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La polarisation, la fièvre de la société américaine

Le paysage politique et social américain est de plus en plus marqué par une polarisation extrême entre républicains et démocrates. Pendant longtemps, ces deux grands partis n’étaient pas idéologiquement homogènes si bien qu’il était possible de bâtir, au Congrès, des majorités transpartisanes. Les équilibres au sein des partis permettaient aux deux centres de trouver compromis et consensus. Autrement dit, la bipolarité de la vie politique garantissait la bonne gouvernabilité du pays grâce à cette culture du compromis.
Aujourd’hui, il y a une radicalisation progressive des positions extrêmes dans chacun des partis, fondée sur des questions d’identité. Les républicains regroupent de plus en plus les Américains blancs, religieux, ruraux, tandis que les démocrates rassemblent davantage les minorités raciales, sexuelles ou de genre et les citadins. A chaque extrémité du spectre politique existe une détestation mutuelle entre, d’un côté, une extrême droite religieuse américaine pour qui la déconstruction et le wokisme sapent les fondements de la civilisation occidentale et menacent l’ordre social et familial et, de l’autre, une gauche radicale qui dénonce le nationalisme chrétien incarné par le mouvement du «ReAwaken America» et une extrême droite liberticide et raciste.
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Des conceptions idéologiques du monde
Ces conceptions idéologiques du monde, impossibles à réconcilier, entraînent une rupture des équilibres intra et inter partis et influent aussi sur la perception de la réalité et des faits. Ces fractures s’entretiennent via, en particulier, les réseaux sociaux où se propagent des points de vue péremptoires, de fausses informations ou vérités alternatives et des théories du complot. Tout est fait pour conforter les opinions des partisans des deux camps et les confiner dans leur vision du monde ou leurs croyances en utilisant notamment la violence et l’outrance comme vecteur d’émotions, les algorithmes faisant le reste pour les enfermer dans ces bulles cognitives ou informationnelles et ces biais de confirmation.
Finalement, la polarisation interne réverbère à l’extérieur avec des partisans qui constituent désormais deux groupes en conflit l’un contre l’autre, avec une fabrique de l’ennemi selon une logique de «eux contre nous». La diabolisation de l’autre aboutit à une hystérisation du débat public, sans plus aucune capacité de compromis et une inertie politique qui nuit au bon fonctionnement des institutions démocratiques américaines.
La capture des partis par les extrêmes et les minorités activistes explique également le choix des candidats à l’élection, surtout celui de Joe Biden, à la fois barycentre des gauches, et à cet égard seule personnalité capable de fédérer un parti en proie à de fortes dissensions internes, mais aussi suffisamment proche des milieux d’affaires pour récolter des fonds pour une campagne présidentielle américaine où l’argent reste le nerf de la guerre. Quant aux résultats des élections, conformément à la vision européenne d’une victoire probable de Donald Trump, les Américains parient aussi sur le retour de l’ex-président quand on les interroge sur le nom du gagnant. Leurs intentions de vote donnent en revanche un score beaucoup plus serré, compris dans la marge d’erreur, avec des faiblesses des deux côtés : de nombreux républicains de la frange modérée du parti et certains indépendants déclarent hésiter à voter pour Trump en cas de condamnation dans les affaires judiciaires en cours, tandis que les jeunes placés à gauche de l’échiquier politique et certains Américains de confession musulmane répugnent à voter pour le président Biden en raison de son soutien inconditionnel à Israël.
Dans tous les cas, pour la gauche américaine, un retour de Trump au pouvoir pèserait sur le futur de la démocratie américaine avec un ex-président revanchard prêt à régler ses comptes avec la justice au mépris des principes fondamentaux de son indépendance et à orchestrer une purge dans la fonction publique. Selon la fondation Héritage, le lobby ultraconservateur inspirateur de Trump, l’administration taxée d’«Etat profond» doit être débarrassée de tous les éléments wokistes ou marxistes qui mettent en danger les fondements moraux de la société américaine. Plus récemment, le Wall Street Journal a évoqué la volonté de Trump et de ses conseillers de mettre fin à l’indépendance de la Réserve fédérale américaine et d’en limoger son président actuel, Jerome Powell. Avec de telles dérives, les Etats-Unis se dirigeraient à grands pas dans la voie de l’illibéralisme.
L’opposition à la Chine, plus petit commun multiple ?
Paradoxalement, le dissensus interne et la conflictualité idéologique n’empêchent pas une forme d’unité nationale du peuple américain avec un réflexe patriotique face à la menace chinoise. La vision d’une Chine combative et agressive mettant en danger la sécurité et les intérêts des Etats-Unis jette une lumière crue sur le déclin relatif d’une Amérique minée par ses divisions internes. Cette opposition à la Chine reste le seul trait d’union entre les partis, même s’il n’existe pas de consensus sur la stratégie à suivre pour réfréner les ambitions industrielles et technologiques de ce grand rival systémique.
