
La zone euro veut éviter de devoir renflouer ses banques centrales

L’acronyme est ressorti cet été quand hommes politiques et parlementaires ont dénoncé les «cadeaux aux banques» que représentent les TLTRO 3. Ces opérations ciblées de refinancement à plus long terme (3 ans) auprès de la Banque centrale européenne (BCE) avaient été lancées à des coûts avantageux en 2019, et amendées au printemps 2020, sous condition de prêts à l’économie octroyés en 2020 et en 2021. Le taux d’emprunt avait été porté à 50 points de base (pb) au-dessous du taux de dépôt entre juin 2020 et juin 2022, soit -1% pour un taux directeur à -0,50% sur la période. Ensuite s’applique le taux moyen de dépôt pendant toute la durée du prêt TLTRO 3 à la banque commerciale pour la période restant au-delà de juin 2022 : ce taux moyen pourrait tourner autour de 0% si les hausses de taux se poursuivent au rythme actuel (0,75% depuis le 14 septembre, probablement 1,50% en novembre, etc.).
«Quel que soit le scénario, nos simulations montrent que, pour chaque série de prêts TLTRO 3, le meilleur taux possible à payer, entre juillet 2022 et la date de maturité, est inférieur à la moyenne du taux de dépôt sur la même période. Donc que les banques de la zone euro ont intérêt à garder leurs emprunts TLTRO 3 jusqu’à maturité, analyse Eric Dor, directeur des études économiques à l’Ieseg. En les réinvestissant simplement sur la facilité de dépôt, le gain net pourrait évoluer entre 30 et 34 milliards d’euros - selon le rythme du resserrement monétaire - pour la période de juillet 2022 à décembre 2024.» Il convient de diviser ces montants par l’ensemble des établissements, sachant que les banques françaises (21% des prêts) en ont davantage profité que les italiennes (20%), les allemandes (18%) et les espagnoles (13%).
Ces taux d’emprunt avantageux étaient prévus au départ pour aider les banques à refinancer des prêts à l’économie réelle qui restent «en risque», et pour compenser des taux de dépôt négatifs alors coûteux. Ils auraient été encore plus avantageux sur la période finale sans le resserrement monétaire actuel – avec aussi plus de risques de défaut.
Pertes pour les banques centrales
Si le débat ressurgit maintenant, au moment où les taux remontent, c’est donc pour des raisons politiques - le différentiel entre taux d’emprunt négatif et taux de dépôt positif devient plus visible - mais aussi économiques - ne plus «subventionner» l’inflation - et techniques. «S’agissant de création monétaire, le prêt TLTRO à une banque commerciale se retrouve - techniquement jusqu’à son remboursement - à l’actif de la banque centrale, mais aussi sous forme de dépôt à son passif, rappelle Eric Dor. Le gain net de la banque commerciale lié au différentiel de taux précité est une perte nette pour la banque centrale», qui peut l’amener à devoir faire appel au Trésor pour la recapitaliser, comme cela semble le cas aux Pays-Bas (et au Royaume-Uni).
«La situation de liquidités excédentaires porte sur près de 4.700 milliards d’euros», calcule Bas van Geffen, stratégiste senior chez Rabobank. Selon lui, la fin des TLTRO ne résoudrait qu’une partie du problème, et pas celle causée par l’impact de la hausse des taux sur la valeur des obligations à taux fixe et bas acquises par les banques centrales nationales dans le cadre des programmes d’achats d’actifs (quantitative easing, QE). Une réduction du bilan (QT) active, par cession des titres qui cristalliserait ces pertes de valeur, serait encore plus coûteuse.
Ces préoccupations auraient amené les gouverneurs de la BCE à réfléchir à une modification des règles des TLTRO 3, par exemple en rétablissement le taux de dépôt du moment (et non plus à la moyenne prévue) pour la période restante, avec l’idée de forcer des remboursements anticipés et d’accélérer de facto la réduction du bilan et le resserrement monétaire.
«Reverse tiering» ?
Mais modifier unilatéralement les termes des TLTRO 3 serait problématique d’un point de vue juridique, et en termes de crédibilité si la BCE souhaite reconduire l’instrument lors d’une prochaine crise. «Les TLTRO ont joué un rôle décisif pour la transmission monétaire, mais également pour répondre aux ratios de liquidité des banques», rappelle Frederik Ducrozet, chef économiste de Pictet WM.
Au-delà de l’idée de mesures fiscales ponctuelles sur les profits, une solution serait la création d’un «reverse tiering», en référence au système à deux étages mis en place juste avant la crise afin d’éviter d’appliquer le taux de dépôt de -0,50% jusqu’à un premier seuil de réserves excédentaires des banques. Un système symétriquement inversé consisterait à ne pas rémunérer jusqu’à un seuil défini ces réserves excédentaires au nouveau taux de dépôt positif, mais au-dessous, par exemple à 0%. «Cela limiterait le problème de rentabilité, mais sans résoudre le problème de transmission monétaire», pointe Bas van Geffen, puisque le taux de dépôt positif rémunérerait un «deuxième niveau» de réserves excédentaires, sans permettre de supprimer le premier niveau.
Cela pourrait même augmenter les dysfonctionnements liés à la «surliquidité» sur les marchés monétaires avec un écart accru entre taux interbancaire et taux de dépôt (cf. en Suisse depuis un mois). A moins que les différents seuils ne soient pas trop élevés, assez «généreux» pour éviter d’inciter les banques à chercher des rendements sur les taux monétaires, ajoute Frederik Ducrozet, qui note des situations différentes selon les pays. Bas van Geffen suggère plutôt de ne plus rémunérer les dépôts au-dessus d’un certain niveau et pour un montant équivalent à l’encours de TLTRO, ce qui aurait un effet plus limité sur les remboursements de ces derniers, mais aussi sur les marchés monétaires.
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