
Le rachat de Proxinvest par Glass Lewis inquiète la place
Coup de tonnerre dans l’univers des agences de conseil en vote. L’unique acteur français, Proxinvest, vient d’être racheté par Glass Lewis. Créé en 1995 par Pierre-Henri Leroy, le proxy avait été acquis en juin 2020 par Alain Demarolle, devenu président du conseil de Proxinvest. A l’époque ce dernier s’était fixé pour objectif d’avoir un «acteur français et européen fort face au duopole américain » - ISS et Glass Lewis – « dans l’intérêt des investisseurs comme des émetteurs».
Proxinvest « avait l’ambition d’être un proxy advisor européen de premier plan, mais le rachat d’ISS par Deutsche Börse est probablement venu contrecarrer cette ambition, constate Jean-Florent Rerolle, directeur général de VienGi (Valeur et Gouvernance). Cette cession s’inscrit dans un phénomène de concentration du secteur à l’instar de ce qui se passe dans l’analyse ESG. Malgré son excellente compréhension des entreprises françaises, Proxinvest peine à développer une stratégie lui permettant de conserver son indépendance». Une issue «très attristante hélas pour le fondateur de Proxinvest...», a posté Pierre-Henri Leroy, jeudi sur LinkedIn. «Il a toujours semblé important pour l’AMF de favoriser la diversité des agences de conseil en vote et une certaine souveraineté européenne, confie Astrid Milsan, secrétaire générale adjointe de l’AMF. Proxinvest a des externalités positives pour la Place, et l’a aidée à progresser. Nous espérons que cela pourra perdurer».
Echec de la place à garder un acteur français
En attendant, ce passage sous pavillon américain est mal accueilli par la place parisienne. «Cela m’attriste,avoue Denis Branche, directeur général délégué de Phitrust. Cette opération semble purement financière pour les vendeurs. Depuis quatre ans, nous avertissions la place de Paris, sur la nécessité de maintenir un pôle de conseil en vote en France. Nous avions dénoué nos liens avec Proxinvest il y a deux ans, tout en le conservant pour ses analyses de conseil en vote».
«Triste nouvelle avec ce nouvel opérateur qui passe sous influence américaine, confie une grande gestion française. Ce dossier révèle trois échecs. D’une part, Pierre-Henri Leroy a mal organisé sa succession, qui a pourtant duré dix ans. D’autre part, la place de Paris n’a rien fait pour conserver un acteur de qualité, manifestant l’irresponsabilité des investisseurs institutionnels, notamment de Bpifrance et de la CDC qui n’ont pas su apporter les capitaux nécessaires. Et surtout la promesse d’indépendance donnée au marché lors du rachat de 2020 a fait long feu. L’acquéreur s’avérant plus un spéculateur qu’un entrepreneur ». Contacté par L’Agefi, Alain Demarolle n’a pas souhaité s’exprimer. Il détenait environ 70% du capital et le management de Proxinvest le solde. Glass Lewis a acquis 100% du capital mais n’a pas dévoilé le prix d’acquisition. En 2020, un expert évaluait le prix de cession entre 1 à 2 fois le chiffre d’affaires. En 2021, Proxinvest a dégagé 1,2 million d’euros de chiffre d’affaires (+17%), pour un bénéfice net de 53.000 euros (+68%).
L’indépendance en question
«L’indépendance a été un point crucial des discussions, explique à L’Agefi Charles Pinel, directeur général de Proxinvest. Nous conservons notre politique de vote et poursuivrons nos mises à jour annuelles. Notre meilleure garantie est la confiance de nos clients. Si nous perdons notre indépendance, nous perdrons nos clients». Néanmoins, beaucoup s’interrogent sur le maintien de cette indépendance, même si «nous savons que Glass Lewis protégera pleinement l’indépendance et la spécificité de notre recherche», assurent Alain Demarolle et Charles Pinel dans le communiqué. L’avenir le dira. «Proxinvest avait atteint ses propres limites et avait besoin d’un partenaire pour augmenter la couverture de ses services, poursuit Charles Pinel. Cette issue était inéluctable. Nous suivons les principaux indices européens, mais nos clients demandent une couverture mondiale. Adossé à Glass Lewis, avec qui nous avions déjà mené des partenariats ponctuels, nous pourrons leur offrir des services complémentaires».
Glass Lewis prend du poids en Europe
Avec ce rachat, Glass Lewis poursuit son renforcement sur le marché européen. «Glass Lewis réalise une très belle opération grâce à la notoriété de Proxinvest sur le marché français, explique Marie-Sybille Connan, senior stewardship analyst chez Allianz Global Investors. Il sera désormais en position frontale avec ISS sur le marché français. Ce monopole de deux acteurs américains signe aussi l’échec de l’émergence d’un acteur européen».
Proxinvest «offre une très bonne qualité de recherche et un niveau de détails et d’explications plutôt plus élevé que sur ses concurrents, notamment sur les rémunérations, poursuit Marie-Sybille Connan. Ses rapports sont disponibles bien en amont des assemblées générales et il avait régulièrement mis en contact les investisseurs avec des lanceurs d’alerte dans les entreprises sur des sujets de gouvernance. Ces spécificités seront-elles maintenues ?» Proxinvest «conservera-t-il une autonomie suffisante pour continuer à faire des analyses généralement très fouillées ? s’interroge Jean-Florent Rérolle. Proxinvest a joué un rôle important dans l’évolution de la gouvernance en France. Il serait dommage que cette voix disparaisse».
Pour l’heure, Glass Lewis s’engage à maintenir et développer la politique de Proxinvest «élaborée à partir d’une analyse unique des spécificités et enjeux locaux», qui continuera à être offerte en français. Proxinvest, devient une filiale de Glass Lewis, et reste basé à Paris.
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