Les banques centrales impulsent une nouvelle dynamique aux marchés de l’or

Les inquiétudes liées aux sanctions ont déclenché d’importants achats d’or par les institutions souveraines.
Corentin Chappron
or métal jaune lingot (réserve Bundesbank)
Plus les taux sont bas, plus l’or devient un actif intéressant.  -  © Frank Rumpenhorst

La guerre en Ukraine a bouleversé les marchés de l’or. Le prix du métal est historiquement corrélé aux flux d’investissement sur les ETF dictés par les taux réels - plus ceux-ci sont bas, voire négatifs, plus l’or devient un actif intéressant. Les fonds d’investissements constituent les acheteurs marginaux du marché, les autres postes de demande (joaillerie, industrie et banques centrales, donc) étant en principe relativement stable. Or, la remontée des taux réels (le taux à 5 ans demeure proche de son niveau le plus haut depuis 10 ans, à 1,43%) n’a pas érodé les prix de l’or.

Réserves

Selon les dernières données du World Gold Council, la réponse se trouve du côté des banques centrales. Leurs achats d’or ont atteint en 2022 un niveau record, inédit depuis 55 ans, rompant avec la tendance de ces dernières années : 1.136 tonnes ont été achetées l’an dernier, contre 450 tonnes en 2021. A titre de comparaison, les flux sortants sur les ETF ont atteint 110 tonnes en 2022 et 189 tonnes en 2021. «L’équilibre du marché de l’or n’a pas changé (au profit des banques centrales, ndlr), mais sa dynamique, si : le marché s’attend à ce que les banques centrales continuent à acheter, ce qui a apporté un soutien aux cours et tend à limiter les attentes d’une baisse de prix», explique Robert Abel, chef des ventes de métaux EMEA chez Deutsche Bank. Les volumes achetés par les institutions pourraient diminuer en 2023, mais plusieurs banques centrales émergentes, dont celle de la Chine, ont réaffirmé leur intention d’acheter davantage d’or. «La demande des banques centrales pourrait avoir du mal à atteindre les sommets de 2022, tempère Krishan Gopaul, analyste senior EMEA au World Gold Council. Les réserves de change mondiales ont chuté l’an dernier, de nombreuses banques centrales ayant soutenu leurs devises, et la diminution des volumes de leurs portefeuilles limite leur marge de manœuvre pour diversifier leurs actifs en 2023».

L’achat d’or par les banques centrales peut répondre à deux problématiques. La gestion d’un portefeuille souverain, d’abord : le métal est l’un des actifs jugés les plus sûrs et les plus liquides, supplanté uniquement par le S&P 500 et le marché des Treasuries. De fait, le volume du métal détenu par les banques centrales, en chute jusqu’en 2009, a depuis progressé de 24%. Par ailleurs, même si le rendement qu’il est possible d’obtenir est faible, les réserves d’or peuvent être génératrices de revenus. Les banques centrales peuvent les déposer dans des dépôts à terme ou dans le cadre de swaps, un échange temporaire d’or contre des devises exécuté avec des contreparties privées ou des banques centrales partenaires. Dans les deux cas, l’or doit toutefois être stocké au sein de l’une des Bourses mondiales pour le métal (Londres, New York ou Shanghaï) ou dans les coffres des banques centrales américaines ou britannique pour pouvoir être prêté ou déposé, ce qui expose les réserves aux risques de sanctions. Le métal représente 17% et 7% des réserves des banques centrales développées et émergentes.

Faiseur de prix

L’or est pourtant l’actif de réserve le moins sensible à ces risques, s’il est stocké domestiquement. Des réserves détenues localement ne peuvent pas générer de revenu, mais elles peuvent être écoulées malgré les sanctions, même si cela peut se faire plus difficilement et avec une décote que sur les grandes places de marché. Le FMI, dans une analyse des investissements des banques centrales dans l’or, remarque d’ailleurs que la mise en place de sanctions internationales est souvent suivie d’achats d’or massifs par les banques centrales émergentes. Signe que les achats de cette année ont été motivés par la sécurité des réserves souveraines, les volumes d’or stockés par le marché de Londres (LMBA) ont baissé de 6% en 2022, à 8.232 tonnes. Ce sont dans les entrepôts de ce marché que les banques centrales stockent une partie de leurs réserves de métal.

Les pressions sur le cours du métal pourraient donc se poursuivre en 2023 avec la poursuite des sanctions contre la Russie, d’autant que l’activité des producteurs d’or n’est pas encore suffisante pour plafonner les prix. La fin du cycle de hausse de taux de la Fed pourrait aussi soutenir les flux d’investisseurs. Les prix élevés devraient toutefois mener, à terme, à un rééquilibrage du marché. «L’augmentation des prix devrait faire augmenter les volumes d’or recyclés et affaiblir la demande de bijoux, en particulier en Inde, note Robert Abel. C’est ce qui s’était passé lorsque les prix avaient dépassé 1.900 dollars l’once, début 2023, et nous en voyons toujours les signes actuellement.» Il n’est pas sûr que les ETF retrouveront leur rôle de faiseurs de prix en 2023.

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