il existe un oligopole avec les trois méga boutiques qui gèrent les ETF. Et la difficulté pour nous est de savoir comment gérer cette arrivée en Europe», analyse-t-il. «Pour nous, régulateur, ils ont d’énormes avantages, car ils ne sont pas chers et font baisser les prix et apportent une concurrence saine et légitime. Mais je sais bien qu’il y a un peu de comportement de passager clandestin de la gestion passive par rapport à la gestion active», note-t-il. «Si demain la gestion active disparaît, on aura un problème évident de bon fonctionnement des marchés. C’est donc un sujet compliqué à gérer», conclut-il.

Les faits marquants

Enfin, Benoît de Juvigny s’est remémoré les moments marquants de ses années passées à l’AMF, alors qu’il doit «rendre son tablier» fin octobre et passer la main à Sébastien Raspiller, de la direction générale du Trésor, a-t-il confirmé.

Parmi ses grands souvenirs, Benoît de Juvigny évoque l’été 2007, lorsque les représentants de BNP ont annoncé à l’AMF qu’ils allaient suspendre des fonds, un moment qui par la suite est resté comme le marqueur de la grande crise financière. «Pour nous, l’éclatement des monétaires dynamiques est l’un des épisodes dont je suis le moins fier. Ce n’était pas glorieux pour la gestion française, ni pour le régulateur qu’était l’AMF», regrette-t-il.

Benoît de Juvigny est aussi revenu sur le dossier récent de H2O Asset Management. «On a eu vraiment avec H2O un feuilleton assez exceptionnel», décrit-il. «Lorsqu’on a été alerté sur leurs problèmes de valorisation et de liquidité, nous avons fait un suivi de très près pendant plus d’un an». Les fonds ont finalement été suspendus à la fin de l’été 2020, un «bon timing», selon lui. «Ce n’est pas facile quand on a ce genre de décision à prendre. Si on le fait trop tôt, on va nous accuser d’avoir cassé la machine. Si on le fait trop tard, on va nous dire qu’on n’a pas fait notre travail de défense des investisseurs», explique-t-il.

Pour finir, Benoît de Juvigny a mentionné les dossiers de contrôle qui ont abouti à des sanctions : H2O, Amundi et ses traders «tricheurs», et un dossier «intéressant» avec «une grande société de gestion française» qui a abouti à une composition administrative et au versement de 8 millions d’euros à des milliers d’investisseurs (il s’agit de BNP Paribas Asset Management, ndlr). «Ce sont des choses dont je suis assez fier», s’est-il félicité.

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