
L’électrochoc SVB met la finance sous tension

Depuis la crise du Covid, suivie par le choc sur les marchés de taux dans un monde où les dettes se sont empilées, les opérateurs craignent un accident majeur de marché, potentiellement systémique, tout en espérant ne jamais le voir. Des chocs comme la liquidation du fonds Archegos, la crise des fonds de pension britanniques gérés en LDI (liability-driven investments) ou la chute de plusieurs acteurs des cryptomonnaies ont jusqu'à présent été facilement absorbés par le marché. Mais cette fois, les choses semblent sérieuses.
Les difficultés de la banque américaine SVB (Silicon Valley Bank) ont provoqué une onde de choc sur les marchés jeudi et vendredi, parce qu’il s’agit d’un acteur bancaire traditionnel, certes de taille moyenne et très spécialisé dans le financement des start-up et la gestion de leurs dépôts. Mais la secousse souligne la vulnérabilité des banques à la hausse des taux. Avec pour crainte majeure une crise de liquidité, et le spectre de 2008 en toile de fond.
Washington exclut un sauvetage
SVB est une banque spécialisée dans les financements aux entreprises technologiques de croissance soutenues par des sociétés de capital-risque, dont elle détient 50% du marché aux Etats-Unis. Face à la ruée de certains clients pour retirer leurs fonds, la banque régionale a vendu un portefeuille d’emprunts d’Etat avec d’importantes pertes du fait de la hausse des taux d’intérêt depuis un an. Elle a cherché à éponger ses pertes via une augmentation de capital, en vain. Alors que ses dirigeants cherchaient un sauvetage par une vente, le régulateur bancaire de Californie a fermé vendredi la banque pour éviter une contagion de la crise. La Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), la tutelle des banques de dépôts, a pris le contrôle de Silicon Valley Bank.
Les déboires de SVB arrivent juste après ceux de Silvergate Capital, spécialiste de la crypto, beaucoup plus petit, qui a mis fin la semaine passée à ses activités.
Ce dimanche, la secrétaire d’Etat au Trésor, Janet Yellen, a indiqué que le gouvernement travaillait avec les autorités bancaires californiennes pour aider les déposants de SVB, pour la plupart des entreprises qui se trouvent désormais coupés de l’accès à leur cash. Leurs dépôts sont garantis à hauteur de 250.000 dollars, une limite vite atteinte pour des start-up qui craignent désormais de ne pouvoir payer leurs employés. Mais Janet Yellen a exclu tout sauvetage comme lors de la crise financière de 2008, lorsque le Trésor et la Fed avaient renfloué les grandes banques après la chute de Lehman Brothers. «Les réformes qui ont été mises en oeuvre signifient que nous n’allons pas refaire la même chose», a-t-elle déclaré sur CBS.
«Cet épisode sur SVB est emblématique du régime de taux plus élevés pour plus longtemps qui semble à peine débuter, ainsi que des courbes inversées, et une industrie du capital-risque technologique qui a connu des temps beaucoup plus difficiles ces derniers mois», juge Jim Reid, stratégiste chez Deutsche Bank. Ce dernier décrit cet événement comme la «tempête parfaite» de tout ce dont le marché s’est inquiété dans ce cycle.
Séance volatile
Wall Street a de nouveau terminé dans le rouge vendredi l’indice S&P 500 perdant 1,45% et le Nasdaq 1,76% après avoir déjà chuté jeudi de 1,85% et de 2,05% respectivement. Les valeurs bancaires continuaient d’être chahutées mais dans une moindre mesure que jeudi. L’indice S&P 500 Banks limitait ses pertes à 0,5%. L’indice KBW des banques régionales, qui avait chuté de 7,7% jeudi, perdait encore 2,4% vendredi. Les anticipations de hausses de taux de la Fed lors de sa réunion du 22 mars ont fortement diminué après l’annonce vendredi des données sur l’emploi américain de février. La probabilité d’une nouvelle hausse de 50 points de base (pb) est passée sous 50% après avoir bondi jusqu’à plus de 75% dans le sillage des déclarations restrictives (hawkish) de Jerome Powell, le président de la banque centrale américaine.
