
Panique à la City

Le « mini-budget » du chancelier de l’Echiquier Kwasi Kwarteng n’a eu de « mini » que le nom : il a déclenché une hausse des taux d’intérêt longs, une panique à la City, un bras de fer entre les marchés et le gouvernement britannique, une intervention musclée du gouverneur de la Banque d’Angleterre et, enfin, une crise politique qui a débouché sur la démission de la Première ministre, Liz Truss.
Mais cette crise révèle aussi une faille sur le plan financier. Les pension funds britanniques collectent environ 1.500 milliards de livres de cotisations versées par des entreprises pour le compte de leurs salariés, qui, pendant leur retraite, sont assurés de recevoir une somme fixée à l’avance. Ce système à prestations garanties (defined benefits) combine les avantages du système par répartition – un montant garanti – et d’un système de capitalisation – chacun se constitue sa propre retraite, sans faire appel à la solidarité et à la démographie. Les fonds sont investis dans les Gilts, des obligations d’Etat à très long terme – souvent 30 ans –, ce qui correspond à la durée de constitution du capital qui sera reversé tout au long de la période de retraite. Dans une période de taux bas, toutefois, l’économie du système déraille.
Un scénario fictif, pour comprendre
Supposons que les prestations annuelles à verser aux retraités aient été de 60 milliards de livres par an. Tant que le rendement des Gilts est supérieur à 4 %, on peut honorer les engagements par le seul jeu des intérêts. S’il devient inférieur à 4%, les fonds de pension doivent (i) trouver des rendements plus élevés et (ii) se protéger contre la baisse des taux. La stratégie imaginée alors est la LDI (liability-driven investment strategy).
Le rendement. Le fonds de pension investit dans un fonds LDI, de rendement plus élevé grâce à l’effet de levier. Par exemple, si le taux des Gilts devient 2 %, il investit 500 milliards dans un fonds LDI de 1.500 milliards (le levier est donc de 3), le complément du financement étant assuré par de la dette à court terme, des repo. Pour sécuriser ces emprunts, les Gilts détenus par le fonds de pension serviront de collateral. Toutefois, même si le taux d’emprunt est à zéro, le rendement de 6 % sur les 500 milliards placés est insuffisant : il faut investir une fraction des fonds du LDI dans des actifs plus risqués, des actions qui servent des dividendes, pour atteindre les 60 milliards recherchés. Cinq cents des 1.500 milliards du fonds LDI font l’affaire : au taux de 4%, ils rapportent 20 milliards, plus 20 milliards sur les Gilts du LDI et 20 sur ceux du fonds de pension. Le tour est joué.
La protection. Si j’anticipe une baisse des taux, j’effectue un swap de taux : je paie le taux variable (dont je pense qu’il va baisser) et ma contrepartie paie le taux fixe, ce qui me convient puisque les prestations à payer sont fixes. C’est parfait tant que les taux baissent. La hausse des taux change la donne. Les swaps, de protecteurs, deviennent destructeurs : il est désormais plus coûteux de payer la « jambe » variable que la « jambe » fixe du swap, et ce déséquilibre déclenche des appels de marge auxquels les fonds doivent faire face. Cela nécessite la vente du seul actif liquide dont disposent les fonds, les bons du Trésor. Et côté repo, c’est la même chose, la hausse des taux entraînant une dévalorisation du collateral, un appel de marge se déclenche. Il faut réduire la voilure et vendre des Gilts. Ces ventes massives enclenchent le cercle vicieux de baisse des prix et des appels de marge supplémentaires, etc. Panique dans la City !
Ce qui est pareil et ce qui a changé
Quatorze ans après la crise des crédits subprime, le scénario se répète. Un peu plus simple : on a échappé aux complications et à la confusion de la titrisation. Plus circonscrit sans doute aussi. Mais le recours à un « levier » excessif, l’appel à des produits dérivés (repo, swaps de taux), le recours à la « collateralisation » massive sont les ingrédients de la crise précédente. On pouvait espérer que le tombereau de réglementations intervenu depuis douze ans y aurait remédié. Mais, voilà, ce ne sont plus les mêmes acteurs. En lieu et place des banques, il y des fonds à tous les étages : les fonds de pension d’abord, mais aussi les BlackRock, Schroders, Legal & General, qui ont fait les repo, bâti les LDI et proposé les swaps.
Dans un cadre privé, le système de prestations définies est intenable. Presque tous les pays s’en sont aperçus et l’ont fait évoluer vers celui « à cotisations définies », qui fait supporter le risque aux salariés. En Europe, seuls le Royaume-Uni et les Pays-Bas ne l’ont pas fait. Première erreur. Les non-banques – le shadow banking – ont continué à se développer plus vite que le secteur bancaire après la « grande crise financière ». On a voulu croire qu’elles étaient moins exposées au risque systémique, et pouvaient échapper aux réglementations de Bâle 3. Deuxième erreur.
Minsky et son paradoxe de la tranquillité ne sont pas loin : quand tout va bien, on se relâche. Les acteurs s’impatientent de la sévérité des régulateurs ; les hommes politiques emboîtent le pas en général ; les régulateurs finissent par douter. Ils hésitent : le mal est fait.
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