Le marché du crédit intègre un rebond des taux de défauts

Les prévisions de défaillances dans le monde ont augmenté avec la crainte d’un fort ralentissement économique.
Xavier Diaz
Entreprises en difficulté, faillite, défaut, liquidation, ruine
Avec la récession, il y aura des dégâts dans certaines entreprises.  -  AdobeStock

Avec la perspective d’un ralentissement voire d’une récession, le risque d’une vague de défauts a clairement augmenté. Allianz Trade anticipe pour 2022 et 2023 un rebond au niveau mondial. «Pour la première fois depuis 2019, les défaillances d’entreprises rebondiront en 2022 et 2023», écrivent les analystes d’Allianz Trade dans une étude publiée mercredi. Dans deux pays sur trois, le retour aux chiffres de 2019 prendra quelques années, comme en France ou en Allemagne, où la normalisation devrait être plus lente en raison des importantes mesures publiques adoptées pendant la crise.

«Mais nous sommes d’ores et déjà revenus à un fort niveau de risque d’impayés, tant à l’échelle mondiale que locale», explique Clarisse Kopff, CEO d’Allianz Trade. Ses analystes anticipent une hausse de 10% en 2022 et de 14% en 2023, après -12% en 2021, dans le monde.

A l’instar de cette hausse au niveau macroéconomique, les investisseurs prévoient également une remontée des défaillances dans les marchés financiers après des années d’accalmie. En témoigne l’accélération de l’écartement des spreads avec les craintes sur la croissance. «Plus que l’inflation, le vrai sujet pour le marché du crédit est la récession, et surtout son ampleur», souligne Philippe Berthelot, directeur gestion crédit et monétaire chez Ostrum AM. Le gérant d’actifs anticipe quelques trimestres de contraction en fin d’année 2022 en Europe, et début 2023 aux Etats-Unis, mais pas de récession prolongée. «Il y aura des dégâts dans certaines entreprises et le taux de défauts va augmenter», ajoute-t-il.

Fondamentaux solides

Jusqu’à présent, ce risque ne s’est pas matérialisé, car les fondamentaux des entreprises restent bons et le coût de l’endettement faible. Le levier financier a baissé, le niveau de cash est important, la couverture des intérêts par les bénéfices au plus haut depuis vingt ans et le profil de maturité de la dette s’est amélioré. Le coût de la dette est même au plus bas depuis 2008 en Europe, à 0,3% en avril, selon les analystes de CreditSights, loin des moyennes de long terme (5%). Mais le risque est désormais orienté à la hausse.

«Les entreprises sont face à deux défis qui pourraient nourrir une hausse du taux de défaut, observe Raphaël Thuin, responsable capital markets strategies chez Tikehau Capital. Les trajectoires opérationnelles des entreprises devraient se dégrader, que ce soit au niveau du chiffre d’affaires, qui a jusque-là globalement résisté grâce aux hausses de prix mais qui pourrait souffrir dans le ralentissement, ou des résultats qui risquent d’être moins robustes en raison de la pression sur les marges de la hausse des coûts.» L’autre défi sera celui du refinancement alors que le marché primaire high yield est en sommeil depuis plusieurs semaines. Quand les entreprises peuvent y accéder, elles doivent concéder des primes élevées. «Plus le temps passera, plus le besoin de lever de l’argent va devenir urgent pour certains émetteurs», avance Raphaël Thuin, qui note que ce risque sera surtout vrai à l’approche de 2023, le mur d’endettement étant relativement faible cette année.

Récession ou pas récession

Si la plupart des spécialistes s’attendent à une remontée des taux de défauts, ceux-ci devraient toutefois rester sous les niveaux historiques. «Il y aura une augmentation en 2022 mais pas une explosion des défaillances», souligne le gérant d’Ostrum, qui anticipe 2,1% en Europe (9 défauts). Les analystes crédit de JPMorgan ont revu leurs anticipations après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, à 1,5% cette année et 2,25% en 2023. Standard & Poor’s Global Ratings a révisé en hausse, mercredi, sa prévision à 3% (obligations et loans) pour l’Europe d’ici à mars 2023, contre 0,7% en mars 2022, dans son scénario de base d’un ralentissement, mais pas d’une récession. «Nous estimons que les émetteurs européens spéculatifs sont moins vulnérables aux hausses de taux d’intérêt court terme qu’aux Etats-Unis, mais plus vulnérables aux divers facteurs de stress économiques et géopolitiques», soulignent ses analystes. Même constat sur le risque géopolitique chez Moody’s, qui a revu en hausse sa prévision de défaillances dans le monde, à 2,8% d’ici à février 2023. L’agence anticipe un taux de défaut de 2,8% en Europe (loans et obligations).

Avec un scénario pessimiste, dans lequel le risque de récession commencerait à se manifester, les analystes de S&P prévoient un taux de défauts de 5%. «Dans un scénario extrême de récession dure ou d’événement adverse, il pourrait y avoir une vague de défauts», craint Raphaël Thuin.

Débat sur les ‘spreads’

Le marché du crédit euro a déjà en partie intégré un scénario de récession. «La probabilité de défaut sur la base du ‘spread’ de l’iTraxx Crossover, qui est actuellement autour de 460 points de base, est de 6,6% par an pendant cinq ans, constate Philippe Berthelot. Le marché intègre déjà beaucoup de ce qu’on anticipe en termes de défaillances.» Le gérant note par ailleurs le niveau élevé d’obligations traitant à des niveaux distressed (spread de plus de 1.000 points de base). Il a doublé depuis fin 2021, à 9% en Europe et 6% aux Etats-Unis. «Il y a une forte dispersion au sein du ‘high yield’. Parmi les secteurs les plus stressés, on trouve ceux liés à la consommation, ce qui est typique des récessions», décrypte le gérant.

Raphaël Thuin relève néanmoins que le niveau des spreads actuel n’est guère différent de celui de mars après le début de la guerre en Ukraine. «Le marché nous semble encore trop optimiste par rapport au risque de hausse des défauts. Il pourrait se faire surprendre par une inflation plus durable, une récession plus forte ou des banques centrales qui perdent la main.»

Certains stratégistes, comme ceux de Deutsche Bank ou de Société Générale CIB, s’attendent à une poursuite de l’écartement des spreads vers des niveaux de récession marquée, à 850 points de base en 2023 pour les premiers et jusqu’à 1.035 points de base pour les seconds.

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