
«L’Europe a renoncé à réguler le trading haute fréquence»

L’Agefi : La Commission européenne a publié le 25 avril son règlement délégué définissant le trading haute fréquence (HFT). Pourquoi personne ne réagit face à ce texte ?
Benoît Lallemand : Le sujet reste très technique pour beaucoup d’observateurs non avisés, notamment les élus amenés à se prononcer. Et les acteurs du secteur financier se sentent peu touchés par des mesures qui ne changeront rien à leurs pratiques.
Pourquoi y voyez-vous une victoire du secteur financier ?
Les lobbys du HFT et des banques d’investissement ont bien manœuvré, en deux temps. Premièrement, en vidant la réglementation MIF 2 de sa substance. On pouvait se passer de définir le HFT en modifiant les règles du jeu du trading (la microstructure des marchés) afin d’empêcher tout comportement parasite ou malveillant : en renforçant les obligations de tenue de marché, en imposant un prix (même faible) à toute modification ou annulation d’ordres, ce qui casse le modèle économique des stratégies d’abus de marché, en réformant sérieusement le régime des « pas de cotation » (« tick size ») des plates-formes de marché.
Deuxièmement, les lobbys sont parvenus à verrouiller toute régulation forte pour l’avenir grâce à une définition très large, qui considère comme HFT plus de 90% des intermédiaires financiers ! Trois critères sont utilisés : une proximité physique avec les plates-formes, l’usage d’algorithmes par les traders, puis le critère quantitatif avec la transmission d’au moins 2 messages/seconde sur un instrument donné ou d’au moins 4 messages/seconde sur une plate-forme donnée. Alors qu’experts et universitaires s’accordent sans exception sur le fait qu’on entre dans le HFT à partir de 1.000 messages/seconde !
N’a-t-on pas besoin de cette liquidité ?
Les HFT oublient de préciser qu’ils n’apportent de la liquidité que sur les titres déjà liquides ! L’ambition de la MIF – ré-inventée aujourd’hui par l’Union des marchés de capitaux – était de faciliter l’accès des PME au marché européen des capitaux. Or en mettant en concurrence les bourses, on a fragmenté la liquidité plutôt que de la centraliser et, surtout, on a permis l’explosion d’une ultra-liquidité spéculative totalement déconnectée de l’économie réelle au détriment d’une liquidité patiente, locale, utile. Les textes de loi qu’on continue de nous servir sont ainsi à rebours de la rhétorique politique qui les soutient.
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