En tout cas, cette construction de l’image de la Chine comme l’ennemi public numéro un des Etats-Unis participe à souder une nation en manque de cohésion. Elle permet aux partis sous contrôle de leurs extrêmes de continuer à parler à un «centre» silencieux, qui fera sans nul doute le résultat de la prochaine élection, en s’érigeant en rempart contre l’impérialisme économique, l’autoritarisme et l’idéologie communiste d’une Chine lancée dans une guerre hégémonique.
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Immigration clandestine : raid policier dans une usine Hyundai-LG aux Etats-Unis, près de 500 arrestations
Washington - Près de 500 personnes, dont une majorité de Sud-Coréens, ont été arrêtées par la police de l’immigration dans une usine de fabrication de batteries des groupes sud-coréens Hyundai et LG dans l’Etat de Géorgie (sud-est), soupçonnées de travailler illégalement aux Etats-Unis. Le raid, mené jeudi, résulte d’une «enquête pénale liée à des accusations de pratiques d’embauche illégales et à de graves infractions fédérales», a expliqué vendredi Steven Schrank, un agent du service d’enquêtes du ministère américain de l’Intérieur, au cours d’une conférence de presse. Il s’agit de «la plus importante opération des forces de l’ordre sur un même site de toute l’histoire du service des +Homeland Security Investigations+ (+Enquêtes sur la sécurité intérieure+)», a-t-il affirmé, s’exprimant d’Atlanta, dans l’Etat de Géorgie. Les 475 personnes arrêtées dans cette usine, située dans la ville d’Ellabell, se «trouvaient aux Etats-Unis de manière illégale» et «travaillaient illégalement», a affirmé M. Schrank, soulignant que la «majorité» d’entre elles étaient de nationalité sud-coréenne. Sollicité par l’AFP aux Etats-Unis, le constructeur automobile a répondu être «au courant du récent incident» dans cette usine, «surveiller étroitement la situation et s’employer à comprendre les circonstances spécifiques» de cette affaire. «A ce stade, nous comprenons qu’aucune des personnes détenues n'était directement employée par le groupe Hyundai», a-t-il poursuivi, assurant donner «priorité à la sécurité et au bien-être de quiconque travaille sur ce site et au respect de toutes les législations et réglementations». De son côté, LG Energy Solution a affirmé suivre «de près la situation et recueillir toutes les informations pertinentes». «Notre priorité absolue est toujours d’assurer la sécurité et le bien-être de nos employés et de nos partenaires. Nous coopérerons pleinement avec les autorités compétentes», a ajouté cette entreprise. La Corée du Sud, la quatrième économie d’Asie, est un important constructeur automobile et producteur de matériel électronique avec de nombreuses usines aux Etats-Unis. Mission diplomatique Une source proche du dossier avait annoncé quelques heures plus tôt, de Séoul, qu’"environ 300 Sud-Coréens» avaient été arrêtés pendant une opération du Service de l’immigration et des douanes américain (ICE) sur un site commun à Hyundai et LG en Géorgie. De son côté, l’agence de presse sud-coréenne Yonhap avait écrit que l’ICE avait interpellé jusqu'à 450 personnes au total. Le ministère sud-coréen des Affaires étrangères avait également fait d'état d’une descente de police sur le «site d’une usine de batteries d’une entreprise (sud-coréenne) en Géorgie». «Plusieurs ressortissants coréens ont été placés en détention», avait simplement ajouté Lee Jae-woong, le porte-parole du ministère. «Les activités économiques de nos investisseurs et les droits et intérêts légitimes de nos ressortissants ne doivent pas être injustement lésés dans le cadre de l’application de la loi américaine», avait-il poursuivi. Séoul a envoyé du personnel diplomatique sur place, avec notamment pour mission de créer un groupe de travail afin de faire face à la situation. Les autorités sud-coréennes ont également fait part à l’ambassade des Etats-Unis à Séoul «de (leur) inquiétude et de (leurs) regrets» concernant cette affaire. En juillet, la Corée du Sud s'était engagée à investir 350 milliards de dollars sur le territoire américain à la suite des menaces sur les droits de douane de Donald Trump. Celui-ci a été élu pour un second mandat en novembre 2024, en particulier sur la promesse de mettre en oeuvre le plus important programme d’expulsion d’immigrés de l’histoire de son pays. Depuis, son gouvernement cible avec la plus grande fermeté les quelque onze millions de migrants sans papiers présents aux Etats-Unis. Au prix, selon des ONG, des membres de la société civile et jusqu’aux Nations unies, de fréquentes violations des droits humains. D’Atlanta, le Bureau de l’alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs (ATF) a expliqué sur X avoir participé à l’arrestation d’environ 450 «étrangers en situation irrégulière» au cours d’une opération dans une usine de batteries, une coentreprise entre Hyundai et LG. Selon son site internet, Hyundai a investi 20,5 milliards de dollars depuis son entrée sur le marché américain en 1986 et compte y investir 21 milliards supplémentaires entre 2025 et 2028. L’usine d’Ellabell a été officiellement inaugurée en mars, avec l’objectif de produire jusqu'à 500.000 véhicules électriques et hybrides par an des marques Hyundai, Kia et Genesis. Elle devrait employer 8.500 personnes d’ici à 2031. © Agence France-Presse