
Le contrôle des subventions étrangères durcit le jeu du M&A

Présentée début mai, la proposition de règlement de la Commission européenne visant à lutter contre les distorsions de concurrence causées au sein du marché unique par les subventions étrangères devrait avoir des impacts non négligeables sur le marché des fusions-acquisitions (M&A). Comme elle s’y était engagée en juin 2020, la Commission veut mettre en place un dispositif de contrôle des subventions accordées par les pouvoirs publics de pays tiers dans le cadre d’opérations de M&A, mais aussi pour les marchés publics et d’autres situations de marché à sa discrétion.
En matière de concentrations, cet outil nouveau viendrait renforcer un arsenal déjà étoffé l’an passé. « Ces mesures vont ajouter une deuxième couche de contrôle à celui des investissements étrangers adopté en octobre 2020, analyse Pascal Dupeyrat, lobbyiste spécialiste des secteurs stratégiques et fondateur du cabinet Relians. Le contrôle des investissements étrangers vise à préserver la sécurité nationale, tandis que celui des subventions vient lutter contre le dumping. L’idée est d’éviter qu’un Etat finance un homme de paille pour acheter des actifs stratégiques en Europe et les piller par la suite. »
La proposition de règlement prévoit qu’un tel dispositif s’applique dès lors que l’entreprise cible réalise un chiffre d’affaires égal ou supérieur à 500 millions d’euros et que la contribution étrangère s’élève à au moins 50 millions. Si ces seuils sont atteints, l’acquéreur devra en faire part à Bruxelles. « C’est un système très similaire au contrôle antitrust qui repose sur une notification préalable, constate Michaël Cousin, associé chez Ashurst. Le concept de subvention étrangère recouvre les cas dans lesquels un Etat tiers confère une subvention à une entreprise quelle que soit sa nationalité. La Commission évaluera si cette subvention restreint la concurrence sur le marché intérieur, en examinant son étendue, sa nature (par exemple, prêt à taux zéro, garantie ou concours plus directs), le niveau d’activité de l’entreprise subventionnée sur le marché intérieur, mais aussi le but et les conditions de la subvention. »
Cette mesure intervient alors que bon nombre d’entreprises en difficulté risquent de devoir trouver un repreneur en conséquence de la crise du Covid. Ce règlement pourrait alors freiner certaines reprises. « En liquidation judiciaire, on va parfois chercher des repreneurs étrangers entièrement financés par des capitaux publics étrangers, rappelle Pascal Dupeyrat. Sur le coup, tout le monde est content mais, par la suite, il arrive qu’on assiste à des fermetures d’usines et des transferts de technologies. »
La Chine dans le viseur
Lorsqu’un groupe déposera une notification, la Commission aura 25 jours ouvrés pour un examen préliminaire et l’opération de M&A sera suspendue. Si elle identifie un problème de concurrence, elle pourra alors procéder à un examen plus approfondi et déployer des moyens d’enquête durant 90 jours ouvrés. Dans le cas où la subvention restreint de manière indue la concurrence, Bruxelles pourra imposer des mesures correctives ou accepter des engagements de la part des entreprises concernées. « Parmi les conditions que la Commission peut exiger, il y a les engagements de désinvestissement, le retrait de certains marchés, l’accès de tiers aux infrastructures… L’objectif étant d’atténuer au maximum l’avantage initial », détaille Michaël Cousin. Dans les cas les plus extrêmes, Bruxelles aura également le pouvoir d’interdire l’opération.
Bien que le texte ne mentionne jamais la Chine, ce sont essentiellement les entreprises financées par ce pays qui sont visées. Et si une entreprise subventionnée par Pékin s’abstient de notifier alors qu’elle dépasse les seuils, les moyens d’enquête de Bruxelles risquent de se limiter au bon vouloir des autorités chinoises. « Les sociétés qui veulent affirmer leur présence dans l’Union européenne sur le long terme n’ont pas intérêt à violer le droit européen, tempère l’avocat. En cas d’absence injustifiée de notification, la Commission pourra sanctionner le contrevenant à hauteur de 10 % de son chiffre d’affaires, voire ordonner un désinvestissement, ce qui est extrêmement coercitif. » Le Parlement européen et les Etats membres vont désormais examiner cette proposition et devraient l’adopter dans les prochains mois.
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