
L’obligation de négociation sur les dérivés dérive
Suivant une volonté politique, la réglementation européenne MIF 2 avait instauré, en parallèle de l’obligation de compensation centralisée des produits dérivés, une obligation de négociation (derivatives trading obligation, DTO) par les entreprises d’investissement (EI) de l’Union européenne (UE) sur les produits les plus liquides. Alors que cette DTO était remise en question à l’approche du Brexit, l’Autorité européenne des marchés financiers (Esma), contrainte de soutenir les plateformes de négociation européennes, est restée inflexible. Sa décision remettait en cause une application particulière de MIF 2 par le Royaume-Uni qui impose, depuis 2018, sa propre DTO à toutes les contreparties, dont les succursales d’EI européennes au Royaume-Uni ou celles traitant avec des clients via un inter-dealer broker britannique, donc soumis à la DTO britannique.
Fin décembre, la Financial Conduct Authority (FCA) avait autorisé les EI britanniques – mais pas les inter-dealers brokers (D2D) ni les succursales d’EI européennes à Londres – à échanger les swaps sur des plateformes de l’UE , pour trois mois. Depuis, les marchés ont constaté une relocalisation plus ou moins « ordonnée » des échanges. Les plateformes européennes ont récupéré 45 % à 53 % de la liquidité sur les swaps de taux (interest rate swap, IRS) en euros. Mais les plateformes américaines (swap execution facility, SEF), qui avaient déjà l’essentiel de la liquidité sur les dérivés en dollars, gagnent aussi des parts importantes avec 35 % à 38 % sur les swaps de taux en euros, progressent un peu sur les swaps en sterling, et se renforcent sur les dérivés de crédit (CDS) sur indices en euros.
Cela pose deux problèmes potentiels, selon la salle de marché d’une succursale française à Londres : « D’une part, le fonctionnement de la négociation aux Etats-Unis diffère de l’Europe, avec un processus de ‘request for quote’ (RFQ) qui doit cibler au moins trois contreparties sans transparence ‘pre-trade’ sur celles ciblées ; d’autre part, une EI européenne ne peut plus traiter de produits soumis à la DTO avec une contrepartie britannique que sur une plateforme reconnue par les deux régulateurs (Esma et FCA), donc dans un ‘pays tiers’ reconnu comme les Etats-Unis. » En outre, « les succursales européennes à Londres n’ont, du fait de la DTO européenne, plus accès à la liquidité sur les ‘swaps’ de taux en livres », ajoute Emmanuel de Fournoux, directeur des activités de marché à l’Association française des marchés financiers (Amafi).
Exemption sur les dérivés en livres ?
Avec le soutien de ses homologues allemande, italienne et irlandaise, celle-ci a réécrit le 8 mars à la Commission européenne (CE), insistant sur cette perte de parts de marché de l’UE sur les swaps en livres, synonyme de perte d’accès à des clients britanniques et non britanniques. « L’accès limité aux flux D2D signifie aussi que les institutions de l’UE sont confrontées à des coûts de couverture plus élevés que leurs concurrents internationaux, avec un effet direct sur les prix qu’elles peuvent proposer aux clients », indiquent les professionnels.
A défaut d’équivalence, ils appellent à une solution réglementaire de la Commission, et suggèrent une exemption « même temporaire » de la DTO de l’Union applicable aux succursales britanniques des EI européennes pour leurs activités de dérivés avec des clients non-européens pendant au moins douze mois. « Cela laisserait le temps de la révision de MIF 2, comprend Antoine Pertriaux, responsable d’Adamantia Research Institute. Mais la Commission ne semble pas vouloir abandonner, même partiellement, la DTO sur les dérivés en euros, malgré le risque de voir une part croissante des transactions se diriger définitivement vers les plateformes américaines, et une large partie de la compensation avec, alors qu’elle souhaite la relocaliser dans l’UE », comme le rappellent aussi les associations. « Une solution pourrait être une exemption de la DTO de l’UE pour les EI de l’UE (et leurs succursales à Londres) concernant les dérivés en livres sterling sur le modèle de ce qui a été fait pour les actions », conclut Emmanuel de Fournoux.

Plus d'articles du même thème
-
Les fonds d'actions Amérique du nord à la loupe #48
L'économie américaine fait preuve d'une belle résilience. Les meilleurs fonds de la catégorie en profitent et affichent des performances à deux chiffres sur un an, voire approchent les 100 % sur cinq ans... -
Le premier ministre japonais entend changer la dynamique du marché local de la gestion d’actifs
Le premier ministre japonais Fumio Kishida a assuré, lors d’un discours à l’Economic Club of New York en date de jeudi 21 septembre, que son gouvernement allait « encourager la gestion d’actifs sophistiquée et solliciter les nouveaux entrants sur le marché » pour transformer l’épargne des ménages japonais en investissements, relate Reuters. -
Le régulateur chinois surveille les hedge funds quantitatifs
Les activités de certains hedge funds quantitatifs ont attiré l’attention du régulateur chinois des marchés financiers, China Securities Regulatory Commission (CSRC), selon Reuters, qui s’appuie sur des sources anonymes.
Sujets d'actualité
- Société Générale : le mythe têtu de la «création de valeur»
- La Société Générale dévoile des ambitions décevantes pour 2026
- Après les années Oudéa, Slawomir Krupa met la Société Générale au régime sec
- L’ancien patron de la Bred, Olivier Klein, arrive chez Lazard
- La zone euro se dirige vers la récession
Contenu de nos partenaires
-
Exclusif
Séisme au Maroc: dans les coulisses du jour le plus long de Mohammed VI
L'Opinion a reconstitué les premières heures post sinistre du roi du Maroc pour répondre à la catastrophe naturelle la plus mortelle de son règne -
Spécial Pologne
« Les Russes veulent revenir » - la tribune d'Eryk Mistewicz
« Il y a 30 ans, le dernier soldat soviétique a quitté la Pologne. À en croire les idéologues de Poutine, les Russes aimeraient aujourd'hui retourner en Pologne et dans toute l'Europe centrale. Nous faisons tout, nous, Polonais et Ukrainiens, Français aussi, tous en Europe et aux États-Unis, pour les en empêcher », explique le président de l'Instytut Nowych Mediówryk. -
Editorial
Antonio Guterres, le prophète de malheur qui ne fait peur à personne
Le Secrétaire Général de l’Onu va crescendo dans les prévisions apocalyptiques