
Les créanciers bancaires digèrent le choc Credit Suisse

Quarante-huit heures après l’adossement de Credit Suisse à UBS, les investisseurs sont toujours sous le choc. En privilégiant les actionnaires de la banque suisse sur les détenteurs des obligations Additional Tier 1 (AT1), la Suisse a ouvert dimanche une brèche sur le marché des dettes subordonnées bancaires mises en place après la crise de 2008 pour éviter de faire payer le contribuable.
L’Autorité de régulation financière suisse (Finma) a encouragé le rachat de la banque par UBS pour 3 milliards de francs suisses (0,76 franc par action) sans accorder un centime aux porteurs de 16 milliards d’AT1. Cette décision a inversé la hiérarchie des créanciers avec les risques que cela fait peser sur la classe d’actifs, et ouvert un débat sur ce que permettait, ou pas, le droit helvétique et la documentation propre aux titres de Credit Suisse. Des contentieux sont en préparation.
Quelle légalité ?
Ces obligations perpétuelles sont également appelées CoCos (contingent convertible) car convertibles en actions ou annulables lorsque le ratio de fonds propres de base (CET1) de la banque baisse au-dessous de 5,125% ou de 7%. Credit Suisse avait remboursé par anticipation en juillet 2022 sa dernière dette AT1 prévoyant une conversion en equity. Mais le ratio de CET1 du groupe était encore estimé à 14% dimanche au moment de la décision des autorités.
Les prospectus des AT1 de Credit Suisse prévoient certes une clause de «viability event» permettant l’intervention du régulateur suisse (Finma) - et non pas des autres régulateurs - pour annuler la dette de façon totale et non temporaire. «Un call avec les parties prenantes (dont UBS) nous a confirmé que ces clauses contractuelles n’avaient pas été et ne pouvaient être déclenchées, indique Gildas Surry, gérant spécialisé chez Axiom AI. Il a donc fallu un changement de loi pour que la Finma puisse décider que le soutien de l’Etat déclenchait un amortissement complet de la valeur des AT1.»
La réécriture de la loi par ordonnance du Conseil fédéral précise bien que, lors de l’approbation des crédits et garanties apportées à l’opération via la Banque nationale de Suisse (BNS), «la Finma peut ordonner à l’emprunteur et au groupe financier d’amortir les fonds propres de base supplémentaires», traduction française des AT1. Le terme «supplémentaires» a son importance. Les fonds propres de base CET1 sont constitués, eux, des réserves et des actions d’une part, et les «fonds propres complémentaires» des dettes subordonnées Tier 2 d’autre part.
A lire aussi: La règle pour les sauvetages bancaires ? Pas de règles !
L’esprit de la loi ?
«Les ratios de solvabilité et même de liquidité de la banque restaient au-dessus des exigences. Donc les autorités ont, avec ce soutien exceptionnel et la préférence pour le rachat par un champion national - sans considérer d’autres offres ni les problèmes de concurrence -, accéléré le processus de manière préventive, pour éviter une panique. Elles n’ont pas respecté le ‘canevas’ réglementaire suisse qui prévoyait pourtant aussi des mesures de renflouement interne (bail-in) progressif jusqu’au ‘point de non-viabilité (PONV)’», rappelle Gildas Surry. L’augmentation de capital nécessaire à Credit Suisse avait déjà eu lieu début décembre, et il est probable que les autorités ont voulu garantir un minimum de compensation pour les derniers actionnaires arrivés au tour de table, dont Saudi National Bank.
En donnant la préférence à un rachat par un champion national, l’opération rappelle la résolution le 7 juin 2017 de la banque espagnole Banco Popular, adossée à Santander. Mais à l’époque, les actionnaires aussi avaient tout perdu. Les dettes subordonnées avaient été sacrifiées par les autorités compétentes au nom du Système de résolution unique (SSR) de l’Union européenne (UE) au profit des dettes seniors et non pas des actions. «Le système européen, s’il prévoit la possibilité d’une contribution des AT1 indépendamment du sort des actionnaires dans une situation ‘likely to fail’, intègre aussi la possibilité d’une dépréciation temporaire, avec clause de ‘retour à meilleure fortune’, ajoute Gildas Surry. Je pense que les autorités suisses auraient aussi pu faire ce choix.» «Nous estimons également qu’un changement de loi aurait pu prévoir une dépréciation relative ou rétablir une conversion en equity», complète Thibault Douard, gérant spécialisé chez Tikehau IM.
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Au lieu de quoi, elles ont mis à risque toute la classe de dettes AT1, qui doivent servir de coussin d’amortissement des pertes protégeant tous les créanciers plus seniors. Il a donc fallu, un an après avoir reconnu une efficacité très relative des AT1, que les autorités de supervision européennes et britanniques communiquent pour rappeler la hiérarchie des créanciers - l’esprit de la loi - et sauver ce marché en Europe et au Royaume-Uni.
Anciennes dettes Tier 2 non concernées
Au passage, une ancienne obligation subordonnée Tier 2 de Credit Suisse, émise en mai 2013 pour 10 ans et 2,5 milliards de dollars, et également «contingent convertible» comme c’était encore possible à l’époque, ne devrait pas être concernée par la résolution, selon Bloomberg. Cette dette à la structure «inhabituelle» sera «vraisemblablement transférée» au groupe UBS élargi, comme toutes les obligations seniors de Credit Suisse, estime Simon Adamson, responsable de la recherche financière chez CreditSights. Le titre était valorisé mardi soir à 86% du pair, contre environ 56% avant lundi.
A titre de comparaison, les dettes AT1 étaient encore valorisées entre 2% et 3% de la valeur nominale en attendant d’éventuels contentieux. «Les porte-parole concernés n’avaient pu répondre aux demandes sur ce sujet dimanche. Le nouveau groupe UBS sort de cet épisode dans une situation de fonds propres supplémentaires peu optimale, tant en termes de besoins d’AT1 que de risques désormais pour l’émission de ces titres au nom du droit suisse», conclut Thibault Douard.

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