Les marchés monétaires américains risquent de nouveaux problèmes de surliquidités

Ils devraient encore manquer de collatéral, à moins que la Fed ne remette des actifs sur le marché en 2022.
Fabrice Anselmi

Trop de liquidités ! On savait que la Réserve fédérale américaine prévoyait trois hausses de taux en 2022 depuis son comité monétaire du 15 décembre. Ses minutesl’ont confirmé mercredi soir, faisant encore remonter les taux à 10 ans d’un cran, à 1,74% jeudi. Certains décideurs sont aussi favorables à une réduction du bilan de la Fed, qui culmine à 8.800 milliards de dollars, peu après la première hausse de taux, désormais prévue en mars.

De fait, les opérations de «mise en pension» inversée (RRP O/N) de la Fed ont presque tout le temps dépassé les 1.500 milliards de dollars déposés au jour le jour depuis novembre, et même 1.900 milliards le 31 décembre – avec des effets techniques liés aux intérêts des prêts hypothécaires.

Pour rappel, la banque centrale avait dû augmenter, de 30 à 80 milliards (le 1er avril), puis à 160 milliards (le 22 septembre), la limite des dépôts RRP O/N par contrepartie. Objectif : compenser le manque de titres du Trésor à court terme (T-Bills) face à l’abondance de liquidités injectées dans l’économie via son programme d’achats d’actifs (QE) et à l’arrêt le 31 mars d’une exemption réglementaire introduite pour les grandes banques systémiques. Avec un QE de 120 milliards par mois entre mai 2020 et octobre 2021, les banques augmentaient d’autant leurs dépôts. L’exemption permettait de déduire du dénominateur de leur ratio de levier supplémentaire (SLR) la détention de Treasuries et de réserves à la banque centrale. Enfin, quasi-simultanément, et de plus en plus avec l’échéance rapprochée du plafond de la dette, le Trésor a réduit son compte à la Fed (TGA), de 1.600 milliards début 2021 à 289 milliards fin décembre.

«Avec le report du plafond de la dette voté en décembre (jusqu’à 31.380 milliards), le Trésor va réémettre un peu plus de T-Bills, notamment pour remonter son TGA au-dessus de 500 milliards, peut-être 700 milliards avec la collecte des impôts, à la fin du premier trimestre 2022, rappelle Guillaume Martin, stratégiste taux chez Natixis. En même temps, le ‘tapering’ accéléré sur les achats de la Fed (105 milliards en novembre, 90 en décembre, 60 en janvier, 30 en février, 0 en mars, ndlr) va réduire les besoins de placement de liquidités des banques.»

Depuis juin, la hausse simultanée de 5 pb sur les taux RRP O/N (à 0,05%) et sur les taux des réserves bancaires à la Fed (IORR et IOER, à 0,15%) a permis de remonter plus ou moins rapidement les taux courts. Ceux-ci oscillent autour de 0,05% pour le taux «repo» Sofr au jour le jour et les T-Bills 1 mois ; au-dessus de 0,08% pour les taux Fed funds effectifs (EFFR) et les T-Bills 3 mois ; et surtout autour de 0,20% pour le taux Libor USD 3 mois.

Normalisation de la pente

Mais les banques ont réalloué leurs liquidités aux fonds monétaires (MMF) pour éviter de payer les surcharges en capital liées à l’augmentation des dépôts depuis avril. Ces fonds monétaires, ne trouvant pas assez de T-Bills, ont beaucoup utilisé la facilité RRP O/N, restée finalement attractive. «Ces opérations se stabiliseront peut-être un peu au-dessous du niveau de cet automne, mais le variant Omicron peut amener des ménages et des entreprises à renforcer leur épargne de précaution et les dépôts : le manque de collatéral restera un sujet en 2022, estime Guillaume Martin. A moins que la Fed ne réduise très vite son bilan - donc les réserves - comme certains le souhaitent.»

Ce processus de normalisation plus rapide que par le passé impliquerait que de nouveaux gouverneurs «restrictifs» (Loretta Mester, Esther George, James Bullard…) prennent le pas sur les plus «accommodants» (Lael Brainard, et peut-être l’économiste Philip Jefferson pressenti depuis quelques jours).

La nomination également pressentie de la démocrate Sarah Raskin à la supervision financière confirmerait probablement les nouvelles règles contraignantes proposées par la SEC sur les MMF, les orientant davantage encore vers les T-Bills, et l’absence de réaménagement des règles de liquidité des banques. Face aux surcharges réglementaires, celles-ci ont préféré détenir des dépôts plutôt que des Treasuries, et des T-Bonds plutôt que des T-Bills. Au point que le durcissement de ton de Jerome Powell et l’apparition d’Omicron avaient perturbé les marchés début décembre. Les taux à 2 ans – qui reflètent le risque d’inflation – avaient été délaissés au profit des taux plus longs – qui reflètent le risque de faible croissance –, avec un risque d’inversion de la pente sur la partie 5-10 ans. L’optimisme retrouvé depuis a permis un retour à la normale.

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