
L’immobilier chinois engage sa longue restructuration
China Evergrande s’offre un répit. Le promoteur chinois en difficultés, dont le passif dépasse 300 milliards de dollars, a conclu un accord, soutenu par Pékin, avec certains de ses créanciers obligataires en yuan (onshore) pour prolonger de six mois le remboursement et le coupon d’une obligation de 4,5 milliards de yuans (708 millions de dollars) arrivant à échéance en janvier 2023 mais qui pouvait être demandé par anticipation.
Evergrande évite ainsi un défaut technique qui aurait compliqué davantage sa restructuration en cours. Le promoteur a jusque-là fait défaut sur certaines obligations en dollars, provoquant des défauts croisés.
Alors que ces difficultés se sont propagées à d’autres acteurs du secteur, déjà fragilisés ou non (les difficultés de Shimao, un promoteur noté investment grade a surpris les investisseurs), le déroulé des événements chez Evergrande donne une idée des contours des restructurations à venir pour les autres acteurs du secteur mais aussi au-delà de l’immobilier.
Priorités pour Pékin
La priorité pour Pékin est que les promoteurs livrent les logements à leurs acheteurs et que leurs employés et sous-traitants soient payés. D’un autre côté, les autorités chinoises veulent que la restructuration de la dette se fasse sur la base des règles du marché, afin d’éviter tout hasard moral, même si cette règle ne s’applique pour le moment qu’aux investisseurs sur le marché de la dette en dollars (qui ne représentent qu’une petite partie des dettes d’Evergrande avec 19 milliards de dollars).
Cette approche se confirme. Alors que Shimao a transféré les fonds pour rembourser une obligation en yuans de 1,9 milliard, la société n’a rien dit concernant le paiement des coupons de deux obligations en dollars. Le promoteur originaire de Shanghai, qui est également en difficultés sur des produits de gestion de fortune (trust loans), doit négocier lundi avec les créanciers de deux ABS d’un montant de 1,17 milliard de yuans, dont il voudrait repousser l’échéance à la fin de cette année au lieu de fin janvier.
Evergrande, Shimao ou Kaisa ne sont pas les seuls en difficultés. Yuzhou Group cherche également à aménager sa dette (échange d’obligation, changement des termes pour éviter les défauts croisés, décalage de coupons…). Sunac China, un des principaux acteurs du secteur, cherche lui à lever des fonds via une augmentation de capital. Les promoteurs sont de plus en plus nombreux à se déclarer en difficulté en raison de la forte baisse d’activité, du durcissement de la réglementation, notamment en termes d’endettement, et des difficultés à se refinancer.
Difficultés de refinancement
En fin d’année, les conditions sont restées difficiles sur les marchés offshore. «La situation était plus difficile que sur le marché onshore avec une réduction des émissions nettes, à l’exception des entreprises publiques, couplée à des rendements plus élevés, note Natixis. Cela montre que les investisseurs étrangers restent prudents sur ce marché, composé principalement de promoteurs immobiliers privés.» Mais les spreads de crédit entre entreprises publiques (SOE) et entreprises privées se sont davantage écartés sur le marché onshore malgré des taux de défaut en baisse contrairement au marché offshore. Il a reculé de 15% en 2021 (à 0,32%), grâce toutefois à des rééchelonnements de dettes, alors qu’il a bondi de 61% sur le marché offshore (à 1,3%). L’écartement des spreads traduit les craintes de hausse des défauts.
En 2022, les promoteurs chinois doivent faire face à un mur de dette de 116 milliards de dollars, selon Refinitiv. Pour éviter que la vague de défauts ne se transforme en déferlante, Pékin a commencé à relâcher la bride sur le secteur. Il veut ainsi permettre aux promoteurs publics d’acquérir des concurrents privés en difficultés. L’endettement supplémentaire entraîné par ces opérations ne sera pas pris en compte dans les ratios d’endettement exigés par les «trois lignes rouges». La banque centrale chinoise a également assoupli sa politique monétaire ces derniers mois pour soutenir le secteur et éviter un choc économique.
La Banque mondiale a rappelé la semaine passée dans son rapport sur les perspectives économiques qu’une chute prolongée du secteur immobilier chinois aurait des conséquences significatives pour l’ensemble de l’économie. Il représente environ 30% de l’activité en Chine. Les analystes de JPMorgan estiment qu’une baisse de 5% de l’investissement immobilier aurait un impact direct et indirect de 0,7 point sur la croissance. Les économistes anticipent une croissance de 5% cette année en Chine.
Pour certains, le pays aura encore du mal à faire face au défi du désendettement. Qui dit désendettement, dit moindre croissance. Pékin ne peut sans doute pas se le permettre cette année alors que le président chinois Xi Jinping doit briguer en fin d’année un troisième mandat. «Pour éviter un risque systémique, nous nous attendons à un assouplissement marginal des outils macro-prudentiels qui sont restrictifs sur le secteur immobilier même si la politique générale de «se loger n’est pas spéculer» ne changera pas, affirme Alicia Garcia Herrero, économiste chez Natixis. Cela dit, le compromis entre la croissance économique et le désendettement demeure et la réponse ultime à la position du gouvernement ne devrait devenir claire qu’après les deux sessions de mars 2022 avant le 20e Congrès du Parti Communiste».
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