La baisse des anticipations de hausses conjuguée au net regain d’aversion pour le risque a entraîné une détente massive des rendements sur les marchés de taux. Sur le marché américain, celui des Treasuries 10 ans chutait de 19 pb, à 3,73%, tandis que le rendement des emprunts à 2 ans, plus sensible à l’évolution de la politique monétaire, s’effondrait de 25 pb, à 4,64%. Sur le marché européen, le rendement du Bund 10 ans a reculé de 16 pb, à 2,46 pb.
Les places boursières européennes ont terminé en fort repli vendredi, mais au-dessus des points bas de début de journée, le secteur bancaire étant particulièrement touché par la correction. L’indice des valeurs bancaires européennes a chuté de 4% (Stoxx 600 Banks). A Paris, la Société Générale a perdu 4,5% et BNP Paribas 3,8%. A Francfort, Deutsche Bank a chuté de 7,35%.
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Le marché semblait toutefois se stabiliser, et ne pas paniquer, certains profitant de la forte correction subie par certaines banques pour prendre position. Ils jugent le mouvement exagéré et le cas de SBV très spécifique. Les analystes ont par ailleurs souligné les bilans solides des grandes banques systémiques. Dans une note publiée vendredi, les experts d’Exane ont affirmé que les difficultés de SVB Financial Group ne relevaient pas d’un «problème systémique» et que l’effet de contagion devrait être limité sur les banques européennes. «Comme leurs homologues américaines, les banques européennes ont progressivement mis sur le marché leurs portefeuilles d’obligations au fur et à mesure que les taux augmentaient, sans impact significatif sur les ratios de fonds propres ‘common equity tier one’ (CET1) car la sensibilité est faible. Le système reste robuste et sain», jugent-ils.
Steven Zeng, analyste chez Deutsche Bank, a également estimé que le cas de SVB était très particulier. «Suite au fiasco de SVB, de nombreux investisseurs s’interrogent sur la position de liquidité dans l’ensemble du secteur bancaire et pour chaque banque, relève-t-il. Les données trimestrielles les plus récentes suggèrent que plusieurs facteurs ont pu contribuer à une position de liquidité affaiblie chez SVB : une part élevée de dépôts non rémunérés, qui a entraîné des retraits, une baisse du niveau des réserves dans le système et une augmentation de la concentration des réserves dans les plus grandes banques.» Ce que ne partagent pas toutes les banques, surtout les plus importantes, qui ont notamment des niveaux de cash plus élevés ou des portefeuilles d’actifs plus diversifiés que les seuls emprunts d’Etat.
«Pour certaines banques spécialisées californiennes, il y a eu d’importants retraits de dépôts, ajoute Alastair Ryan, analyste chez Bank of America. Les dépôts sont stables en Europe, même s’ils migrent vers des dépôts à taux plus élevé. Tout aussi important, les avoirs obligataires n’ont pas augmenté au même rythme, voire pas du tout.» Les banques européennes n’ayant pas parier sur une stabilité des dépôts à un niveau élevé, elles ne les ont pas investis sur des titres aujourd’hui en-dehors de la courbe.

L’indice Vix de volatilité implicite du S&P 500 accentuait toutefois sa hausse vendredi à 25 après avoir déjà bondi jeudi et atteint 29 vendredi. Il était sous 20 mercredi. Signe que les investisseurs cherchent à acheter de la protection face à une situation qui n’est sans doute pas stabilisée. Chacun cherche désormais quel sera le prochain domino à tomber. Malik Haddouk, directeur de la gestion diversifiée chez CPR AM, s’étonnait cette semaine lors d’une conférence de la forte disparité récente entre la volatilité des taux, qui est repartie en nette hausse (indice MOVE), et celle des actions (indice Vix) qui évoluait peu. Le ratio entre les deux ayant grimpé à près de 7 récemment, contre 5 mi-février. Une situation anormale.
Les opérateurs ont régulièrement rappelé ces derniers mois que les cycles de hausse des taux de la Fedprovoquent toujours des accidents dans les marchés. «Est-ce une autre mini-oscillation sur ce front ou le début de quelque chose de plus grand ? Difficile à dire, mais nous serions stupéfaits s’il n’y avait pas beaucoup plus de victimes de ce cycle d’expansion et de récession», craint le stratégiste de Deutsche Bank. D’autant que l’économie n’est pas encore en récession…
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