L’antitrust américain à l'épreuve du dossier Microsoft - Activision

La Federal Trade Commission sort affaiblie après avoir subi un camouflet dans le cadre du rachat d’Activision par Microsoft.
Lina Khan, présidente de la Federal Trade Commission (FTC)
Lina Khan, présidente de la Federal Trade Commission (FTC)  -  Bloomberg

Les derniers obstacles antitrust s’effacent les uns après les autres devant Microsoft, pour son acquisition record de 69 milliards de dollars (62,26 milliards d’euros) d’Activision, un des plus gros éditeurs de jeu vidéo (Call of Duty, Candy Crush). Annoncée en janvier 2022, l’opération devrait bien se concrétiser. Après avoir obtenu le feu vert des régulateurs d’une quarantaine de pays et de l’Union européenne.

Aux Etats-Unis, la Federal Trade Commission (FTC) a dû plier. Elle a suspendu, le 21 juillet, à la demande de Microsoft, le procès mené par une de ses commissions internes, censé démarrer le 2 août. Durant cette pause, les deux parties devraient s’accorder sur le rachat.

Le retrait de la procédure administrative engagée par la FTC intervient après qu’un juge fédéral californien a rejeté, le 11 juillet, la demande du régulateur de bloquer l’opération.

De son côté, Microsoft a été très réactif. D’une part, durant le week-end du 14 juillet, il a noué un accord sur dix ans avec Sony - principal détracteur de la fusion - permettant au groupe nippon de proposer aux gamers de sa PlayStation d’avoir accès au jeu Call of Duty.

D’autre part, lui et Activision Blizzard ont annoncé le 20 juillet avoir prolongé leur accord de fusion de trois mois, jusqu’au 18 octobre - ce qui leur permettra de disposer de davantage de temps pour obtenir les dernières autorisations nécessaires à leur rapprochement. Même s’ils ont dû augmenter le montant de l’indemnité de rupture prévue dans leur accord, ils savent que le dénouement est proche.

De son côté, la CMA (l’antitrust britannique) rendra son avis final sur le rachat le 29 août. Elle qui avait opposé un refus en mai s’est manifestée à la suite de la décision du tribunal fédéral pour proposer de rediscuter avec Microsoft. Elle pourrait parvenir à un nouvel avis provisoire sur l’accord restructuré dès la semaine du 7 août.

La FTC affaiblie ?

L’autorité de la concurrence américaine n’est plus en position de force. La FTC vient de subir plusieurs camouflets sur ce dossier, fragilisant au premier chef sa nouvelle directrice, Lina Khan, qui avait pour ambition de combattre bien plus férocement les fusions de grandes entreprises, et en particulier les «monopoles» des Gafam.

«C’est un revers pour Lina Khan, qui avait fait de la politique de fermeté contre les Gafam un objectif», estime Pierre Zelenko, avocat associé chez Linklaters, spécialisé en droit européen et français de la concurrence. Mais la FTC paie peut-être aussi pour sa dimension éminemment politique : sa présidente est nommée par la Maison-Blanche. Lina Khan, 34 ans, désignée par le président démocrate Joe Biden en juin 2021, était donc plus dans une logique de fermeté que son prédécesseur Ajit Pai.

De plus, la FTC «est la seule grande autorité antitrust qui ne peut appliquer directement ses décisions, mais doit les faire avaliser par un juge. Elle ne peut prendre ses décisions seule, mais recommande un avis à un juge fédéral», souligne Pierre Zelenko. Les autres autorités de concurrence «rendent des décisions applicables d’office», qui peuvent faire l’objet d’un appel, mais qui sont à effet immédiat.

La FTC, elle aussi, en tant qu’institution, est perçue comme trop «dogmatique», ayant «une vision moins holistique de la situation» face à des multinationales, qui, elles, préparent à fond leurs dossiers pour aller au procès, considère Catherine Berjal, cofondatrice de Ciam et spécialiste des situations spéciales liées à des fusions et acquisitions. «Microsoft a mis des moyens énormes, tant en lobbying qu’en juridique et connait mieux son dossier que la FTC», poursuit-elle.

Sur le dossier Microsoft – Activision, la FTC a failli par excès de zèle, estiment certains observateurs. A l’exception de la FCA britannique – qui va sûrement transiger et laisser le deal se faire – tous les autres régulateurs du monde, du Japon au Brésil, ont donné leur feu vert à cet accord mondial.

Pragmatisme européen

Même la Commission européenne. Mieux : cette dernière s’en est très bien sortie en négociant avec Microsoft. La commissaire européenne à la Concurrence Margrethe Vestager a ainsi autorisé l’opération «sous réserve d’engagements», et demandé des «remèdes comportementaux» (Microsoft devait s’engager à donner une licence) : «Microsoft a pris l’engagement de donner une licence gratuite pendant dix ans à chaque plateforme de streaming», rappelle Thomas Oster, avocat au sein du département Droit de la concurrence et compliance du cabinet parisien de Bird & Bird.

«C’est bien amené, car la commissaire a fait preuve de pragmatisme tout en s’efforçant d’endiguer les critiques en axant son message sur le fait que les engagements contribuaient à l’innovation au service des consommateurs», commente l’avocat. Et elle a fait passer un message politique, selon lequel «les engagements favoriseront l’émergence du streaming du jeu vidéo». «C’est significatif ce qu’elle a obtenu de Microsoft, alors que pour l’instant, les jeux Activision ne sont pas du tout disponibles sur le cloud», appuie également Pierre Zelenko.

Et cela n’entache en rien sa réputation de fermeté dans les dossiers d’abus de position dominante, alors que Bruxelles déploie actuellement le texte historique du Digital Markets Act (DMA).

La FTC, elle, est affaiblie sur le terrain politique américain. Le 20 juillet, vingt-deux élus républicains siégeant à la Chambre des représentants ont enjoint l’institution et sa présidente Lina Khan d’arrêter les frais sur ce dossier Microsoft pour les «intérêts des consommateurs américains». «Lina Khan en sort affaiblie, sans doute jusqu’à la prochaine élection présidentielle», estime Pierre Zelenko. Sa fin de mandat risque d’être longue.

Pour autant, «c’est une décision rendue sur une analyse de concurrence, et non une décision politique. Même si c’est un revers, le message qui lui est adressé par le juge fédéral est ‘Préparez mieux vos dossiers’», relativise Thomas Oster.

D’autres dossiers épineux

D’autres prochains gros dossiers attendent la FTC. Elle pourrait ouvrir une enquête sur l’acquisition pour 1,7 milliard de dollars d’iRobot, le fabricant de l’aspirateur robot Roomba, par Amazon - sur laquelle la CMA a donné son feu vert, mais Bruxelles a annoncé début juillet l’ouverture d’une enquête approfondie.

Dans le secteur de la santé, le dossier Horyzon Therapeutics va arriver sur la table de la FTC en septembre - elle veut empêcher l’acquisition du laboratoire irlandais par son homologue américain Amgen.

Surtout, la FTC prépare un procès antitrust d’envergure contre Amazon dès le mois d’août, qui pourrait remettre en cause une multitude de pratiques commerciales de la société, a rapporté Politico mardi, citant des sources proches. La FTC déposera probablement son dossier devant un tribunal fédéral plutôt que devant son tribunal interne. Le mois dernier, la FTC a accusé Amazon d’inscrire des millions de consommateurs à son service d’abonnement payant Amazon Prime sans leur consentement et de rendre difficile leur annulation.

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