La gouvernance, l’autre talon d’Achille d’Atos

Deux directeurs généraux qui partent en un an, un conseil d’administration critiqué : le groupe de services informatiques cumule les handicaps.
Alexandre Garabedian
le directeur général d’Atos, Rodolphe Belmer
Le directeur général d’Atos, Rodolphe Belmer, quittera la société au plus tard le 30 septembre 2022.  -  Photo Atos.

Les actionnaires d’Atos votent blanc. Le plan de scission du groupe de services informatiques – infrastructures d’un côté, digital, big data et sécurité de l’autre – a été accueilli mardi par un plongeon de 23% de l’action. Les incertitudes entourant le modèle économique du groupe et le coût de sa restructuration n’expliquent pas tout. En divisant par sept la capitalisation boursière d’Atos en cinq ans, les investisseurs sanctionnent aussi une gouvernance critiquable et critiquée.

En témoigne la parenthèse Rodolphe Belmer. Arrivé à la direction générale d’Atos en janvier, l’ex-patron d’Eutelsat rendra son tablier au plus tard le 30 septembre, le temps que deux DG délégués, Philippe Oliva et Nourdine Bihmane, prennent les rênes de chacune des entités issues de la scission. Rodolphe Belmer juge en effet « superflue » sa position dans un schéma qui verrait l’entreprise coupée en deux. Alors que les rumeurs de dissensions avec son conseil sont allées croissant ces derniers jours, cela ne l’a pas empêché, mardi, de vanter aux analystes la logique industrielle et financière de ce démembrement. « Je n’ai jamais vu un directeur général présenter un plan stratégique dont il ne partage pas les orientations et à cause duquel il quitte l’entreprise », s’étonne Olivia Flahault, cofondatrice et associée de la société de recherche en gouvernance OFG.

Pour succéder à Elie Girard, nommé en 2019 et débarqué deux ans plus tard, le recrutement de Rodolphe Belmer en avait à l’époque étonné plus d’un. « Rodolphe Belmer n’est pas un spécialiste du secteur et n’a pas dirigé de ‘people’s business’. Le conseil d’administration n’a pas joué correctement son rôle, alors qu’il existait des candidats plus légitimes en interne », estime Olivia Flahault, exprimant un sentiment partagé chez les analystes financiers. L’un de ces candidats potentiels, Pierre Barnabé, qui pilotait les activités de cybersécurité et de big data, a depuis rejoint Soitec, dont il doit prendre la direction générale au mois de juillet. « Après les annonces de mardi, on peut craindre d’autres départs de haut rang et une démotivation des équipes », s’inquiète un investisseur.

Comment le conseil d’administration d’Atos a-t-il pu choisir un dirigeant sans s’assurer qu’il partageait la même vision de l’avenir du groupe ? « Rodolphe Belmer et le conseil d’administration ont étudié, sans tabou, toutes les options stratégiques possibles. Au moment de son recrutement, il était impossible de préjuger de l’issue de cette analyse », répond un proche du groupe.

L’héritage des années Breton

Pour plusieurs praticiens de la gouvernance, cette séquence témoigne de la faiblesse du conseil d’administration. Elle remonterait aux années Thierry Breton, PDG de 2008 à 2019 et dont l’héritage, a posteriori, est jugé sévèrement par un certain nombre d’investisseurs. « Le directeur général ne peut compter sur un conseil d’administration qui a trop peu d’expertise des métiers du groupe, vieillissant, peu connecté au monde industriel, encore très lié à Thierry Breton », estimait OFG dans une note d’analyse publiée en avril 2021, quelques mois avant l’éviction d’Elie Girard.

Depuis, le Français René Proglio, l’Allemande Astrid Stange (ex-Axa) et l’Américaine Elizabeth Tinkham (Accenture) ont rejoint l’instance, sans en modifier fondamentalement les grands équilibres. Le rôle du président, Bertrand Meunier, 66 ans, dont le mandat s’achève en 2024, est pointé du doigt. Administrateur depuis quatorze ans, et donc considéré comme non-indépendant, lui non plus n’est pas un praticien des services informatiques. Mais l’influence de l’ancien patron de PAI Partners – évincé du fonds par ses investisseurs en 2008 – n’a cessé de croître depuis la scission des fonctions de PDG en 2019. Il préside même depuis 2020 le comité des nominations.

La situation contribue à détourner les investisseurs de la valeur Atos. « Nous avons cédé nos titres il y a plus d’un an, après une rencontre avec le président du conseil et certains administrateurs, explique Denis Branche, directeur général délégué de Phitrust. Atos manque d’une vision stratégique claire, de dynamisme, et souffre de l’interférence de la sphère publique et politique, comme l’a montré l’entrée d’Edouard Philippe au conseil fin 2020 ».

Une interférence qui n’est pas près de cesser. L’Etat a répété mardi qu’il surveille attentivement le sort du groupe, qualifié de stratégique. De quoi décourager tout fonds activiste qui serait tenté de secouer la gouvernance d’Atos

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