Contrôles, litiges, sanctions : ce que risquent les entreprises

En l’absence d’organisme de contrôle indépendant, c’est le juge qui apprécie aujourd’hui le respect par les entreprises de leur devoir de vigilance.
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La loi sur le devoir de vigilance occasionne une multiplication des contentieux vis-à-vis des entreprises. Mais qui est chargé de vérifier leurs engagements ? En l’absence d’organisme de contrôle indépendant, le seul contrôle appartient au juge qui devra analyser «le caractère raisonnable» des mesures de vigilances, une «notion imprécise, floue et souple», souligne le juge des référés qui a statué le 28 février dans l’affaire opposant plusieurs ONG à TotalEnergies.

Alors, faut-il des agences nationales ? «Aucun organisme de contrôle n’est à ce jour prévu par la loi pour évaluer ex ante le plan de vigilance. En attendant le projet de directive européenne, le seul contrôle actuellement prévu, c’est celui dévolu au juge», précise Rémi Lorrain, avocat associé du cabinet Maisonneuve. Si aujourd’hui, il n’existe pas d’autorité de contrôle des plans de vigilance - telle que l’Agence Française Anticorruption (AFA) en matière de contrôle des programmes de prévention de la corruption – «une telle évolution, à l’instar de ce que prévoit la proposition de directive, pourrait favoriser l'émergence de standards communs ‘officiels’», anticipe Jonathan Mattout, avocat associé chez Herbert Smith Freehills.

La plupart des assignations concernent des injonctions de mise en conformité avec la loi, avec d’éventuelles astreintes financières par jour de retard. D’autres peuvent s’accompagner de demandes de dommages-intérêts. Toutefois, «le plaignant devra prouver le lien de causalité entre le manquement au devoir de vigilance et le préjudice, que le respect de la loi aurait permis d’éviter», prévient Jonathan Mattout.

Dès l’assignation, les demandeurs communiquent et fragilisent la réputation des entreprises visées. Or, «les entreprises sont très attachées au caractère responsable de leurs activités, un critère notamment déterminant pour recruter des talents», ajoute Jonathan Mattout.

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Sanctions pénales ou administratives possibles

Par ailleurs, saisir la justice en référé ne semble pas adapté, puisqu’elle ne peut pas apprécier le caractère raisonnable des mesures adoptées. Cet examen en profondeur appartient au juge du fond, rappelle l’ordonnance de référé du 28 février. « La saisine du juge des référés présentera peu d’intérêt hormis en cas d’inexistence ou de quasi inexistence du plan de vigilance», résume Jonathan Mattout. Pour l’heure, les ONG ayant assigné TotalEnergies n’ont pas pris leur décision sur une éventuelle action au fond, leur action en référé ayant été jugée irrecevable.

Certains déçus au civil pourraient se tourner vers le pénal. «Ils espèrent tirer de la loi ce que le législateur ne semble pas avoir envisagé, en invoquant désormais une tromperie vis-à-vis du consommateur entre la politique annoncée avec celle effective au sein de l’entreprise», ajoute Antoine Maisonneuve, associé du cabinet éponyme. De plus, «il faut être attentif à un point : la grande implication des dirigeants des sociétés-mères dans le déploiement de la démarche de vigilance, par nature civile, au sein des filiales ne doit pas engendrer un manque d’autonomie de ces filiales ou une immixtion. Au risque sinon pour la société mère de se voir imputer les infractions commises par les filiales au regard des règles pénales dans les domaines de la santé, la sécurité, les droits humains, l’environnement, etc.», souligne Rémi Lorrain, associé du cabinet Maisonneuve.

A défaut de peines judiciaires, «les entités réglementées peuvent être sanctionnées par leurs autorités de tutelle, l’Autorité des marchés financiers (AMF) ou l’Autorité de contrôle prudentiel ou de résolution (ACPR)», souligne Ngoc-Hong Ma, avocate associée chez Linklaters. «On peut aussi imaginer une extension de l’action de groupe, ou encore un développement du contentieux de masse», anticipe Jean-Charles Jaïs, associé chez Linklaters.

Si la vraie sanction reste l’atteinte à la réputation et son impact sur le cours de Bourse, «la directive européenne laisse la possibilité de définir un régime de sanction à la main des Etats membres, qui pourrait s’inspirer d’autres domaines du droit, avec un multiple du chiffre d’affaires, souligne Nicolette Kost de Sèvres, avocat associée chez McDermott. Parallèlement, les dispositifs d’alerte sont plus performants et peuvent porter sur ces sujets avec un régime de protection des lanceurs d’alerte plus solide».

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