Métaux - Le nickel plonge le LME dans la tourmente

Le squeeze des cours début mars ravive la question de la réforme d’un marché en perte de vitesse et de crédibilité.
Stéphanie Salti
london mletal exchange matières premières ukraine russie fev 2022
Le Ring, marché à la criée du London Metal Exchange.  -  Bloomberg

L’envolée des cours du nickel a provoqué une crise sans précédent au sein du London Metal Exchange (LME). Le 8 mars, le marché des métaux non ferreux londonien, vieux de 145 ans, a décidé de suspendre la cotation… et d’annuler quelque 3,9 milliards de dollars de transactions afin d’éviter des faillites d’un certain nombre de courtiers. « C’est un événement complètement exceptionnel, explique Antoine Pertriaux, responsable de la recherche chez Adamantia. Des garde-fous auraient dû être présents et alerter le LME afin qu’il arrête les sessions bien avant. Or cela n’a pas été fait. »

En soi, l’annulation de transactions exécutées n’est pas inédite mais « elle se fait en général de façon exceptionnelle dans le cas d’erreurs opérationnelles (fat fingers) ou de problèmes techniques », rappelle Raymond Sabbah, associé au sein de Bourse Consult, société de conseil britannique spécialisée dans les infrastructures de marchés de capitaux. Rien de tout cela dans ce cas précis : le géant chinois Tsingshan, propriété du magnat des métaux Xiang Guangda, s’était lancé dans une vente à découvert importante, pariant sur la baisse des cours du nickel. Or l’invasion de l’Ukraine par la Russie, troisième producteur mondial du métal industriel, lui a donné tort, provoquant des appels de marge et des débouclages de positions à l’origine d’un bond des prix extraordinaire.

Favoritisme et risque de poursuites

Des soupçons de favoritisme ont surgi : depuis 2012, le LME est dans le giron du Hong Kong Exchanges and Clearing (HKEX), propriétaire de la Bourse de Hong Kong. « De par son appartenance, le marché du LME subit les tensions géopolitiques entre la Chine et Hong Kong, poursuit Raymond Sabbah. Cette situation se traduit par une perte d’indépendance du LME et une négation des règles du jeu des marchés. C’est très grave. » Le patron du LME s’en est défendu : l’intervention était motivée par le caractère systémique des conséquences pour le marché. Certains, comme le négociant de métaux Trafigura, lui ont donné raison. D’autres, en majorité des investisseurs qui avaient parié à la hausse, ont manifesté leur colère, à l’image de Mark Thompson, dirigeant de Tungsten West, qui anticipe « une mort lente du marché, qu’il s’est infligée lui-même en provoquant une perte de confiance ». Selon la newsletter Front Month, spécialisée dans les infrastructures de marché, la crise du LME contient tous les ingrédients d’une crise financière : « L’orgueil démesuré. Un effet de levier excessif. Des banques complaisantes. Des institutions ‘too big to fail’. Le quasi-effondrement d’un marché d’importance critique. Les renflouements. Tout est là, et je pense que nous en parlerons encore pendant de nombreuses années… », estime Hide not Slide, pseudonyme de l’auteur.

Depuis, les rumeurs de poursuites judiciaires à l’encontre de la Bourse des métaux londonienne se multiplient. « Certains acteurs de marché pourraient effectivement faire valoir qu’il y aurait eu des distorsions, relève Sylvain Berthelet, analyste gérant au sein du groupe SMA. Certains ont vu leurs transactions annulées alors que d’autres se seraient vu accorder plus de temps pour faire face à leurs appels de marge et gérer une situation dont ils seraient au moins en partie responsables. »

Peu d’alternatives

Mais pour l’heure, les alternatives au LME sont rares. « Contrairement aux marchés dérivés sur des produits financiers, les marchés dérivés de matières premières sont intrinsèquement liés à des sous-jacents physiques, impliquant un dispositif complexe de gestion d’approvisionnement et de stockage des matières premières concernées, difficilement déplaçable en un temps très court, expose Antoine Pertriaux. Cela rend le LME incontournable à court terme et le met donc à l’abri d’une désaffection massive des participants. »

Cette crise tombe au plus mal : pour la troisième année consécutive, les volumes ont décliné sur le LME en 2021, provoquant de nouveaux appels à la réforme. Depuis 2013, l’opérateur enchaîne pourtant les projets de transformation. Il s’est d’abord concentré sur les infrastructures et l’efficacité opérationnelle. Plus récemment, le marché a porté son attention sur la réduction des niveaux de stock dans les entrepôts cotés au LME. Au début de son mandat en 2017, Matthew Chamberlain, son directeur général, s’était même attiré des louanges en réduisant des augmentations de frais dans le cadre d’un ensemble de réformes. Une victoire de courte durée : son projet de fermer le Ring, où s’effectuent les transactions à la criée, et de passer à un marché entièrement électronique n’a pas abouti, faute de soutien des courtiers et des industriels.

Selon Sylvain Berthelet, les actions de remédiation prises par le LME à l’occasion de l’épisode du nickel vont cependant dans le bon sens. « L’abaissement des seuils de reporting (pour les positions des intervenants, NDLR) n’est pas neutre. De ‘petites’ décisions comme celle-ci peuvent parfois résoudre plus de 80 % des problèmes. » De son côté, le LME indique examiner des mesures destinées à renforcer la résilience du marché. « Cela pourrait inclure le maintien des limites de prix actuelles de 15 % pour les positions fermes sur les contrats à règlement physique du LME et le renforcement de la surveillance du marché de gré à gré », indique un porte-parole.

Pour l’heure, le risque de contagion à d’autres métaux semble limité. « Le palladium est un autre métal dont la Russie est un producteur encore plus dominant, explique Tommy Träsk, directeur chez Scope Ratings. Le risque d’une flambée des prix est toutefois moins élevé dans ce cas, car le remplacement par d’autres métaux (palladium) est plus simple que pour le nickel. »

Inévitable pour beaucoup, la poursuite des réformes du LME pourrait néanmoins prendre du temps : Matthew Chamberlain quitte le marché fin avril. Adrian Farnham, responsable de LME Clear, assurera l’intérim jusqu’à la nomination d’un nouveau directeur général.

ouv-eco.gif

Un évènement L’AGEFI

Plus d'articles Matières premières

Contenu de nos partenaires

Les plus lus de
A lire sur ...